Moyen-Orient : vers une guerre de plus grande ampleur
Le Hamas a annoncé que son principal dirigeant politique, Ismaïl Haniyeh, a été tué alors qu’il se trouvait à Téhéran. Le groupe islamiste accuse Israël d’être à l’origine de l’attaque, affirmant que son chef est mort à la suite d’une « frappe aérienne sioniste sur sa résidence à Téhéran après qu’il ait participé à l’investiture du nouveau président iranien ». L’Iran n’a pas encore donné de détails sur la manière dont Haniyeh a été tué, mais affirme qu’une enquête est en cours. Alors que la guerre à Gaza ne montre aucun signe d’apaisement et que l’ensemble du Moyen-Orient est à couteaux tirés, cet assassinat risque de déclencher une guerre régionale de plus grande ampleur.
par Ian Parmeter
Research Scholar, Centre for Arab and Islamic Studies, Australian National University dans The Conversation
Haniyeh était le plus haut dirigeant politique du Hamas. Résidant depuis des années à Doha, au Qatar, il était son principal négociateur dans le cadre des discussions actuelles avec Israël – conduites sous l’égide des États-Unis, de l’Égypte et du Qatar – sur un cessez-le-feu lors de la guerre en cours à Gaza. Il va de soi que ces négociations sont désormais suspendues.
Bien qu’Israël n’ait pas revendiqué la responsabilité de sa mort – et ne le fera probablement pas, étant donné qu’il n’a pas l’habitude de déclarer officiellement avoir effectué telle ou telle opération clandestine –, il est de notoriété publique que Haniyeh figurait depuis longtemps sur sa liste de cibles à éliminer.
Ce qui est surprenant, en revanche, c’est le lieu et la manière de cet assassinat. Haniyeh se trouvait à Téhéran pour assister à la prestation de serment du nouveau président de l’Iran, Masoud Pezeshkian. Les détails de ce qui s’est passé sont encore vagues, mais il semble que le chef du Hamas a été tué avec l’un de ses gardes du corps par une explosion qui s’est produite dans le bâtiment où il résidait. À ce stade, nous ne savons pas encore si l’explosion était due à une bombe déclenchée à distance ou à un tir de missile.
Premièrement, l’Iran comment l’Iran réagira-t-il, sachant qu’Haniyeh était sous sa protection lorsqu’il a été tué ? Sa mort est susceptible de provoquer une gigantesque vague de colère en Iran et d’entraîner des représailles contre Israël, en plus de celles du Hamas.
Les tensions entre l’Iran et Israël sont très vives depuis longtemps. En avril, Téhéran a lancé plus de 300 missiles et drones sur Israël en représailles à une frappe ayant visé le consulat iranien à Damas, qui a coûté la vie à plusieurs hauts responsables du Corps des gardiens de la révolution.
L’assassinat d’Haniyeh est révélateur de la qualité remarquable des renseignements sur l’Iran dont Israël dispose actuellement. Ces dernières années, de nombreux scientifiques iraniens travaillant sur le programme nucléaire du pays ont été tués. Le « père » du programme, Mohsen Fakhrizadeh, a notamment été abattu par une mitrailleuse sophistiquée commandée à distance en 2020.
Toutefois, certains dirigeants du Hamas figurant sur la liste noire d’Israël sont, pour autant que l’on sache, toujours en vie. Apparemment, le chef politique du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, dirige toujours les opérations du groupe. En juillet, Israël a effectué une frappe qui aurait tué l’insaisissable chef militaire Mohammed Deif. Cependant, le Hamas n’a pas annoncé sa mort, et on sait que Deif avait déjà survécu à plusieurs tentatives d’assassinat.
La deuxième grande question est de savoir si le Hezbollah, basé au Liban, lancera une attaque contre Israël à la demande de l’Iran.
L’assassinat de Haniyeh survient quelques heures après une frappe aérienne israélienne dans le sud de Beyrouth, dans laquelle les responsables israéliens pensent avoir tué Fuad Shukr, un haut commandant du Hezbollah.
Si l’Iran devait riposter, il pourrait le faire par l’intermédiaire du Hezbollah au Liban. Un important barrage de missiles du Hezbollah pourrait potentiellement submerger le système de défense antimissile israélien Iron Dome.
L’Iran peut également faire appel à d’autres alliés, notamment des groupes chiites en Syrie et en Irak, ainsi que les Houthis au Yémen, qui ont déjà lancé une frappe de drone sur Tel-Aviv la semaine dernière, suivie d’une rapide riposte israélienne.
On l’aura compris : l’assassinat de Haniyeh est susceptible de provoquer une escalade significative dans la guerre de Gaza, et peut-être dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Économie circulaire : comment lui donner une ampleur significative ?
Économie circulaire : comment lui donner une ampleur significative ?
Par Maria Figueroa-Armijos, EDHEC Business School
En moyenne, les modèles économiques circulaires représentent environ 15 % de la production dans tous les secteurs.
Les modèles économiques (ou business models) traditionnels, tenant pour référence le triptyque productiviste (exploitation, fabrication, mise au rebut), considèrent la nature comme étant prodigue d’une quantité infinie de ressources. Autrement dit, nos systèmes économiques sont conçus comme de vastes circuits ouverts qui n’ont de cesse de siphonner les ressources naturelles pour les transformer en produits qui, en bout de chaîne, sont entièrement ou en partie détruits.
