Le président algérien sortant Abdelmadjid Tebboune a été réélu le 7 septembre 2024 pour un deuxième mandat avec un score record de près de 84 % des voix, selon des résultats officiels définitifs publiés par la Cour constitutionnelle. Les premiers résultats dévoilés le 7 septembre annonçaient une victoire du président sortant avec près de 95 % des suffrages exprimés, lors d’un scrutin marqué par une désaffection persistante de l’électorat.Face au chef d’Etat sortant, seuls deux candidats étaient en lice: le chef du parti islamiste modéré Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abdelaali Hassani, qui s’est adjugé 9,56 % des voix, et Youcef Aouchiche, leader du Front des forces socialistes (FFS, plus vieux parti d’opposition) qui a obtenu 6,14 %. Les trois candidats, dont le président réélu, ont accusé l’Agence nationale indépendante des élections (ANIE, organisme chargé d’organiser les élections) d’ «irrégularités» et de «contradictions».
Lahouari Addi, auteur de plusieurs publications sur le système politique algérien, analyse les résultats de ce scrutin pour The Conversation Africa.
Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de cette élection ?
L’un des principaux enseignements est que le régime ne veut pas changer, il ne veut pas s’ouvrir à la société civile et rendre effectif le pluralisme politique. Le premier mandat d’Abdelmadjid Tebboune (2019-2024) a été marqué par l’arrestation de dizaines d’activistes et de journalistes, et rien n’indique que cela va changer.
Il semble que le bilan de Tebboune en matière de droits humains et de libertés publiques soit pire que celui d’Abdel Aziz Boutéflika, son prédécesseur. Des promesses ont été faites durant la campagne électorale, notamment la construction de deux millions de logements et l’augmentation des salaires des travailleurs et des fonctionnaires, mais elles ressemblent à toutes les promesses électorales : demain, on rase gratis.
Comment ces résultats affecteront-ils la dynamique politique de l’Algérie ?
Il y a deux chiffres qu’il faut retenir : le taux d’abstention qui a été de 77 % et le score officiel de Tebboune : 84 %. D’un côté, l’abstention est forte, ce qui signifie que la population rejette le candidat du régime; de l’autre, le résultat obtenu par Tebboune est irréaliste. Il n’existe pas de candidats élus à 84 % si le vote n’est pas truqué. En démocratie, le candidat qui obtient 51 % est élu et il est légitime. Si le chiffre est gonflé, c’est qu’il ne correspond pas à la réalité.
Ce sont là des pratiques de régimes autoritaires qui n’acceptent pas l’idée qu’une opposition existe, même si elle est minoritaire. Le régime a donné aux deux autres candidats les chiffres de 9,56 % et 6,14 %, et il ne peut supporter l’idée que les concurrents de Tebboune aient obtenu des chiffres supérieurs à 10 %. Par conséquent, à travers ces chiffres le régime s’est discrédité à l’intérieur et à l’extérieur.
L’abstention des électeurs n’est pas de la résignation mais plutôt une forme de résistance passive. Sans violence, la majorité de la population exprime son rejet du régime.
En ce qui concerne le score dérisoire du Parti islamiste modéré, à mon avis, les chiffres publiés officiellement ne sont pas réels. Nous ne savons pas quel est l’ancrage électoral des islamistes car il n’y a pas de sondages et les chiffres officiels des élections ne sont pas crédibles. Mais selon les observateurs, les islamistes ont perdu de leur popularité qu’ils avaient il y a vingt ans, même s’ils demeurent un courant important.
Quels sont les défis et opportunités auxquels le pays sera confronté au cours de cinq prochaines années?
Ces défis seront notamment économiques. Tant que le prix du pétrole est relativement élevé, l’Etat aura les moyens d’acheter la paix sociale. Mais malgré cela, les jeunes continuent de traverser la Méditerranée au péril de leur vie. L’émigration clandestine vers l’Espagne est le signe que Tebboune ne trouve pas de solution aux problèmes auxquels sont confrontés les jeunes : le chômage et la drogue.
L’autre défi est régional. Les relations entre l’Algérie et les États du Sahel, qui étaient bonnes il y a quelques années, sont mauvaises. Le Mali accuse l’Algérie d’ingérence, et celle-ci ne voit pas d’un bon œil les mercenaires de Wagner à sa frontière. Ils sont accusés de tuer des touaregs maliens qui ont des cousins en Algérie.
Par ailleurs, le Maroc semble remporter des victoires diplomatiques sur la question du Sahara occidental, ce qui pose problème à Tebboune. Récemment, la France a reconnu la marocanité du Sahara, ce que l’Algérie a officiellement dénoncé. L’Algérie n’est plus la puissance diplomatique du tiers-monde qu’elle était dans les années 1960 et 1970. Visiblement, Tebboune n’a pas la stature internationale pour parler de la paix au Sahel, de la guerre à Gaza, de l’Ukraine, etc. Et cela ennuie beaucoup les militaires qui ont misé sur lui pour faire sortir l’Algérie de son isolement.