« L’état d’urgence a démontré son inefficacité »( Pouria Amirshahi)
À droite comme à gauche certain dénoncent à juste titre l’insuffisance voire l’inefficacité de l’État d’urgence mais parfois pour des motifs opposés. Dans une interview au JDD le député Pouria Amirshahi dissident du parti socialiste et gauchisant notoire critique l’état d’urgence mais pour son aspect trop répressif vis-à-vis des libertés. Un propos très discutable mais qui mérite d’être connu car il témoigne bien de certaines interrogations dans l’équilibre à trouver entre démocratie et liberté face à un terrorisme qui déstabilise les analyses classiques à droite et comme ici à l’extrême gauche.
Quelle a été votre réaction après l’attentat de Nice, jeudi soir?
L’effroi, comme tous. Mais j’ai attendu que le délai de décence soit passé avant de m’exprimer. La surenchère de certains politiciens de droite et du FN fut indécente, insultante et méprisante à l’égard du traumatisme collectif. Bien sûr, gouverner n’est pas facile en ces temps meurtriers mais le gouvernement est lui aussi pris par la peur de l’Histoire. Il se recroqueville sur l’appareil sécuritaire.
Quel bilan faites-vous de l’état d’urgence, que François Hollande a demandé à prorogé vendredi?
Avant l’attentat de Nice, on venait d’annoncer sa fin. Et après chaque attentat, on le prolonge, sans que cela n’empêche le prochain de se produire. C’est sans fin ! Ceux qui appellent « l’état d’urgence permanent «de leurs vœux ont en tout cas satisfaction.
Que reprochez-vous à l’état d’urgence?
Je ne suis plus si seul, car la commission d’enquête parlementaire signale elle aussi que l’état d’urgence est d’une « portée limitée ». Il repose en réalité sur un mensonge. Le Premier ministre indique que cela consiste à déployer des policiers supplémentaires. Ça, en réalité, c’est le plan Vigipirate, sans compter que n’importe quel préfet peut décider de mesures d’ordre public. L’état d’urgence consiste en un débranchement du juge judiciaire (y compris le juge antiterroriste ce qui est un comble !), avec des perquisitions ou des assignations à résidence parfois arbitraires. En effet, ce ne sont plus les « activités » suspectes d’un individu qui déclenchent une opération de police, mais son « comportement ». Cette banalisation de l’arbitraire implique la restriction de l’Etat de droit. Or nous devrions défendre le droit quand Daesh n’est qu’injustice et violences.
Au-delà de l’état d’urgence, c’est l’attitude de l’exécutif que vous critiquez…
Avant même de savoir si l’Etat islamique revendique l’attentat, le président de la République a décidé tout seul que notre pays allait intensifier les bombardements en Irak et en Syrie. N’importe quelle démocratie ferait autrement. Surtout depuis Bush… C’est le signe que les gouvernants (déjà sous Sarkozy et ce serait pire avec Le Pen) sont fébriles, le gouvernement perd trop vite son sang-froid. Le président de la République ne devrait pas se précipiter dans la procédure sécuritaire mais rassembler le pays et consulter le Parlement afin de prendre des décisions éclairées. Nous voulons tous être protégés, mais, à part des imbéciles, nous voulons aussi comprendre pour agir. Là, l’émotion devenue reine empêche tout.
Comment assurer la sécurité des Français de manière plus efficace?
En déployant davantage de juges judiciaires. Comme le dit Marc Trévidic, il faut redonner des moyens d’investigation et d’enquête au monde judiciaire car pendant l’état d’urgence, il n’y a pas d’enquête véritable. Cela déploiera des policiers sur le terrain des investigations et engagera une désescalade de tensions dans la police. C’est nécessaire, car les forces de l’ordre sont actuellement à bout, au risque de déraper. Le dispositif de renseignement est mal coordonné. Enfin, au lieu de supprimer des postes d’éducateurs de rue par centaines, il faudrait en recruter pour repérer ceux qui risquent de partir en vrille. Aujourd’hui, on fait le contraire de ce qu’il faudrait en termes de méthode. Il faut par exemple, comme dans d’autres pays, écouter les chercheurs et les vrais spécialistes de l’Orient compliqué, ce n’est pas le cas.
Quel regard portez-vous sur la société française?
Elle est disponible pour prendre sa part dans l’effort. C’est elle qui est visée par les terroristes. Elle ressent le besoin qu’on lui explique ce qu’il se passe. Mais quand vous figez par un discours de peur une société qui est déjà traversée de multiples fractures, cela complique la tâche. L’idée, c’est d’entraîner le pays vers la conscience collective en raisons de deux enjeux : le premier, c’est de comprendre pourquoi la France est la cible de ce semi-Etat qu’est Daesh, et comment se protéger en conséquence. Pour l’éradiquer, la solution mécanique n’est pas la guerre mais une autre politique étrangère. Le deuxième, c’est que nous avons chez nous des personnes qui se radicalisent car elles sont humiliées et ont coupé les ponts avec les institutions républicaines. Elles ne sont pas nées assassins, faut-il le rappeler? Tout cela montre que nous devons prendre conscience du temps long.