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France et laïcité : déclin ou sursaut ? – par Alain Bauer

France et  laïcité : déclin ou sursaut ? – par Alain Bauer

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée » (dans  » L’Opinion »)

La laïcité, terme incompréhensible et inexportable hors de France, trouve ses racines dans l’affirmation d’un Etat fort et supérieur aux cultes. Elle a trouvé une sorte d‘équilibre instable entre les lois Debré ou Guermeur et les tentatives socialistes de renationaliser l’école, se limitant le plus souvent à un affrontement régulier entre ultra-catholiques et archi-laïques.

Plusieurs mouvements vinrent bouleverser les habitudes : l’apparition de consommateurs d’école quittant le public pour le privé dans le secondaire, face à la lente mais réelle détérioration du service public éducatif ; l’arrivée massive de jeunes issus des immigrations et d’une culture qui avait peu connu les confrontations précédentes ; la remise en cause, par le biais d’algorithmes déjantés, de tout ce qui pouvait faire débat, au nom de croyances devenues autant de vérités alternatives.

La France reste un pays curieux, inclassable. L’Etat y a construit une Nation, agrégeant des territoires, des langues, des cultes et des cultures, autour d’un système centralisé, unitaire et très pyramidal.

 En imposant une laïcité qui rassemble, Jean Jaurès avait forcé les ultras radicaux à s’accommoder d’une cohabitation avec une église. Personne n’avait vu venir la puissance des effets de l’importation massive de travailleurs venus compenser les pertes humaines de la première Guerre mondiale ni des décisions concernant le regroupement familial au début des années soixante-dix, donc de l’apparition d’un espace musulman en France. Encore moins de grand effort de déconstruction des structures qui avaient affirmé un « roman national » pendant si longtemps.

Conflit. Mais le refus de la compréhension de la dimension spirituelle, l’incompréhension des travaux de la mission dirigée par Régis Debray sur le fait religieux, l’incapacité du « mammouth » à comprendre qu’il n’est pas de sanctuaire si on ne lui fixe pas des règles et des bornes, a pourri le système et l’a peu à peu désagrégé. Bien plus que cela, la fin du concept de « vérité » impulsé par les réseaux sociaux, a mis à mal toute capacité d’imposer un référentiel commun. Trolls, enragés, manipulateurs, intégristes de toutes natures, ont trouvé un espace naturel de développement très peu, très mal et très tardivement combattu par les gouvernements démocratiques.

 Depuis Samuel Paty ou Dominique Bernard, de manière moins tragique mais souvent violente, chaque jour rappelle, en classe ou sur les réseaux sociaux, que la bataille fait rage entre ce qui fait Nation et ce qui isole en communauté.
 Les évènements récents ne sont qu’un des épisodes d’un conflit de plus en plus visible qui impose une action ferme envers les parents et les élèves, qu’il faut aider et intégrer, les collègues et personnels, qu’il faut véritablement protéger.
 La laïcité n’est ni un culte, ni une évidence. Elle n’est pas punitive. Depuis l’affaire des « foulards de Creil », le camp laïc est divisé, fragilisé, affaibli. Il est quasi impossible de se mettre d’accord sur une définition commune. Essayons donc celle-ci : la liberté de croire, de ne pas croire, de changer de religion. Le respect de la Constitution et des valeurs qu’elle défend. La primauté de la science et de la démonstration par les faits. Bref, un retour aux fondamentaux qui avaient permis de sortir de notre « guerre des deux France » pour éviter ce face-à-face qui se développe et mine la structure de la République.

Alain Bauer est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est l’auteur d’Au bout de l’enquête, paru aux Editions First

Société «La haine». (Alain Bauer)

Société «La haine». (Alain Bauer)

Alors qu’Israël hésite encore entre puissante incursion ou invasion de la bande de Gaza, et réduit encore ce minuscule territoire de 360 km2 de moitié et crée une frontière intérieure marquée par le Wadi Gaza, une « rivière » composée de sources naturelles et immense déversoir des eaux usées des deux millions d’habitants du territoire, il faut déjà se projeter sur un possible « après ». Dans un processus plein de fureur, de revanche et de vengeance mêlée, que l’indifférence mondiale doublée du doute devant la barbarie même des exactions terroristes menées par le Hamas, dont la plupart des actions le 7 octobre visaient des civils dans des habitations clairement identifiées et préalablement repérées, incluant des assassinats, des enlèvements, des actes de torture.

par Alain Bauer est professeur au Conservatoire national des arts et métiers. dans Lopinion.
Il vient de publier «Au commencement était la guerre» (Fayard).

A la différence du droit de la guerre, il n’y a pas de « droit du terrorisme ». Pas de crimes de guerre, juste des crimes. Qui peuvent s’ajouter, mais pas se cacher derrière des crimes de guerre menés par des unités militaires et faisant des victimes civiles collatérales ou usant de moyens barbares contre des militaires adverses. Les enfants enlevés ou tués, vivaient le 7 octobre dans les villages israéliens implantés dans les frontières de 1967 reconnues par la dernière version de la charte du Hamas, étaient des cibles principales, délibérées, préméditées. Le Hamas le proclame et en diffuse les preuves directement. A défaut de croire Israël, croyons le Hamas quand il l’avoue spontanément…

Il ne s’agit pas de marquer politiquement une organisation politique qui défendrait les droits des Palestiniens de Gaza, qu’il a pris en otages bien avant les malheureux raflés la semaine dernière, mais bien d’en identifier la nature morale. Terroriser volontairement, directement, sciemment, des civils, est du terrorisme. Point.

