SNCF : une reforme ambigüe
La réforme du fer du gouvernement est inspirée du rapport Bianco dont l’objet est résoudre la dette structurelle du système ferroviaire ; pour cela, il compte surtout sur une réforme de structures, sorte de compromis entre les souhaits français et les orientations européennes. Dans cette nouvelle organisation, l’Etat semble reprendre en main la gouvernance du rail, il n’est cependant pas certain que les moyens soient à la hauteur de l’enjeu de l’endettement d’autant que pour l’essentiel c’est le système ferroviaire lui-même qui devra éponger la dette et également assurer le financement de la modernisation du réseau existant.
Les cinq axes de la réforme :
- un Etat stratège qui garantisse une véritable ambition pour le système ferroviaire français,
- une réforme de l’organisation,
- la définition d’une régulation économique et financière forte pour la maîtrise de l’endettement
- la construction d’un nouveau pacte social,
- l’euro-compatibilité du projet de réforme
Un Etat stratège
Affirmer le caractère « stratégique » de l’Etat ne suffit pas pour donner un contenu. Toute définition de stratégie commence d’abord par une analyse pertinente de l’environnement, des forces et faiblesses du secteur. Deuxième dimension, méthodologique celle-là, la vision prospective. Certes on ne peut pas définir l’avenir mais on peut tracer des scénarios possibles de l’évolution de l’environnement économique des transports et de la place du ferroviaire. Pour faire simple, disons qu’il n’y a pas de cadrage macro économique pour le présent, ni pour le futur, ni d’hypothèses d’évolution des transports et plus particulièrement du rail. Par exemple quelles seront les perspectives de croissance, de consommation, de mobilité, de parts de marché sans parler des perspectives d’évolution budgétaires des collectivités publiques. Sur ce dernier aspect, on ne peut faire l’impasse de la situation économique française caractérisée par un taux de prélèvement obligatoire qui tue la compétitivité. Témoin l’évolution dramatique de la balance des échanges ou encore le chômage. La reconquête de la compétitivité passera inévitablement par un allégement de la fiscalité qui pèse par excès sur la production mais aussi sur la consommation. En clair, l’Etat devra se serrer la ceinture, ce qu’il n’a fait qu’à la marge pour l’instant en privilégiant à la place la création de nouveaux impôts. Pour le groupe ferroviaire, il faut s’attendre à une réduction progressive des contributions publiques ; réduction qui ne s’appliquera pas qu’au rail mais à l’ensemble des dépenses de l’Etat et des collectivités locales. D’une certaine manière comme le rapport fait l’impasse sur la dimension macro économique, on peut supposer qu’il sous-tend un maintien des contributions publiques au niveau actuel. Si c’est le cas (bien que ce soit fort improbable dans la réalité) alors il faut le dire clairement. Sinon on ne peut que se féliciter de l’ambition de l’Etat de redevenir stratège, pour le rail d’ailleurs comme pour l’ensemble du secteur des transports. Pour l’instant c’est surtout la doctrine ultralibérale de Bruxelles qui l’a emporté. Que l’Etat veuille redonner une véritable ambition pour le système ferroviaire constitue une bonne intention mais à condition de faire une analyse pertinente de la situation et de tracer des perspectives crédibles. Ceci étant l’Etat (les collectivités en général) est dans son rôle compte tenu du caractère stratégique du rail, de son coût et de ses effets économiques et sociaux. Pour démontrer ce caractère de stratège de l’Etat le rapport Bianco est toutefois un peu court dans son argumentation économique.
