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Spéculateurs et analystes financiers : Deux spécialités qui s’opposent

Spéculateurs et analystes financiers : Deux spécialités qui s’opposent

Les diagnostics des financiers qui parient sur la chute des cours de titres et de ceux rattachés à une entreprise ou une banque peuvent différer en raison d’objectifs de communication opposés. Par Hervé Stolowy, HEC Paris Business School et Luc Paugam, HEC Paris Business School

En juin 2020, en dépit de sa réussite apparente, la fintech allemande Wirecard a connu une chute spectaculaire en admettant que 1,9 milliard d’euros mentionnés dans son bilan étaient fictifs et que sa dette s’élevait à 3,5 milliards d’euros.

Pourtant, ce n’était pas une surprise pour tous les observateurs attentifs. D’après des journalistes et des vendeurs à découvert, cela faisait des années que les signaux étaient au rouge. Le Financial Times a publié plusieurs rapports sur les pratiques financières suspectes de la société et des vendeurs à découvert qui cèdent des titres qu’ils ne possèdent pas en pariant sur une baisse future du titre pour réaliser une plus-value, tels que Zatarra Research, avaient également fait part d’une profonde préoccupation.

En revanche, la plupart des analystes sell-side (c’est-à-dire qui travaillent pour le compte d’une institution financière ou en compte propre) avaient une opinion positive de Wirecard jusqu’à peu avant son effondrement. Les autorités financières allemandes elles-mêmes ont d’abord ouvert une enquête criminelle à l’encontre des journalistes et des vendeurs à découvert plutôt qu’à l’encontre des dirigeants de Wirecard. Plusieurs mois après la révélation des malversations comptables, Commerzbank a licencié son analyste Wirecard, qui avait été, selon les rapports, « l’un des plus fervents défenseurs de Wirecard » jusqu’à la fin.

Cette affaire illustre de manière saisissante l’écart de points de vue entre les vendeurs à découvert activistes (c’est-à-dire qu’ils cherchent à influencer la gouvernance d’une entreprise cible) et les analystes financiers, dans un secteur où l’autorité narrative peut influer sur le cours des actions et le sort des entreprises. Au moment où le scandale a éclaté, l’action de Wirecard a ainsi plongé de 100 euros à moins de 2 euros en une semaine.

Notre dernier article de recherche (co-écrit avec Yves Gendron et à paraître dans la revue Accounting, Organizations and Society) s’inscrit dans le prolongement de nos travaux antérieurs sur la fraude comptable et les lanceurs d’alerte. Les vendeurs à découvert activistes, qui exposent publiquement leurs recherches, pointent du doigt les irrégularités de certaines entreprises et dénoncent par la même occasion les rapports généralement positifs des analystes financiers. Ils tirent leur profit de la perte de valeur des actions d’une entreprise.

Les analystes financiers, quant à eux, travaillent généralement pour des banques d’investissement, dont les revenus proviennent de la souscription d’émissions de nouvelles actions. Il leur semble donc souvent nécessaire d’entretenir de bonnes relations avec les entreprises qu’ils suivent, et ils ont donc un intérêt à produire des rapports de recherche optimistes sur leurs actions.

Dans le monde volatile de la finance, où les informations abondent et où l’incertitude règne à propos de l’avenir, l’autorité narrative joue un rôle important pour orienter les investissements. Traditionnellement, les analystes sell-side sont qualifiés d’experts.

Les recherches précédentes dans ce domaine se sont concentrées uniquement sur les analystes financiers, et peu sur le rôle du storytelling sur les marchés financiers. Nous nous sommes intéressés à la rivalité entre ces deux fonctions pour obtenir l’autorité narrative.

Dans leurs rapports, les vendeurs à découvert activistes reprochent aux analystes leur manque d’expertise technique et d’esprit critique (manque de scepticisme à l’égard des entreprises qu’ils couvrent) et mettent en avant leur conflit d’intérêts.