Il y aura un après Hamas. Comme il y eut un après GIA, un après al-Qaida. Ce fut toujours pire
Chute. S’il est difficile, voire inaudible d’appeler Israël à la retenue, à la maîtrise, au ciblage précis de son action de représailles, il faut encore et toujours essayer. Même si le camp de la paix a été noyé dans le sang des exécutions sommaires perpétrées par le Hamas, il faut encore essayer de sauver les accords d’Abraham et une stabilisation des relations entre Arabes et Israéliens. Si le Qatar peut encore sauver des otages, l’Arabie saoudite détient la clé diplomatique majeure qui ne pourra pas faire l’économie d’une solution pour les populations palestiniennes devenues pendant ces dernières années une simple variable d’ajustement, permettant à l’Iran de saboter toute initiative de paix dans la région.

Il y aura un après Hamas. Comme il y eut un après GIA, un après al-Qaida. Ce fut toujours pire.

Après la vengeance, après les enquêtes qui prouveront les intentions du Hamas et les responsabilités déjà admises du gouvernement d’Israël qui devra rendre des comptes à son peuple, il faudra bien construire quelque chose qui dépasse la haine intensifiée qui s’est répandue et consolidée ces derniers jours. Et qui restera pour longtemps.

Dans sa version cinématographique qui marqua l’opinion il y a près de trente ans, le public a souvent retenu une phrase devenue « culte » : « l’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. » Ici, tout est dans la chute.

Alain Bauer est professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Il vient de publier «Au commencement était la guerre» (Fayard).

Gaza: La fin de l’illusoire paix (Alain Bauer)

Gaza: La fin de l’illusoire paix (Alain Bauer)

L’attaque, sophistiquée, puissante et coordonnée, puissamment aidée par l’Iran, vient de mettre fin à l’illusion de la paix et du plan issu des
Longtemps, les soulèvements à Gaza ou la guerre de pierres en Cisjordanie s’ordonnaient sous une forme de duel scénarisé permettant à chacun de faire valoir ses droits et de récolter ses soutiens. Une incursion rapide, des représailles, parfois des mobilisations de quelques jours, comme en mai dernier. (par Alain Bauer dans l’Opinion)

Au fil du temps, même le Hamas avait troqué sa détermination à détruire Israël et les Juifs en une possibilité de trouver un accord avec l’Etat hébreu sur les lignes de 1967. L’attaque, sophistiquée, puissante et coordonnée, puissamment aidée par l’Iran, vient de mettre fin à l’illusion de la paix et du plan issu des accords d’Oslo.

Alors qu’Israël et l’Arabie Saoudite avançaient prudemment vers un processus diplomatique de reconnaissance, l’Iran, aux abois face à sa propre société civile, créait les conditions d’une remise en question majeure de la pacification par petits pas engagées depuis quelques années sous les auspices de Washington.

Trois facettes. Il existe en fait plusieurs facettes à ce conflit :

–Un accord tacite Syrie-Iran pour faire du Hamas une puissance équivalente au Hezbollah. Tsahal, l’armée d’Israël, avait payé le prix fort en 2006, en envoyant ses troupes au Liban pour tenter de sauver deux soldats kidnappés en Israël début juillet par la milice chiite, après de nombreux tirs de roquette contre le nord de l’Etat hébreu. Le 14 août 2006, Tsahal cessa ses offensives au Liban sur ordre du gouvernement israélien. La Deuxième Guerre du Liban aura causé la mort de 119 soldats et de 44 civils israéliens. Par ailleurs, 400 soldats et environ 2000 civils israéliens furent blessés. Ce fut la répétition générale de l’opération menée en ce début octobre 2023.

–Un débat interne complexe à l’intérieur du Hamas. Depuis l’exécution ou la disparition des principaux fondateurs de l’organisation qui se réclame des Frères musulmans, des options contradictoires existent sur la manière d’exercer le pouvoir (à Gaza), de le conquérir (au sein de ce qui reste de l’Autorité palestinienne) et de régler le conflit avec Israël. L’aile militaire dirigée par Mohammed Deif et le patron du Hamas à Saza, Yahia Sinwar, semblent avoir pris le dessus sur les « politiques » qui sont le plus souvent à Damas, Téhéran et, dit-on parfois, Istanbul.

Il ne reste plus au Hezbollah qu’à lancer des manœuvres au nord d’Israël et au Jihad Islamique à se rappeler au mauvais souvenir de tous les acteurs pour que cette opération au long cours accouche d’un gouvernement d’union nationale d’un côté et d’une déstabilisation majeure de tous les processus en cours
–Un problème géopolitique ou la plupart des acteurs du Golfe jouent un double ou triple jeu. Le Qatar qui payait, pas assez semble-t-il, pour que l’administration de Gaza fonctionne et qui n’aurait pas revalorisé ses versements depuis septembre, aurait ainsi involontairement laissé la main à l’Iran qui, tout en se rapprochant officiellement de l’Arabie Saoudite, fait tout ce qui lui est possible pour saborder les accords d’Abraham.

Israël, engluée dans un conflit de réforme institutionnelle qui a cassé le consensus national et qui a été attirée par une audacieuse manœuvre d’enfumage sur les risques créés par sa politique sur l’esplanade des Mosquées/Mont du Temple, a aussi perdu de nombreux agents infiltrés depuis quelques mois et qui, faisant trop confiance aux outils technologiques, a perdu sa capacité de prévision des évènements, malgré les alertes de l’AMAN, le service de renseignement militaire.

Surprise. Un peu de géostratégie, quelques négociations d’arrière-cuisine salariale, une opportunité créée par le gouvernement israélien et, cinquante ans après la « surprise de Kippour », Israël est à nouveau pris à défaut. Pas par des Etats, mais par des milices dont la puissance et la mobilité rappellent, comme dans les débuts du conflit ukrainien, qu’on ne gagne jamais la guerre qui vient avec les outils et les méthodes qu’on veut imposer à l’adversaire alors que c’est lui qui a le choix des armes.