La reforme de l’organisation
Cette réforme prévoit la mise en place d’un « haut comité des parties prenantes » (établissement mère) qui en fait va chapeauter d’un coté un pole infrastructure regroupé, le GIU (gestion des infras et des circulations), de l’autre un pôle opérateur (la SNCF sans la gestion des infras). On sent bien que le rapport a tenté l’exercice impossible de l’euro compatibilité du projet. D’un coté l’Europe (les technostructures et le commissaire européen Kallas en particulier) veut une autonomie complète du gestionnaire d’infrastructures, de l’autre la France et l’Allemagne militent pour des convergences techniques et économiques entre les fonctions infra et transporteur. Pas sûr que ce projet rassure Bruxelles ; il risque aussi de mécontenter la SNCF qui avait au contraire pour ambition de regrouper les deux fonctions. Des incertitudes semblent planer sur le statut des trois établissements, sans doute des EPIC. Reste à savoir si juridiquement il sera possible de faire dépendre deux EPIC (GIU et transporteur d’une autre EPIC). Des questions se posent particulièrement pour le « haut comité des parties prenantes » (établissement mère) dont l’appellation paraît à la fois curieuse et ambigüe. Cela d’autant plus que certaines parties prenantes comme les usagers et clients seront exclues des instances dirigeantes (dans les conseils administration et le conseil de surveillance). Par contre dans ces conseils, l’Etat et les politiques seront en force. L’entrée de politiques dans la gestion d’une activité économique renforce encore le caractère d’étatisation de la reforme. On peut largement douter des compétences de ces administrateurs en matière de gestion notamment financière si on se fie à la situation catastrophique dans ce domaine tant de l’Etat que des collectivités locales. Or comme l’Etat ne prévoit pas de prendre en charge l’amortissement de la dette et que finalement il entend en faire supporter entièrement le poids par les nouveaux établissements, il aurait sans doute été pertinent que la représentation dans les conseils en tienne compte. D’une certaine façon , la création d’un haut comité des parties prenantes constitue aussi un désaveu de la gestion par la tutelle actuelle jusqu’à ce jour. Il convient enfin de prendre en compte que toute nouvelle création de superstructure risque de créer des coûts non négligeables de fonctionnement qui viendront s’ajouter à ceux de la tutelle actuelle. Notons qu’en plus on maintient l’ARAF (autorité de régulation) dont se demande alors quelle sera l’utilité. D’une manière générale, on semble privilégier la reformes des structures à la refondation du modèle économique, ce qui est caractéristique des approches étatiques.
La maîtrise de l’endettement
En fait c’est l’enjeu majeur mais on manque cruellement de précision concernant le plan de désendettement. Le rapport indique que chaque établissement pourra contribuer chacun à hauteur de 500 millions annuels à l’amortissement de la dette. Or aujourd’hui les dettes cumulées de RFF et de la SNCF (dette SNCF dont curieusement on ne parle pas dans le rapport !) se chiffre à environ 40 milliards. On voit mal comment on pourra résorber la dette en 20 ans si la contribution est d’un milliard par an. D’autant que cet apport de 1 milliard par an est très hypothétique surtout pour l’actuel RFF dont l’endettement est de 30 milliards ; il semblerait qu’on attende en fait un apport de 1.5 milliards par an (ce qui correspond actuellement au déficit du système ferroviaire) des deux nouveaux établissements opérationnels, une somme encore plus hypothétique. On peut imaginer que le GIU va facturer ses nouveaux services d’utilisation des infrastructures mais aussi de gestion des circulations. Ce sera sans doute l’occasion d’augmenter de manière très substantielle les péages mais avec le double risque que l’opérateur ne parvienne plus à dégager la contribution financière attendue voire aussi que les recettes baissent du fait d’augmentation concomitante des tarifs. Tarifs déjà considérés comme trop élevés tant par les clients que les collectivités ou encore les experts. L’étude détaillée d’un plan financier manque cruellement ; c’est l’insuffisance majeure de ce rapport finalement très littéraire pour aborder des questions financières qui sont elles très quantitatives. Résumons la logique financière du rapport : La SNCF va transférer des charges sur le GIU qui va les facturer à l’opérateur dans les péages. La très forte hausse des péages sera un bon moyen de freiner le développement de la concurrence mais en même temps affaiblira la rentabilité de la SNCF. Autrement dit on aura seulement opérer un transfert de déséquilibre entre les deux établissements.