Dans un rapport, un vendeur à découvert écrivait ainsi sur un ton sarcastique :

« Oups… On en oublierait presque que, pour réussir en tant qu’analyste sell-side, il faut commencer par dissimuler toutes les données susceptibles de présenter vos récentes introductions en bourse sous un jour négatif. »

Malgré ces critiques, il est étonnant de constater que les analystes ne réagissent pas ou peu aux attaques. Environ un tiers seulement répond aux accusations, généralement sous la forme d’une réponse écrite formelle dans le cadre d’un rapport de recherche. Ceux qui y répondent renvoient la pareille et accusent les vendeurs à découvert de manquer d’objectivité et de connaissance du marché, et d’agir dans leur seul intérêt, à savoir faire baisser le cours des actions.

Nous avons voulu découvrir les coulisses de cette confrontation. C’est pourquoi, en plus de consulter les rapports de vendeurs à découvert et d’analystes financiers, nous avons réalisé des entretiens avec des représentants des deux camps pour essayer de comprendre pourquoi les analystes ne répliquent pas plus souvent. Nous avons découvert plusieurs raisons à cela.

S’il leur est arrivé d’admettre que les vendeurs à découvert avaient raison sur certains dysfonctionnements au sein des entreprises, les analystes se devaient de garder un bon contact avec elles sous peine de contrarier leur propre direction, ils étaient limités par des contraintes juridiques et craignaient pour leur réputation s’ils défendaient leur point de vue mais qu’il était finalement prouvé qu’ils avaient tort.

Un analyste nous l’a expliqué en ces mots :

« À partir du moment où l’on réagit, on reconnaît l’existence de quelque chose, et cela contribue à ce que l’on en parle encore plus. »

Face à une menace pour leur réputation, de nombreux analystes préfèrent donc éviter toute réaction publique susceptible de donner davantage de visibilité à leur autorité narrative fragile. À l’inverse, ils optent plutôt pour une approche indirecte, en contactant en privé certains acteurs du marché : analystes buy-side (qui travaillent pour un courtier ou un fonds de pension) ou gestionnaires de portefeuille. Souvent, ils ne modifient pas vraiment leurs recommandations en faveur d’une entreprise, même lorsqu’ils sont confrontés aux critiques des vendeurs à découvert, mais ils baissent leurs objectifs de cours, ce qui est moins visible que de revoir complètement leurs recommandations.

Malgré leur apparent antagonisme, nous avons pu observer un respect mutuel entre les deux parties lors des entretiens. Les analystes ont admis que les critiques des vendeurs à découvert étaient souvent pertinentes, tandis que les vendeurs à découvert ont concédé que les analystes financiers se trouvent dans une position délicate, car ils sont souvent dans l’incapacité d’exprimer leur véritable opinion ou n’ont pas accès aux informations utiles.

Nous considérons à présent que nos recherches doivent être approfondies, pour étudier l’influence mutuelle qu’exercent ces deux groupes, et ce que cette influence nous apprend sur la puissance de l’autorité narrative sur les marchés financiers.

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Par Hervé Stolowy, Professeur, Comptabilité et Contrôle de Gestion, HEC Paris Business School et Luc Paugam, Professeur Associé, Comptabilité et Contrôle de Gestion, HEC Paris Business School.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Cyberattaque, euro, pétrole: les scénarios fantaisistes des analystes

Cyberattaque, euro, pétrole: les scénarios fantaisistes des analystes

 

 

Comme disait Pierre Dac, «  le plus difficile en matière de prospective, c’est de prévoir l’avenir ». Pourtant des analystes se sont liés à l’exercice en envisageant par exemple un pétrole à 40 dollars, un euro égal à un dollar, l’écroulement de la Grèce ou encore un cyber attaque massive aux Etats-Unis. Le problème c’est que les grands événements n’ont jamais été prévus et que cet exercice est assez aléatoire. Il fait notamment l’impasse sur les conséquences de la montée du terrorisme qui risque de porter atteinte aux volumes des échanges et donc à la croissance. On évacue encore la possibilité d’éclatement  d’une bulle financière, obligataire ou autre. Bref un exercice à prendre avec des pincettes et qui évacue le scénario d’un période très prolongée de croissance très faible avec ses conséquences sociales, financières voire sociétales (notons que les analystes s’occupent d’économie et de fiances pas de société !). . Exemples :  