Il ne reste plus au Hezbollah qu’à lancer des manœuvres au nord d’Israël et au Jihad Islamique à se rappeler au mauvais souvenir de tous les acteurs pour que cette opération au long cours accouche d’un gouvernement d’union nationale d’un côté et d’une déstabilisation majeure de tous les processus en cours.

A ce « jeu », l’Iran a déjà gagné.

Alain Bauer est professeur au Conservatoire national des arts et métiers, responsable du Pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises. Dernier ouvrage: La guerre ne fait que commencer (Fayard).

Société-Emeutes : une perte complète de sens ( Alain Bauer)

Société-Emeutes : une perte complète de sens ( Alain Bauer)


Par Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers. Il est l’auteur de Au commencement était la guerre, (Fayard, 2023) et de Au bout de l’enquête, ( First, 2023).
intreview dans l’Opinion

Comment expliquer cette flambée de violences urbaines dans un climat qui semblait, selon les spécialistes, plutôt calme ces derniers mois ?

Un calme relatif dans un univers qui n’est jamais serein. Les micro-événements se succédaient : les refus d’obtempérer, on l’a vu à Nanterre malheureusement, les agressions, les drames familiaux et des règlements de comptes plus fréquents dans une expansion des territoires des trafics. En revanche, les violences dites urbaines restaient contenues. La violence se manifestait davantage dans les mouvements contre les bassines à Sainte-Soline et, évidemment, dans le mouvement social contre la réforme des retraites. Ou avec les Gilets jaunes. Une violence plus générale qui masquait les bouillonnements du quotidien. Personne n’est vraiment surpris par l’intensité de ces émeutes depuis mardi. La diffusion de la rage est extrêmement rapide sur des portions de territoire plus larges qu’à l’habitude.


Quelle est la réponse adaptée ?

D’abord, éviter un deuxième événement tragique. Il vaut toujours mieux une vitrine cassée qu’une vie brisée. Puis il faut tenter de limiter la contagion à l’ensemble du territoire même si, au-delà des cités et des grandes villes, les violences s’étendent à des lieux atypiques. Des tirs de mortiers et des voitures incendiées à Clermont-Ferrand, ville ouvrière, c’est inhabituel. Tout comme l’avait été l’attaque de la préfecture du Puy-en-Velay pendant les Gilets jaunes.

Le dosage est toujours délicat entre l’option d’une imposition de l’ordre absolu « quoi qu’il en coûte » et la gestion optimisée du désordre. Ce débat agite les experts du maintien de l’ordre. En France, on oscille toujours dans cet entre-deux. Y compris dans la parole publique, comme le Président l’a fait en parlant d’abord à Marseille mercredi d’une mort « inexcusable » et « inexplicable » puis, le lendemain, en qualifiant d’« injustifiables » les violences de la nuit. Les deux réactions sont compréhensibles isolément. C’est plus complexe à gérer « en même temps ».

Gérald Darmanin a indiqué jeudi que 40 000 policiers et gendarmes allaient être mobilisés. Après 48 heures où les autorités ont semblé subir les événements, ne vont-elles pas réagir ?
Le dispositif doit être réactif et adapté. Le risque d’une vague d’émeutes version 2005 est tel que l’Etat en a pris la mesure en déployant des forces plus nombreuses sur tout le territoire. Il faut souhaiter que l’effet dissuasif fonctionne pour arrêter la casse des équipements publics. Il faudra bien plus pour établir un ordre juste qui ne soit pas juste de l’ordre.


La comparaison avec les violences urbaines de 2005, nées à Clichy-sous-Bois après la mort des jeunes Zyed et Bouna qui avaient tenté d’échapper à un contrôle de police, est-elle valable ?

Sur le plan des déclencheurs de la crise, pas vraiment. En 2005, un triple mécanisme était à l’œuvre. Il y avait une tension sur le marché des stupéfiants. La posture du ministre de l’Intérieur (Nicolas Sarkozy), ses déclarations sur le Karcher, ont entraîné, dans le « camp » d’en face une volonté de confrontation avec l’Etat avant l’arrivée au pouvoir du futur président. La tragédie de deux jeunes « grillant » dans l’enceinte d’un transformateur électrique à Clichy avaient frappé les esprits, a fortiori parce que les autorités avaient brouillé les informations sur les circonstances. Ce qui n’est heureusement pas le cas aujourd’hui. En revanche, les cibles des deux mouvements se ressemblent : des bâtiments publics, du mobilier urbain, des infrastructures de transport. Un changement de tonalité est toutefois frappant. Sur les vidéos qui circulent, on entend des jeunes joyeux plus que haineux. Ils détruisent, mais en faisant la fête, comme un grand jeu de télé-réalité. Au-delà de la vengeance et du ressentiment, de la confrontation avec cette « autre bande » que serait la police, une transformation de l’approche du bien commun se fait sentir.


Que signifient ces destructions « joyeuses » ?

Incendier des mairies, des écoles, des bus ou des trams, des voitures de voisins, c’est s’attaquer à des services publics qui sont là pour eux, pour leurs parents. Le faire « joyeusement » montre que plus rien n’a de sens, ni d’importance. De ce point de vue, ce nouveau cap éloigne la possibilité d’une compréhension commune de la réalité et surtout de la possibilité durable d’un retour à la paix civile.

Défense: une mini armée française (Alain Bauer)

Défense: une mini armée française (Alain Bauer)

Quelles conséquences du conflit en Ukraine pour l’armée française interroge le criminologue Alain Bauer . Malgré les nombreux conflits depuis la fin de la Guerre froide, en 1989-1990, aucune révision stratégique en profondeur n’avait remis en question la froide logique comptable qui a transformé l’armée française en outil expéditionnaire et échantillonnaire.