Contrairement aux modèles économiques linéaires, les modèles circulaires se fondent sur un système à circuit fermé, qui vise à utiliser et transformer les matières circulant déjà dans l’économie, plutôt que d’en retirer à la nature. Ainsi, ces modèles circulaires présentent une empreinte environnementale plus faible sur deux plans : ils évitent l’exploitation des ressources naturelles et revalorisent les ressources qui pourraient être considérées comme des déchets.
La croissance exponentielle de la consommation mondiale, associée aux ruptures de chaîne d’approvisionnement dues à la crise sanitaire, aux bouleversements climatiques, réglementaires ou des marchés, a rendu plus évident l’impératif de faire évoluer nos pratiques commerciales vers les principes de l’économie circulaire en circuit fermé. Or, les stratégies commerciales qui valorisent des solutions et innovations systémiques circulaires peuvent permettre une plus grande efficacité d’utilisation des ressources et des économies annuelles estimées à mille milliards de dollars d’ici 2025, selon les chiffres de la fondation Ellen MacArthur lancée par la navigatrice britannique.
La restructuration systématique de nos modèles d’entreprise pourrait donc faire diminuer très largement la pression que subissent les écosystèmes naturels. Repenser la création de valeur afin d’éviter l’extraction de matières premières vierges lorsque des substituts déjà en circulation existent, ainsi qu’une refonte de relations au sein de la chaîne d’approvisionnement pour éviter le gaspillage, apparaissent comme deux moyens fondamentalement différents de produire et de consommer des biens et des services.
Dans mon dernier article de recherche publié dans le Research Handbook on Innovation for a Circular Economy, je propose un cadre d’orientation modulable pour piloter le développement de nouveaux modèles économiques qui nécessite de refondre en profondeur chacun de ses blocs constitutifs : les produits, les chaînes d’approvisionnement et les parcours clients. C’est déjà aujourd’hui le principe, par exemple, de la feuille de route du groupe de textile-habillement H&M pour parvenir à un « écosystème circulaire », développée en partenariat avec la Fondation Ellen MacArthur.
Certains des changements attendus impliquent la reconception de produits durables, permettant ainsi d’utiliser des matériaux recyclés ou réutilisés, de créer une logistique renversée, des réseaux de collaboration répliqués dans les chaînes d’approvisionnement existantes et d’élaborer des parcours clients qui valorisent les produits circulaires.
Avec cette refonte en trois blocs, les entreprises peuvent modifier, ajouter, créer ou transformer différentes dimensions dans le cadre modulable proposé, afin de repenser méthodiquement leurs processus au fur et à mesure de la mise en œuvre des applications circulaires. Par exemple, les diverses initiatives de la marque de vêtements Patagonia, qui s’est lancée à la recherche de la circularité depuis deux décennies, visent à redéfinir en priorité ses produits de sorte que l’entreprise puisse récupérer et utiliser tous ses déchets.
Malgré leur avantage concurrentiel durable certain, les modèles circulaires ne s’implantent cependant encore que dans des marchés de niche, ce qui signifie qu’ils bénéficient d’une part de marché plus faible par rapport aux modèles d’extraction traditionnels. En moyenne, les modèles économiques circulaires représentent environ 15 % de la production dans tous les secteurs. Néanmoins, les avancées technologiques, les changements générationnels, les risques commerciaux, ou encore la nouvelle réglementation supranationale au niveau de l’Union européenne augurent l’accélération de cette proportion.
Le plan d’action pour l’économie circulaire de l’UE adopté en 2020 dans le cadre du Pacte Vert européen introduit notamment des mesures comptant sur la participation des consommateurs, des entreprises et des citoyens selon un calendrier servant de prérequis pour devenir le premier continent climatiquement neutre d’ici à 2050.
Malgré leurs promesses, les modèles économiques circulaires doivent en effet encore relever un défi de taille : briser les barrières culturelles et commerciales. Une étude réalisée par Deloitte et l’université d’Utrecht a révélé que, malgré le battage médiatique et une appétence évidente pour les transformations du marché circulaire, tant les consommateurs que les entreprises rejettent les concessions qui doivent être faites à l’heure actuelle.
D’une part, les consommateurs sont partiellement inconscients des enjeux ou peu disposés à changer leurs habitudes de consommation, surtout lorsqu’ils sont pressés ou ont un budget limité. D’autre part, les entreprises doivent arbitrer entre satisfaire les intérêts des actionnaires, supporter les investissements initiaux élevés dans la transformation des processus, développer de nouveaux partenariats et de nouvelles voies d’accès au marché et former leurs collaborateurs aux processus circulaires. En outre, les matériaux circulaires (réutilisés, recyclés, upcyclés, biosourcés) restent toujours plus chers que les matériaux traditionnels (par exemple, les plastiques à base de pétrole).
Heureusement, le cumul de pression sociétale, d’intérêt politique et d’influence des investisseurs dessine une voie qui a peu de chances d’aboutir si elle suit un modèle d’économie linéaire. Selon un récent article publié par le Forum économique mondial, les entreprises nées dans la circularité seront des acteurs de premier plan dès 2030, précisément en raison de leurs modèles fondés sur des principes circulaires qui leur confèrent un avantage certain. La marque de produits d’hygiène avec moins de conditionnement Unbottled en France et son homologue Lush au Royaume-Uni en sont deux excellents exemples. Hormis les causes éthiques et environnementales qu’elles défendent, ces entreprises circulaires dès leur création proposent toutes deux plus de la moitié de leurs produits sans emballage. Bien qu’aucun modèle d’entreprise ne soit encore véritablement circulaire, la transformation semble donc avancer à grands pas.
____
Par Maria Figueroa-Armijos, Associate Professor of Entrepreneurship, EDHEC Business School.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.