L’Allemagne se dirige donc vers des élections anticipées. Scholz a perdu le vote de confiance des députés. Clap de fin pour la coalition qui avait déjà implosé le 6 novembre dernier.
En cause ? Pour faire court, le budget, et surtout le fameux frein à l’endettement public inscrit, sous Merkel, dans le marbre de la Constitution allemande. Le budget de l’État fédéral ne peut, légalement, dépasser 0,35% du PIB du pays, et les 16 Länder, de leur côté, n’ont plus le droit de contracter quelque nouvelle dette que ce soit.
L’Allemagne se retrouve donc dans une situation aberrante où elle n’a jamais profité des taux négatifs – qui ont pourtant duré plusieurs années – pour investir. Son frein à l’endettement lui a systématiquement fait sous-investir dans ses infrastructures, sous prétexte de protéger ses jeunes générations qui, aujourd’hui, disposent d’une des plus mauvaises connexions internet en Europe.
Au final, ce pays semble s’acheminer vers une situation critique, car des décennies d’austérité le laissent désormais avec une économie qui s’est contractée de 5% par rapport à sa tendance pré-pandémique. Après avoir misé tout sur le diesel et sur ses industries certes de prestige, mais à présent poussiéreuses et d’un autre âge, le déclin de sa compétitivité coûtera à chaque famille 2’500 euros par an (selon Bloomberg). Madame Merkel peut bien se réveiller opportunément et proposer dans sa toute récente autobiographie intitulée « Liberté » de repenser ce frein à l’endettement.
L’Allemagne est tout de même condamnée à stagner, voire à régresser, car des décennies de négligences, d’avarice, de maltraitance de ses salariés avec les mini jobs, de choix stratégiques systématiquement biaisés par son appât du gain et par son fétichisme budgétaire seront très difficiles à surmonter.
Deutsche Bahn et son réseau ferré sont le symbole par excellence de l’enfer que sont devenus aujourd’hui les trajets en train dans ce pays. Les fans et les supporters de l’EURO 2024 ont découvert avec effarement que des retards de 30 à 45 minutes étaient systématiques. Un ami allemand me disait il y a peu que le « chaos du rail allemand est une honte nationale, car tout y est à moderniser, à changer, à jeter ». L’Allemagne y a investi ces 20 dernières années moins que n’importe quelle autre nation européenne, par tête d’habitant. Pire même, puisqu’elle a réduit son réseau de 40.000 à 34.000 km lorsqu’elle avait pour projet de privatiser Deutsche Bahn… pour séduire de potentiels investisseurs.
Les économistes allemands à l’impeccable orthodoxie, comme ses politiques à l’hiératique ordolibéralisme, peuvent être fiers de leurs excédents et de leur rigueur. Il est toutefois nettement plus facile d’afficher des comptes équilibrés pour prétendument protéger les générations futures, que de calculer les ravages qu’exercent factuellement leur entêtement sur ces mêmes jeunes générations.
Qu’à cela ne tienne : l’allemand a sa temporalité, ses blocages et son inertie qui lui sont propres. La moitié des Allemands reste aujourd’hui persuadée que la pauvreté et que le chômage de masse subis au début des années 1930 étaient la résultante de l’hyperinflation ayant sévi 10 ans auparavant. Moins d’un allemand sur 25 est informé de la réalité, à savoir que c’est la déflation qui fut responsable de leurs déboires.
_____
(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales, écrivain. Il vient de publier un ouvrage critique sur la Banque centrale suisse : BNS : une banque centrale ne devrait pas faire ça. Son fil Twitter.