En clair Alain Bauer met en cause l’état de l’armée française qui serait bien incapable de soutenir un conflit comme en Ukraine du fait du sous dimensionnement du matériel et des effectifs. Une manière aussi peut-être de relancer la problématique du service militaire obligatoire pour éviter ce que subissent notamment les effectifs russes expédiés sur le front sans formation. NDLR

Une force de projection, des investissements réduits sur une large palette d’équipements, aux livraisons étalées dans le temps, et quelques gros programmes structurants comme le Rafale semblaient suffire à notre posture nationale et internationale. L’idée générale était que la guerre était finie et que seuls quelques conflits locaux nécessitaient d’envoyer « des canonnières » pour rappeler les belligérants à la raison.

Le conflit ukrainien a bouleversé cette persistance rétinienne et devrait nous forcer à prendre en considération la « haute intensité » et la longue intensité d’un processus de guerre de terrain qui ressemble de plus en plus à une version du conflit de 1914-1918 ayant rencontré Terminator.

Aide militaire à l’Ukraine: la discrétion française est-elle un «cache-misère» ?
Le président de la République, après une revue nationale stratégique concoctée en interne, va trancher sur une série de programmes et de financements qui valideront la capacité de la France à maintenir sa souveraineté nationale. Avec la prochaine loi de programmation militaire, ce qui est en jeu dépasse largement la question budgétaire (combien ?) et devrait enfin rejoindre la question stratégique (pour quoi faire et comment ?). Cela fait longtemps que la France n’a pas lancé de vrai programme de recherche stratégique et polémologique (Gallois, Poirier, Aron, Duroselle datent) et on se demande toujours s’il faut financer ce que nos industriels savent faire ou s’interroger ce qu’on devrait mettre en œuvre.

La surprise stratégique est le plus souvent née de l’aveuglement : des mouvements tactiques surprenants (Azincourt, Dien Bien Phu, Waterloo….) plus souvent que des révolutions technologiques (arcs, arbalètes, catapultes et trébuchets, feu grégeois, poudre, fusils, canons, bombes et armes nucléaires, et vecteurs pour les transporter). La sophistication de nos armements nécessite de plus en plus de personnels de soutien. Elle entraîne une certaine vulnérabilité logistique et de grandes incertitudes de disponibilité. Au moment de la dronisation du champ de bataille, pour le renseignement comme pour la destruction, avec la reprise d’outils kamikazes, les armées se trouvent dans une situation déjà connue de choix entre un futur désastre industriel (Minitel contre internet, Bi-bop contre smartphone…) et une adaptation accélérée aux réalités nouvelles de la guerre.

Prés carrés. Comme souvent, une bataille de « prés carrés » risque de masquer les enjeux essentiels sur fond de haute technologie et de coûts à l’unité qui empêchent la tenue de stocks décents. Or le conflit ukrainien, dans la durée, montre le besoin de reconstruire aussi une défense opérationnelle du territoire, des moyens résilients et résistants pour la bataille de longue intensité, des outils innovants, flexibles, mobiles et peu coûteux pour ralentir ou fixer l’adversaire.

Nous avons tout à apprendre et comprendre de ce qui se passe en Ukraine, sur tous les terrains. Alors que le ministère des Armées sort enfin de l’espace punitif dans lequel Bercy l’avait cornerisé, l’Etat doit faire le choix de l’avenir. Comme le rappelait le Cardinal de Richelieu : « La politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire. »

Alain Bauer est professeur au Conservatoire national des arts et métiers, responsable du pôle sécurité-défense-renseignement.

«Koh Lantess -Fresnes:Le rôle de la prison (Alain Bauer)

«Koh Lantess -Fresnes:Le rôle de la prison  (Alain Bauer)

 

Régulièrement, à l’occasion d’une évasion, d’une récidive ou d’un évènement qui émeut l’opinion, on trouve un moment pour reparler de la prison, le plus souvent sous forme d’invectives ou de déclaration lénifiantes. ( l‘Opinion)

Celles et ceux qui s’émouvaient de la « Honte pour la République » au regard des conditions de traitement des prisonniers (mais aussi des personnels de l’administration pénitentiaire, des avocats, des visiteurs et éducateurs de prison, des familles,…) ne sont pas les derniers à condamner les initiatives locales, parfois plus que maladroites, qui semblaient pourtant répondre au chœur des lamentations humanistes des mêmes commentateurs.

Depuis l’Ordalie, jugement de dieu, qui réglait dans l’instant une partie des questions de culpabilité, d’innocence et de traitement de la peine, en passant par la peine de mort, le pilori, les travaux forcés, le bagne (y compris pour enfants), la perpétuité réelle, les débats sur la dureté insuffisante de la peine n’ont jamais vraiment cessé.

Invention moderne, l’emprisonnement n’était le plus souvent, en matière criminelle, qu’un moment relativement bref de rétention avant jugement, mise en esclavage ou exécution. Le traitement de la folie et la répression politique permettant la quasi-totalité des enfermements de longue durée.

L’Etat central français a ensuite pris le dessus et inventé la prison « répressive » au XIIIe siècle, aidé par l’Eglise catholique qui permet la création du mode d’enquête inquisitorial dont une large partie a survécu dans la « Patrie des droits de l’Homme et du Citoyen ». Dès 1670, La Grande ordonnance criminelle de Louis XIV, revenant aux principes anciens, souligne que l’emprisonnement ne constitue pas une peine mais une mesure préventive en attendant un jugement ou un châtiment. Michel Foucault l’a largement rappelé dans son « Surveiller et Punir ».

