« Annuler le bac 2021 «
Philippe Askenazy,Chercheur au Centre Maurice-Halbwachs (ENS-CNRS-EHESS-PSL) , plaide, dans sa chronique au « Monde », pour la suppression des épreuves du baccalauréat, dont la pertinence n’est plus assurée, selon lui, après deux ans de scolarité perturbée par l’épidémie de Covid-19.
Chronique.
Hormis dans une minorité d’établissements, essentiellement privés, les lycéens ont connu une année scolaire particulièrement perturbée. Par manque de matériel, de formation ou de volonté, les professeurs n’ont pu massivement pratiquer un enseignement hybride lorsque les jauges imposaient des demi-groupes. Entre difficultés techniques et limites pédagogiques inhérentes à l’exercice, les cours en distanciel n’ont pu apporter une formation quantitative et qualitative similaire aux cours « normaux ». Les lacunes accumulées sont actées par le ministère puisque, lors du grand oral du bac, les candidats pourront, face au jury, se munir d’une lettre exposant quelles parties du programme n’ont pas été abordées.
Ce contexte interroge la pertinence d’organiser des épreuves du bac (notamment philosophie et grand oral en terminale, français en 1re) en juin.
En économie, deux grandes visions de l’éducation cohabitent. D’un côté, le diplôme serait un filtre et un signal donné aux employeurs : l’éducation permet de sélectionner chacun selon son investissement dans le travail ou son intelligence. Le diplôme révèle les informations sur les capacités intrinsèques d’un individu. Il comble l’asymétrie d’information entre employeur et offreurs de travail. C’est à ce titre qu’en France, des grilles salariales conventionnelles se référant aux diplômes ont été construites et acceptées par les employeurs. La crédibilité du signal – le diplôme – et la finesse du filtre sont alors essentielles.
Est-ce que le maintien des épreuves cette année y participe ? Le taux de réussite au bac sera bien supérieur à 90 %. Un écrit de philosophie dont la note ne sera pas retenue si elle est inférieure à celle du contrôle continu et une nouvelle épreuve orale aux règles fluctuantes ne peuvent qu’achever de brouiller le signal. Dans ces conditions, on peut aussi douter de leur intérêt pédagogique.
Justement, selon une vision alternative, l’éducation est avant tout une forme d’investissement qui s’accumule pour composer ce que l’économiste américain Gary Becker (1930-2014) a qualifié de « capital humain ». Outre la quantité, la qualité de la formation est fondamentale. Elle augmente la productivité individuelle et plus encore, participe à d’importantes externalités positives qu’illustrent notamment les théories de la croissance : pour innover, l’économie a besoin d’une masse critique d’ingénieurs et de chercheurs ; pour utiliser ces innovations et s’y adapter, entreprises et administrations doivent disposer d’une main-d’œuvre bien formée à tous les niveaux. Cet investissement assure donc des rendements à la fois à l’individu et à la société. Le rendement social est d’ailleurs un argument-clé pour une éducation publique gratuite.