Le nouveau pacte social,
On affirme en préalable que le statut des cheminots sera maintenu, ce qui signifie un engagement au moins jusqu’en 2035 puisque la reforme couvrira deux plans décennaux (avec actualisation tous les trois ans). Or d’ici 2035 de grandes mutations seront intervenues dans le champ socio- économique. D’ici cette échéance, il est vraisemblable que le système général de retraites sera complètement revu (ou aura éclaté) y compris pour les régimes spéciaux. Le COR ( conseil orientation des retraites ) a souligné les risque d’éclatement du système des retraite du régime général avec un déficit de l’ordre de 20 milliards dès 2013, ce conseil note que la pension moyenne d’un retraité de la SNCF ou de la fonction publique d’Etat est actuellement de près de 23 000 euros, celle des cadres du privé est d’environ 20 000 euros (retraites de base et complémentaires confondues), et de 10 756 euros pour les non-cadres (base et complémentaire). (Il s’agit de moyennes). Sur la tendance actuelle La pension moyenne des fonctionnaires atteindront 27 000 euros en 2050, alors que celle des cadres du privé devrait plafonner à 22 500 euros et celle des retraités non-cadres du privé à 14 152 euros. La progression des pensions des régimes spéciaux de la SNCF, d’EDF-GDF est encore plus marquante : elles devraient presque doubler en quarante ans pour s’établir en moyenne à 40 000 euros par an 2050. Ces inégalités s’expliquent en grande partie par le fait que les retraites complémentaires du privé évolueront moins vite que les retraites du public. Par ailleurs, les pensions des fonctionnaires sont calculées sur les six derniers mois de salaire, contre les 25 meilleures années pour les salariés du privé. Une réformes des régimes complémentaire du privé vient intervenir, elle sera suivie de celle du régime général sans doute dès 2014, elle- même suivie de celle des régimes spéciaux .La question du montant des retraites, de l’âge de départ, du montant des cotisations sera donc revue pour tous les salariés. En outre sera posée un jour ou l’autre la question d’un statut privé pour les nouveaux embauchés. La problématique sociale n’est pas anodine puis les recettes espérées de l’effort de productivité reposent essentiellement sur la maîtrise de la masse salariale qui représente environ 50% du chiffre d’affaires.
La modernisation des services
Dans le rapport on se propose de geler les nouvelles lignes à grande vitesse afin d’exploiter de manière plus rationnelle l’existant. En 2016 et 2017 devraient donc être mis en service les 182 km de la ligne Bretagne-Pays de la Loire, entre Rennes et Le Mans, les 302 km entre Tours et Bordeaux sur la LGV Sud Europe Atlantique, la soixantaine de kilomètres du contournement de Nîmes et Montpellier et les 106 km de la LGV Est européenne « phase 2 » Par ailleurs, un effort particulier sera fait dans l’urbain. Deux secteurs d’activités risquent d’être menacés voire partiellement ou totalement abandonnés, le Fret et les trains d’équilibre du territoire particulièrement déficitaires. Sur la tendance actuelle, le fret ferroviaire aura sans doute disparu d’ici 20 ans. En tout cas au sein de l’opérateur SNCF. Pour de nombreuses raisons ; d’abord qui tiennent à la politique très libérale dans le secteur marchandises mais aussi à l’obsolescence de l’offre ; a peu près tous les gouvernements, tous les ministres ont promis la résurgence du fret ferroviaire depuis 20 ans ; les dernières promesses ayant été formulées lors du Grenelle de l’environnement. On envisageait même alors le quasi suppression du transport routier ! Des promesses évidemment de nature politicienne qui ne tenaient compte d’aucune réalité. Pour les trains d’équilibre du territoire, certains seront maintenus mais beaucoup risquent de disparaitre car ni l’Etat, ni les collectivités n’ont l’intention de les soutenir financièrement. Là aussi l’offre est obsolète, il faut remplacer les vieux Corail ; on se limite à évoquer une nouvelle « offre à 200kms heures » qui ne constitue pas en soi une grande nouveauté. C’est d’un nouveau TGV dont il faudrait parler et pas simplement d’un aménagement secondaire de l’existant. Le succès de l’industrie ferroviaire de voyageurs tient surtout aux lignes nouvelles et au nouveau progrès du TGV. Figer la situation pendant 20 ans c’est à coup sûr porter à rude coup à cette industrie déjà très concurrencée. De ce point de vue le rapport manque d’ambition et de souffle.
En conclusion un rapports plein de bonnes intentions notamment pour la suppression de la dette mais dont le contenu demeure très flou voire ambigu ; Un document qui se caractérise une absence d’analyse du contexte macro économique et de la politique des transports ,par son imprécision extrême en matière de chiffres voire par une absence de chiffrage détaillé ; ce qui enlève beaucoup de crédibilité à l’affichage politique du redressement ferroviaire, enfin par une approche assez étatique des mutations à opérer .