Le système judiciaire, magistrats et surveillants, personnels d’éducation et de santé, tentent de naviguer à vue en tenant des opérations visant à faire baisser la pression dans un univers dégradé et surchauffé dans cette période caniculaire

Bentham, Beccaria, Howard ont dès le XVIIIe siècle interroge la société sur ce qu’elle voulait faire de sa prison. Faut-il juste transformer la vengeance individuelle en sanction collective ? Punir, rééduquer, réinsérer, resocialiser, empêcher la retirance et la récidive…

L’Etat a ensuite, un peu partout dans le monde, inventé un « paradoxe pénitentiaire » qui tente de traiter une contradiction majeure entre les fonctions de répression et de réhabilitation de la prison, mais aussi de réparation vis-à-vis de la société et des victimes. Ne sachant que privilégier, faute de consensus, face aux revirements naturels de l’opinion et des médias lors de chaque tragédie mettant en cause un repris de justice mis en cause dans un viol, un meurtre, un attentat, les institutions ont navigué au jugé, à la godille, sacrifiant les initiatives souvent nécessaires à une forme de paix civile en prison et tenant de masquer le fait qu’on ne peut tenir un lieu d’enfermement collectif sans une forme de négociation sociale entre les enfermés et les surveillants.

Peu à peu, on a supprimé les châtiments corporels et les pratiques les plus barbares et inventé des mesures dites alternatives (assignation à résidence, placement sous surveillance électronique – une sorte de prison domiciliaire élargie –, probation…). Incapables de trancher devant tant d’injonctions contradictoires, de revirement de postures et de positions, le système judiciaire, magistrats et surveillants, personnels d’éducation et de santé, tentent de naviguer à vue en tenant des opérations visant à faire baisser la pression dans un univers dégradé et surchauffé dans cette période caniculaire.

Le Koh Lantless de Fresnes, faisant référence à un « jeu » auprès duquel le bagne pourrait faire office de Club Med, mais a surtout péché par sa mise en scène extérieure et son choix visiblement discutable de certains participants. Qu’aurait donc été la réaction politique et publique si la canicule avait provoqué des émeutes dans les prisons ?

On peut comprendre l’émotion des victimes et de leurs proches qui ne voient la prison que comme une punition qui devrait remplacer tout juste la loi du Talion. La grande confusion dans la présentation du rôle de la Prison, pourtant défini par des parlementaires qui devraient plus souvent visiter les maisons d’arrêts et lire attentivement les recommandations de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, ne facilite pas la capacité pour le peuple citoyen et souverain au nom duquel on juge en France, de savoir quelle prison il veut et pour quoi faire.

Il serait peut-être temps de lui demander.

Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, New York et Shanghai. Dernier ouvrage : Criminologie pour les nuls, First, 2021.

 

Ukraine: Une guerre intense et de longue durée (Alain Bauer)

Ukraine: Une guerre intense et de longue  durée (Alain Bauer)

A la lumière de l’Ukraine, les Européens doivent revoir leur politique industrielle et redéfinir leur doctrine de défense estime Alain Bauer  dans  « l’Opinion »

Après l’échec d’une « opération spéciale » qui devait se dérouler comme une victoire éclair « libérant » des populations ukrainiennes du joug « nazi », la Russie se dirige, comme souvent, vers une guerre lente de destruction méthodique, faisant table rase de ce qu’elle ne pourrait conquérir.

L’Occident mène sur place une guerre par procuration, fournissant armes et munitions jusqu’à épuisement accéléré des stocks. Durant cette guerre qui commence à dire son nom, le commerce continue vaille que vaille, et tous les secteurs se réorganisent en économie de conflit.

Outre la possible victoire de l’Ukraine (qui devrait éviter la reconquête de la Crimée), il faudra tenter d’éviter une défaite trop cuisante de la Russie (qui n’a pas usé de l’arme nucléaire tactique en Afghanistan) mais qui doit repenser son « espace vital » tel que défini bien avant Vladimir Poutine par Evgueni Primakov, alors premier ministre de Boris Eltsine.

Le Président Poutine avait besoin d’une victoire pour triompher lors des parades de la grande fête nationale du 9 Mai (Grande Guerre Patriotique), équivalent cumulé du 14 juillet, du 8 Mai et du 11 Novembre en intensité.Il ne l’aura sans doute pas, Marioupol résistant toujours, les progrès au Donbass restant millimétriques, l’attaque d’Odessa étant reportée…

Mais il peut encore choisir « l’escalade dans la désescalade », sorte de roulette russe diplomatique, qui amorcerait la reconnaissance d’un état de guerre (la situation financière se dégrade fortement malgré le génie technique de sa gouverneure de Banque centrale, Elvira Nabioullina) et les ventes au rabais de pétrole et de gaz à la Chine ou à l’Inde ne compensent pas les pertes de recettes d’une économie mono-dépendante et bien plus fortement connectée à l’Occident qu’elle ne l’imaginait.

Comme en Ukraine, recréer une Défense Opérationnelle du Territoire (DOT) digne de ce nom, en complément de forces armées professionnelles

Comme lors d’épisodes précédents, notamment la crise des missiles de Cuba (1962), il faudrait alors atteindre le point de rupture pour trouver une issue acceptable permettant un cessez-le-feu, la reconstruction de l’Ukraine (aux frais de la Russie pour une part importante de ses liquidités gelées et du reste du monde pour le solde), et établir un nouveau « Yalta » des frontières permettant de définir clairement les zones d’influence (incluant la Moldavie, la Géorgie, l’Ukraine et tout particulièrement la Crimée, et surtout Kaliningrad).

Guerre froide ou paix brûlante en Europe permettraient alors de se concentrer sur les enjeux véritables du principal acteur visible de la réorganisation du monde, la Chine. Tout en essayant de résoudre les difficultés relationnelles avec l’Inde, le Golfe persique ou l’Afrique du Sud (sans parler du Sénégal), qui n’ont pas soutenu les dispositifs de sanctions contre l’agression russe.