> L’euro ne vaut plus que 1 dollar

C’est le pari que font les analystes de la banque néerlandaise ING. Ces derniers pensent que la monnaie unique vaudra autant que le billet vert dans le courant de l’année 2015, comme le rapporte le Handelsblatt. Une prévision qui, à première vue, peut sembler audacieuse, quand on sait que l’euro n’a connu qu’une période très brève sous les 1 dollar, entre 2000 et 2002, selon les Echos. Et pourtant la prévision des analystes d’ING est loin d’être irréaliste. L’euro est actuellement en train de dégringoler. Entre mai 2014 et janvier 2015, la monnaie unique est passée de 1,39 à 1,18 dollar, soit une baisse de 15%. Le 14 janvier dernier, l’euro est même passé sous son cours d’introduction face au dollar, en 1999 (1,1747 euro pour un dollar). 

> Le baril de pétrole à moins de 40 dollars

Le 12 janvier dernier, la banque d’affaires Goldman Sachs provoque un véritable coup de tonnerre en publiant des prévisions étonnantes sur le marché du pétrole. Ses analystes tablent désormais sur un prix de 39 dollars le baril à six mois pour le WTI, à New York, et de 43 dollars pour le Brent de la mer du Nord, à Londres. Impressionnant quand on sait que les prévisions précédentes étaient de 75 dollars pour le WTI et 85 dollars pour le Brent.  Là encore si cette prévision détonne, elle n’en est pas moins crédible. Depuis juin 2014, aussi bien le WTI que le Brent ont perdu plus de 50% et la chute n’a pas encore atteint un plancher. Pour preuve, les prévisions de Goldman Sachs ont eu l’effet d’une prophétie auto-réalisatrice. A l’annonce de ces prévisions, le Brent et le WTI ont perdu 5% et 4,7% à respectivement 47,5 et 46 dollars, lundi.

> Syriza, une bonne chose pour l’Europe

C’est un scénario qui a plusieurs fois grippé les marchés: le parti de gauche radicale Syriza arrive au pouvoir après le 25 janvier prochain. La crainte est que ce parti-austérité enclenche un bras de fer avec le FMI et l’Union européenne en refusant d’implanter les mesures nécessaires pour continuer à percevoir l’aide financière internationale.  A contrario de beaucoup d’analyses, Holger Schmieding, de la banque Berenberg envisage un scénario qui renforcerait l’Europe. Si Syriza, une fois arrivé au pouvoir, n’arrive pas à tenir “ses promesses inabordables”, alors “les partis populistes perdraient de leur crédibilité, et les partis traditionnel dans toute l’Europe auraient bien plus de facilité à démontrer combien ces populistes irresponsables sont superficiels”.  

> Les Etats-Unis victime d’une cyberattaque massive

Pour être tout à fait exact, il ne s’agit pas d’une prévision à proprement parler. Chaque année, Byron Wien, un analyste du fonds Blackstone, livre 10 “suprises” qu’il définit comme des faits auxquels “un investisseur moyen donnerait 33% de chances de se produire” alors que lui-même mise sur “plus de 50%”. Parmi ces surprises, Byron Wien évoque une cyberattaque massive de la part de hackers, qui envahiraient alors les comptes des clients particuliers et des professionnels d’une importante banque. La Réserve fédérale (Fed) interviendrait alors et suspendrait les transactions de l’établissement en question pendant cinq jours pour réparer les pots cassés. Ce scénario est d’autant plus crédible que les attaques sur internet se sont multipliées aux Etats-Unis. A l’été 2014, des hackers avaient ainsi tenté de voler les données de millions de clients de la banque JP Morgan. Et, selon les enquêtes fédérales en cours, une dizaine d’autres établissements ont été visés. Parmi les autres “surprises” de Byron Wien, on notera une croissance chinoise de seulement 5% ou encore un S&P500 qui prendrait plus de 15% sur l’ensemble de 2015. 




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