La FNSEA contre le panier anti-inflation
Interview dans la Tribune. La patronne de la FNSEA se déclare contre l’idée d’un panier anti inflation
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CHRISTIANE LAMBERT – Il faut que l’alimentation soit payée à sa juste valeur, nous ne voulons pas être la variable d’ajustement. Idem pour le panier anti-inflation, nous sommes contre. Il va conduire à une augmentation des importations dont certaines ne respectent pas les normes de production et peut mener, à terme, à la perte de notre souveraineté alimentaire en détruisant de la valeur agricole et alimentaire. Comment un distributeur peut-il proposer plus de 700 produits issus de l’agriculture biologique à moins de 2 euros alors que la filière traverse une grave crise ? Ou proposer de la viande de porc trois fois moins chère que de l’alimentation pour chien ? En plus, ce panier est ouvert à tout le monde, c’est scandaleux ! Il faut le cibler pour les personnes les plus précaires. Pour cela, nous nous mobilisons pour un chèque alimentaire durable en faveur des plus démunis.
Parmi tous les combats que vous menés, lequel vous rend la plus fière ?
À titre personnel, c’est la campagne pour les élections en chambre d’agriculture en 2018. Une campagne électorale, c’est aléatoire. Les journalistes prédisaient que nous allions régresser et nous avons au contraire progresser. Pour moi, c’était un défi parce que je n’aime pas perdre, je suis une joueuse de handball et j’ai la culture du résultat. C’est une vraie satisfaction d’avoir gagné car cela nous a laissé les mains libres pour agir.
Les sécheresses de cet été ont été encore plus intenses que les précédentes. Comment le syndicat accompagne les agriculteurs dans ces bouleversements climatiques ?
La FNSEA a organisé le « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique » qui vise à donner plus de robustesse et de capacité de résistance aux exploitations, notamment en raison du changement climatique. Nous avons changé le système assurantiel pour mieux gérer les risques climatiques, nous avons établi un diagnostic de toutes les améliorations nécessaires en vue de la transition écologique selon les filières et selon les secteurs. Le dernier point est la gestion de l’eau : le but est de stocker l’eau quand elle est en excès pour l’utiliser quand il n’y en a pas.
Vous disiez vouloir améliorer l’image des agriculteurs, pensez-vous qu’elle a changé pendant votre mandat ?
Je pense que nous avons réussi à changer en partie cette image, car nous avons beaucoup parlé de l’alimentation et cela a reconnecté les Français avec l’agriculture. Si vous voulez manger local, bio, label rouge, c’est forcément un peu plus cher. J’ai été très souvent identifiée comme la voix des agriculteurs. Il y a des jugements qui sont durs parfois, mais les gens qui critiquent les agriculteurs ne connaissent pas tous les efforts qu’ils font au quotidien. Je voulais surtout que le monde extérieur au secteur agricole comprenne les problématiques de ce secteur d’activité en les expliquant avec des termes simples.
Le projet de réforme du système des retraites déchaîne les passions. Or il y avait beaucoup à faire pour celle des agriculteurs…
Oui, c’est un autre chantier auquel je tenais. Les agriculteurs sont passés à 85% du SMIC net et, surtout, notre retraite n’est plus calculée sur toute notre carrière mais sur nos 25 meilleures années comme les autres métiers (loi adoptée par le Sénat le 1er février dernier, ndlr). Nous étions très en retard.
Vous avez récemment manifesté contre le refus de prolonger la dérogation de l’utilisation des néonicotinoïdes sur la filière betterave, pourquoi ?
Les néonicotinoïdes ont été le déclencheur mais il y a aussi d’autres produits qui ont été supprimés pour d’autres cultures, en particulier pour les productions de cerise, d’endives ou de pommes de terre. Quand on perd ces filières, on ne les retrouve jamais. Je comprends cette norme et je suis personnellement engagée dans la lutte contre le changement climatique, mais toute la difficulté est d’accorder les règles de production avec les autres pays, qui, pour la plupart, ne sont pas aussi strictes que celles en vigueur en France. C’est l’une des conditions pour continuer de produire en France. La pénurie de moutarde observée pendant la crise sanitaire est un bon exemple. Tout le monde pensait que nous la produisions en France, alors que l’interdiction de l’utilisation des pesticides en 2019 a fait bondir les coûts et les prix de la moutarde française, qui est devenue moins compétitive que la moutarde provenant des pays autorisant les traitements chimiques. Ce qui a conduit à des importations massives du Canada.
Pour rester sur l’interdiction de l’usage de certains pesticides, l’Anses a annoncé hier vouloir retirer le S-métolachlore, un désherbant courant en France utilisé sur le maïs ou encore le tournesol, en raison de fortes concentrations retrouvées dans l’eau. Quel est votre regard là-dessus ?
Je suis actuellement à Bruxelles pour entendre ce que l’Agence européenne de sécurité alimentaire (efsa) va dire à ce propos. Si ce produit est retiré, il faut que ce soit aussi le cas dans toute l’Europe et pas seulement en France, sinon ça ne tient pas la route, ce n’est pas possible. La France ne peut pas être la seule à interdire ce désherbant, ma réponse est aussi simple que cela.
Vous avez souvent insisté sur l’importance de la souveraineté alimentaire, pourquoi ?
L’alimentation est un outil politique et une menace : Vladimir Poutine en a fait une arme. Il ne faut pas que la France soit le pays de la délocalisation. Jamais le mot souveraineté n’a été autant employé et pourtant jamais nos productions n’ont autant baissé. Je voulais que le mot souveraineté soit inscrit dans l’intitulé du ministère de l’Agriculture, pour le symbole. Les questions de souveraineté sont remontées au-dessus de la pile avec la crise Covid et la guerre en Ukraine. C’est dramatique, mais c’est souvent quand il y a des crises qu’on se recentre sur l’essentiel, c’est-à-dire manger.
Je dis qu’il faut manger français, mais je suis présidente du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (COPA) aussi. Si on achète des produits européens c’est bien, c’est l’espace géographique où il y a le plus d’harmonisation de normes.
Autre enjeu des prochaines années : la question du renouvellement des générations, comment faire pour attirer les jeunes vers l’agriculture ?
Il faut donner confiance aux gens qui investissent, qu’ils aient des perspectives d’amélioration de leurs revenus, de la considération… Si on perd trop d’agriculteurs, l’agriculture française sera celle des grands espaces mais vides. Moi, j’ai envie de dire qu’il y a de la place pour tous les profils, pour toutes les productions : bio, conventionnel ou SIQO (signes d’identification de qualité et d’origine, ndlr). Il y a trois grands piliers importants : la souveraineté, la reconnaissance et la rémunération. Il faut accompagner les nouvelles installations, et il faut que les Français soutiennent les agriculteurs en priorisant les produits français.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
Rien. Tricoter. Je lève le pied mais je ne raccroche pas, je resterai présidente de la COPA (Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne) jusqu’à 2024 et je prépare la transmission de notre exploitation à mon fils et une employée.