Nouvelles solidarités énergétiques. Il faudra aux Occidentaux définir de nouvelles solidarités énergétiques, tout en continuant à dépendre pour grande partie de l’étranger, revoir leur politique industrielle (y compris militaires pour la production de munitions), redéfinir une doctrine de défense (qui va passer du rêve de la globalisation heureuse pour bisounours consommateurs à celui du risque d’une guerre de haute intensité, d’une guerre de longue intensité).

L’excellent rapport des députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot ouvrent la voie à une reprise massive de l’investissement en matière de défense couvrant des champs laissés en jachère ou mal contrôlés : drones, cyber… Mais surtout en recréant une Défense Opérationnelle du Territoire digne de ce nom. Les leçons du conflit en Ukraine, la force d’une armée populaire en complément de forces professionnelles, les changements technologiques majeurs qui imposent de revoir tout le champ de l’investissement et donc celui de la réindustrialisation de souveraineté.
Ce qui n’a pas encore été totalement compris après la crise dde la Covid, doit impérativement être engagé en matière de défense.

Le moment est aussi venu de se délester du fardeau des dettes créées par la gestion de la crise des subprimes et de celle du COVID, en mettant en place ce Fonds Européen de la dette.

Ceci devrait permettre la création d’un Fonds européen de défense d’au moins cent milliards d’euros, permettant d’engager au bénéfice des Etats membres, et tout particulièrement de la France et de l’Allemagne, d’assurer leurs missions qui dépassent largement la protection de leurs frontières continentales.

Le moment est aussi venu de se délester du fardeau des dettes créées par la gestion de la crise des subprimes et de celle de la Covid, en mettant en place ce Fonds européen de la dette, ce qui permettrait d’effacer dans drame supplémentaire une partie des bulles successives créées par l’hyper-spéculation des vingt dernières années.

La guerre est militaire, économique, sociale. Elle est devenue globale. Et sans doute totale. Clemenceau le disait déjà il y a un siècle. Rien n’a vraiment changé, même si tout va plus vite.

Le président de la République réélu, et même mieux qu’espéré, a la légitimité pour engager dans l’Union européenne cette « Révolution » qu’ il appelait de ses vœux lors de sa première campagne et qui devient désormais un enjeu pour la survie de la Nation.

Alain Bauer, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers et responsable scientifique du Pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises.

La » rageosphère » dans l’univers 2.0 –(Alain Bauer)

 La » rageosphère » dans l’univers 2.0 –(Alain Bauer)

 

 Tribune d’Alain Bauer dans l’opinion

Complotisme, populisme, fachosphère, fake news, réalités alternatives… L’usage d’Internet et des réseaux sociaux pour façonner l’opinion inquiète institutions et médias qui, à force de s’offusquer des dérives, ne font, paradoxalement, que renforcer ceux qui ne croient plus aux vérités « officielles ».

Cet univers parallèle 2.0, n’est pas rempli d’avatars, comme un jeu, mais devient une réalité palpable à l’intérieur duquel pseudo-identités et vrais activistes se partagent un public en forte croissance. Personne ne se donnant vraiment la peine de dialoguer avec les inquiétudes exprimées, le terrain est ouvert aux manipulateurs et extrémistes de tous bords. Le pseudo-anonymat d’Internet, le défouloir général non contrôlé de certains forums, l’effet de « meute », ont permis l’émergence d’une culture du clash accompagné par cet éloge permanent du vide scripté qu’est aussi la téléréalité ou le monde des influenceurs rémunérés.

Ces évolutions reflètent la réalité d’une société déboussolée, inquiète, ne comprenant pas la désacralisation généralisée souhaitée par des élites qui se voulant, depuis longtemps, faussement proche du peuple ont choisi d’être à portée de gifle plus que de tir. Jacques Pilhan, le conseiller de François Mitterrand, expliquait, bien avant Internet, qu’il fallait assurer la souveraineté politique par la rareté et la distance. A mi-chemin, Jacques Chirac, féru de culture nippone, accompagnait le mouvement pour éviter la puissance de l’adversaire (en général plus insultant que menaçant à une exception près ou la distance et l’action du public lui éviteront une balle). Nicolas Sarkozy conceptualisait, lui, le mouvement permanent pour éviter d’ajuster le tir.

Ce qui se profile actuellement n’est pas anodin. Violences physiques, criminelles, terroristes, sociales s’expriment dans les rues, et sur une durée sans doute inédite depuis la Libération. Elles se complètent et se renforcent dans l’univers virtuel, qui transforme tout débat en affrontement. Comme si on construisait un réseau de routes à grande vitesse en ne l’accompagnant pas d’un code de la circulation permettant aux camions, voitures, deux-roues et piétons, de survivre à l’expérience. Internet sans permis, feux rouges ou priorités, n’est pas l’espace de liberté imaginé par la plupart de ses défenseurs — qui ont permis l’exploitation massive des données et la construction de monopoles — tout en disposant ici et là de déversoirs des haines.

Une rageosphère virtuelle est donc apparue et s’étend aux mondes virtuel et réel. Elle construit des liens, ne s’occupe guère de positionnement partisan, se veut révolutionnaire « sans étiquettes », souhaite un retour heureux à un monde perdu, revendique une nostalgie d’un pays éternel qui se dissoudrait. Loin de n’être qu’une accumulation de rancœur, ceci ressemble de plus en plus à un programme a minima, une coalition des extrêmes et des contraires, d’accord sur rien mais prête à tout.

Beaucoup émettent des inquiétudes légitimes. Mais qui ne permettent plus le dialogue ou la recherche de solutions en commun. Chaque activiste, de droite ou de gauche, rêve d’une « convergence des luttes » qui pourrait tout renverser à son propre bénéfice avant de revenir à la normale de la gestion ordinaire de l’Etat après élection ou Révolution. Internet l’a réussi. Sur notre Titanic démocratique, il reste un orchestre pour se rassurer.

