Vous vous êtes engagé à durcir les modalités d’accès à l’assurance chômage. Qu’avez-vous décidé ?
GABRIEL ATTAL - Je suis attaché à notre système d’assurance chômage, pilier d’un modèle social que nous voulons préserver. Le cœur du financement de ce modèle social, c’est le travail. Notre action est d’aller vers le plein-emploi. Nos réformes ont permis de créer 2,5 millions d’emplois, notre taux de chômage est au plus bas depuis quarante ans… Nous avons montré que nous n’étions pas condamnés au chômage de masse. Mais si nous ne réformons pas l’assurance chômage aujourd’hui, nous risquons de caler sur la route du plein-emploi. Cette réforme, c’est donc le carburant qui nous permettra de créer toujours plus de travail dans notre pays. C’est aussi un renouvellement de notre pacte social : oui, la solidarité aide ceux qui en ont besoin en cas de coup dur. De plus, le financement de notre protection sociale ne doit pas uniquement reposer sur l’effort de classes moyennes. Les Français nous demandent de valoriser encore plus le travail : c’est ce que nous faisons. Très concrètement, nous allons changer les conditions pour avoir droit au chômage. Jusqu’ici, il fallait avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois pour percevoir une indemnisation. À l’avenir, il faudra avoir travaillé huit mois sur les vingt derniers. Nous prolongeons la réforme engagée en 2019, dont les études montrent qu’elle produit ses effets. Par ailleurs, nous conservons un régime plus généreux que nos voisins, en nous rapprochant du système allemand, où il faut avoir travaillé douze mois sur trente. Au Portugal et au Royaume-Uni, c’est douze mois sur vingt-quatre, et seize mois sur trente-trois en Belgique.
Une récente étude de l’Unedic montre que réduire la durée affiliation va affecter en priorité les plus jeunes et les CDD… donc les plus précaires.
La plus grande arme contre la précarité, c’est le travail. Or, une étude de la Dares montre que renforcer les conditions d’affiliation a un impact sur le retour à l’emploi. Nous l’avons fait dans la réforme de 2019. Nous étions passés de quatre mois sur vingt-huit à six mois sur vingt-quatre : cela a marché et accéléré le retour à l’emploi. Par ailleurs, cette réforme est prise dans un contexte où il y a des créations d’emplois – près de 50 000 encore au premier trimestre – et où beaucoup d’entreprises ne parviennent pas à recruter.
Mais ces changements vont de facto réduire la durée d’indemnisation…
Oui, comme nous réduisons la période de référence d’affiliation, il y aura un impact sur la durée d’indemnisation. J’assume de dire que, dans les conditions actuelles, cette durée d’indemnisation passera donc de dix- huit mois à quinze mois. Dans le même temps, nous renforçons massivement l’accompagnement avec France Travail.
Les partenaires sociaux vous accusent de démagogie…
Nous leur avons laissé huit mois pour négocier sur l’emploi des seniors. Ils ne sont pas parvenus à un accord. La ministre du Travail, Catherine Vautrin, les a rencontrés la semaine dernière pour échanger sur les paramètres. C’est en responsabilité que nous prenons ces décisions. Cette réforme de l’assurance chômage entrera en vigueur à l’automne. J’ai parlé d’« automne du travail ». Nous allons prendre un décret, le 1er juillet, pour qu’elle puisse entrer en vigueur le 1er décembre.
Cette réforme, c’est donc le carburant qui nous permettra de créer toujours plus de travail dans notre pays
Et concernant les seniors ?
Le taux d’emploi des seniors continue de progresser grâce aux réformes que nous avons engagées. Des propositions de suppression de la filière seniors ont été faites par certains. Mais je refuse que cette filière seniors soit supprimée, car il est important de maintenir une protection et des règles spécifiques. Dans la discussion des partenaires sociaux, un consensus semblait s’être établi autour de l’application mécanique de la réforme des retraites, ce qui signifie le relèvement de deux ans, de 55 à 57 ans, de la filière. Je reprends cette mesure dans notre réforme. Mais ce n’est pas tout. À partir d’un certain âge, quand on perd son emploi, on est souvent condamné au chômage. Je veux débloquer les recrutements pour les seniors en créant un bonus emploi senior pour mieux accompagner la reprise d’emploi : un senior au chômage qui reprendra un emploi moins bien rémunéré que son emploi précédent pourra cumuler son nouveau salaire avec son allocation chômage pour atteindre le même salaire qu’il avait avant de tomber au chômage. Par exemple, prenons un demandeur de 57 ans qui était payé 3 000 euros brut et qui est indemnisé 1600 euros mensuels par France Travail. Demain, si on lui propose un emploi à 2 000 euros brut – donc 1 000 euros de moins que son ancienne rémunération -, il pourra cumuler ce nouvel emploi à 2 000 euros avec 1 000 euros versés par l’Assurance chômage. Et il retrouvera ainsi sa rémunération initiale pendant un an.
N’est-ce pas inciter les patrons à payer moins les seniors ?
Non, c’est pour cela qu’il y a un plafonnement. L’idée est de permettre de montrer aux entreprises qu’elles ont tout intérêt à recruter des seniors. Mais j’estime que nous pouvons aller plus loin pour l’emploi des seniors. C’est pourquoi je souhaite que de nouvelles mesures soient prises dans l’acte 2 de la réforme du travail. Je pense par exemple à la création de l’« index seniors », prévu par la réforme des retraites et censuré par le Conseil constitutionnel. Je souhaite aussi que la proposition des partenaires sociaux de créer un CDI senior soit étudiée. Catherine Vautrin lancera des négociations après l’été pour un texte de loi d’ici à la fin de l’année.
Quels sont vos objectifs d’un point de vue budgétaire ?
Ce n’est pas une réforme d’économie, mais de prospérité et d’activité. Preuve en est : la précédente réforme, en 2019, nous l’avions faite quand le déficit était à 3%. Le gain se mesurera par un nombre plus important de Français qui travailleront. Et donc plus de financements pour notre système.
Allez-vous généraliser le bonus-malus ?
Tout le monde doit partager l’effort. Il faut continuer à lutter contre la précarité des contrats courts et améliorer la qualité de l’emploi. Je suis attaché au bonus-malus, mis en place en 2021, et dont les études montrent qu’il responsabilise les entreprises. Ce système permet de baisser les cotisations des entreprises qui signent des contrats de plus longue durée. Aujourd’hui, 7 secteurs sont concernés et je souhaite examiner l’opportunité de l’étendre en fonction de l’évaluation à conduire. Comment ? Je charge Catherine Vautrin de mener une concertation pour identifier les secteurs qui auront vocation à entrer dans ce système et à quel rythme.
Je veux débloquer les recrutements pour les seniors, en créant un bonus emploi senior
Le chômage remonte légèrement. Conservez-vous le principe de contracyclicité ?
Quand l’économie va mieux, les règles doivent inciter davantage à la reprise d’emploi. Au contraire, quand le contexte est moins favorable, il faut accompagner sur une plus longue durée les demandeurs d’emploi. Pour préparer le rebond économique de 2025 que nous annoncent les prévisionnistes, je souhaite que les règles soient encore plus incitatives quand la croissance repartira davantage et que le taux de chômage diminuera.