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers.

Sécurité : un puissant mouvement de désespoir (Alain Bauer)

Sécurité : un puissant mouvement de désespoir (Alain Bauer)

 

En observant ce qu’il se passe dans la police et l’armée, le criminologue met en garde contre un « profond séisme électoral » en 2022 ( dans l’Opinion)

Tribune

 

 

 

La criminologie est une science définie par Emile Durkheim, il y a plus d’un siècle comme celle de la relation entre le crime, fait social, son ou ses auteurs, sa ou ses victimes et les circonstances de sa commission. L’analyse des phénomènes criminels n’a pas vocation à déborder ce cadre et il convient d’éviter le processus « toutologique » qui pousserait le porteur d’un savoir ou d’une expérience particulière à s’exprimer sur tout et n’importe quoi, au rythme effréné des chaînes d’information en continu ou des réseaux sociaux.

Mais la médiatisation créée aussi des effets de proximité, des phénomènes de confiance, des échantillons aléatoires et empiriques qui sont parfois révélateurs. Pour une fois, il m’a semblé utile de partager ces quelques années d’évolution dans l’analyse de la parole des victimes, de leurs proches, des citoyens, des agents des institutions du « front » social.

Le lent processus de goutte à goutte de la violence, de la criminalité « ordinaire » ou du terrorisme, du retour de la violence physique, de l’affrontement, du règlement de comptes, des agressions contre les services publics (pompiers, policiers, gendarmes, postiers, électriciens, médecins, …) provoquent, après une fermentation de plusieurs décennies, un puissant mouvement de consternation et d’exaspération, particulièrement chez les fameux « agents de première ligne », qui ont imperturbablement continué à faire fonctionner les services essentiels tout particulièrement durant la crise pandémique.

« L’ordre n’est pas un objectif en soi, mais la garantie du libre exercice des libertés démocratiques »

Phénomènes profonds. Depuis de nombreuses années, ces agents, notamment en charge du secteur public, ont utilisé leur droit « d’alerte et de retrait », quand ils n’utilisaient pas celui de grève. A de très rares occasions près (dépôt de képi, dos tournés à leur ancien directeur général, jet de menottes), les policiers ont marqué leurs désillusions et leur colère. Plus récemment, et à deux reprises coup sur coup, des militaires, pas toujours retraités, ont mobilisé les troupes contre ce qu’ils estiment être la décadence de l’État central en France.

L’Etat, le gouvernement, devraient enfin comprendre que ce processus, entamé depuis longtemps, devrait être pris au sérieux. Pas par des postures ou des rodomontades, mais par des actes et un retour à la cohérence d’une action de retour à la paix publique. L’ordre n’est pas un objectif en soi, mais la garantie du libre exercice des libertés démocratiques.

L’isolement monarchique de l’actuel système républicain, la sous-estimation des phénomènes profonds dans la société française ne peuvent aboutir qu’à un profond séisme électoral. Moins par transfert des voix des déçus que par une abstention massive et surtout une faible mobilisation pour la candidate ou le candidat qualifié au deuxième tour pour affronter presque mécaniquement celle ou celui du Rassemblement National. Les élections régionales vont permettre une répétition générale qu’il faudra analyser avec attention, même si les compétences en matière de sécurité des institutions concernées restent relatives. Mais ce qui comptera restera le discours le plus convaincant sur cette question.

Vingt ans après l’élection présidentielle de 2002, rien ne semble avoir changé, si ce n’est sous forme dégradée. Il est temps de se réveiller et de répondre aux questions légitimes des citoyennes et de citoyens. Faute de quoi ils pourraient choisir un nouveau type de droit de retrait, électoral cette fois-ci.

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers.

Covid- objectif, c’est 400.000 injections par jour ? (Alain Fischer)

Covid- objectif, c’est 400.000 injections par jour ?  (Alain Fischer)

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C’est ce que promet Alain Fischer, responsable national de la vaccination dans le Figaro.

Emmanuel Macron a parlé d’accélérer la campagne de vaccination. Comment pouvons-nous faire?

Alain FISCHER. - Nous venons d’injecter près de 7 millions de doses en un mois. Nous restons bien entendu tributaires des livraisons, qui ont pu connaître quelques retards en mars. Globalement, l’offre vaccinale monte en puissance. Nous disposons de trois vaccins (Pfizer, Moderna, AstraZeneca) dont nous attendons 12,2 millions de doses supplémentaires en avril et 17,7 millions en mai. À la fin du mois d’avril, nous pourrions en plus avoir celui de Janssen et, en juin, ceux de Curevac et de Novavax(voir infographie). Délivrer toutes ces doses au plus vite demande néanmoins une certaine organisation, c’est pourquoi nous avons ouvert de nouveaux mégacentres. Nous avons pour objectif une cadence de 400.000 injections par jour en avril.

Le ministre Alain Griset perquisitionné

Le  ministre Alain Griset perquisitionné

Le ministre délégué aux PME est visé par deux enquêtes pour «omission substantielle» de son patrimoine et soupçon d’«abus de confiance». Il aurait notamment confondu ses actifs personnels avec ceux  du syndicat  de la Confédération nationale de l’artisanat et des services (CNAMS) Nord, qu’il a présidée jusqu’à sa nomination au gouvernement, le 6 juillet. M. Griset dirigeait cette institution depuis 1991.

Le ministre, entré au gouvernement en juillet, fait l’objet de deux enquêtes, ouvertes après la saisie de la justice par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) fin novembre pour «omission substantielle» de son patrimoine et soupçon d’«abus de confiance».

Selon les informations du Monde, le dossier du ministre délégué aux petites et moyennes entreprises (PME), Alain Griset, a été transmis au procureur de la République pour des faits « susceptibles de revêtir la qualification d’abus de confiance » par la HATVP. « Les déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts de M. Griset » ne sont « ni exactes ni sincères », écrit l’institution dans sa délibération. Deux enquêtes judiciaires ont été ouvertes contre le ministre : l’une, en octobre, par le parquet de Lille ; l’autre, mardi, par le parquet de Paris.

La HATVP lui reproche d’avoir omis de déclarer des « participations financières détenues dans un plan d’épargne en actions (PEA), ainsi que le compte espèces associé, pour un montant total de 171 000 euros ». Plus baroque encore, l’argent détenu par le ministre sur son PEA venait en fait de la vente de parts d’une société civile immobilière (SCI) détenues par la Confédération nationale de l’artisanat et des services (CNAMS) Nord, qu’il a présidée jusqu’à sa nomination au gouvernement, le 6 juillet. M. Griset dirigeait cette institution depuis 1991.

« M. Griset a dit à la Haute autorité qu’il avait l’accord de la CNAMS, pour qu’il puisse faire fructifier cette somme. On est dans la confusion des patrimoines, ce qui n’est pas conforme à la loi », a déclaré le président de la HATVP Didier Migaud.

Auditionné par la HATVP le 13 novembre, M. Griset avait en effet expliqué que les six membres du bureau de la CNAMS Nord avaient convenu, « en août 2019, de lui confier 130 000 euros, issus d’une cession immobilière, pour qu’il les plaçât sur son PEA », selon le rapport rédigé par la Haute Autorité. « Il a toujours été clair que cette somme et les plus-values du placement appartenaient à la CNAMS et qu’elles seraient libérées pour l’acquisition d’un nouveau bien », précise au Monde l’entourage du ministre.

Alain Duhamel, la brosse à reluire des pouvoirs en place

Alain Duhamel, la brosse à reluire des pouvoirs en place

 

À 80 ans,  Alain Duhamel le célèbre journaliste continue d’occuper une place non négligeable dans la presse écrite ou à la télé. Il faut dire que l’intéressé est à peu près inoxydable, il résiste ainsi à tous les pouvoirs ou plus exactement s’efforce d’éviter la contestation avec de temps en temps une montée de tonalité assez factice sur des questions accessoires. Le coup classique de la communication douce;  on baisse le ton quand il s’agit de critiques de fond ; par contre on n’augmente le volume sur des points assez anecdotiques.

 Bref Duhamel comme bien d’autres sert de brosse à reluire des pouvoirs en place. Et pour donner une certaine pertinence à son propos, Duhamel utilise la posture du sage, celle qui pèse le pour et le contre mais sans jamais dire clairement de quel côté penche le fléau. Bref ce qui caractérise Duhamel, comme bien d’autres, c’est qu’à la fin de son intervention on peine à déceler exactement son analyse et sa pensée. On objectera sans doute que ce n’est pas le rôle du journaliste de se faire le juge des orientations politiques, qu’ils doivent d’abord traiter les faits. Reste qu’ils ne sont pas pour autant condamné à faire éternellement dans l’analyse anesthésiante et liquoreuse.

Alain Minc : pour un actionnariat salarié très limité

Alain Minc : pour un actionnariat salarié très limité

La spécialité d’Alain Minc  c’est de dire un jour une chose, le lendemain le contraire. Forcément une fois sur deux il peut avoir raison. Ainsi concernant la dette il a surpris beaucoup de monde en proposant qu’elle soit illimitée et perpétuelle. Un bon moyen d’assurer un retour financier bancaire permanent et conséquent! Aussi une belle irresponsabilité.

 

Aujourd’hui il dit en partie le contraire en distinguant notamment la bonne et la mauvaise dette. Or le problème central c’est qu’on ne sait pas faire la différence .

 

Concernant la dette et l’endettement de la France, Alain Minc estime «comme Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne, qu’il y a la bonne et la mauvaise dette. On ne peut pas penser que l’on va durablement payer les frais de fonctionnement de l’Etat, c’est-à-dire les salaires, par endettement. Ça, ça ne peut marcher qu’un temps. Mais il y a une bonne dette. Aujourd’hui, la France s’endette en dessous de 0 euro à dix ans. …. »

 

Évidemment Alain Minc  comme la plupart d’ailleurs des économistes ne dit rien de l’incontournable résurrection de l’inflation le moment venu et de la hausse concomitante des taux d’intérêt.

 

Alain Minc surprend aussi en proposant une dose raisonnable de social-démocratie avec 10 % du capital détenu par les salariés. Peut-être pour s’opposer l’intéressement ou à la participation aujourd’hui complètement enterrés et qui pourtant font les beaux jours de l’économie allemande qui pratique la cogestion et non l’intéressement à dose homéopathique.

 

Quant à la naissance d’un nouveau capitalisme, influencé par le développement durable et la transition écologique, Alain Minc analyse : «Je pense que le grand mouvement de prise en compte de l’écologie par le capitalisme suppose que les capitalistes acceptent une baisse des taux de rentabilité. Vous ne pouvez pas à la fois dire «je vais continuer à donner la même rentabilité à mes actionnaires» et faire de la dépense destinée à réduire votre empreinte carbone. Dès qu’on sera sorti de la crise, ces débats s’ouvriront.»

 

Alain Minc à sur ce point un train de retard. Il y a longtemps que ce débat est ouvert non seulement dans la société bien sûr mais aussi dans la définition des stratégies et des entreprises. Voir à cet égard les virages environnementaux pris par nombre de sociétés. Bref Alain Minc , l’un des sponsors de Macon, devrait se renouveler un peu. Comme Macron d’ailleurs !

Enquête judiciaire contre le ministre Alain Grizet

Enquête judiciaire contre le ministre Alain Grizet

Une enquête judiciaire par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a été ouverte à propos d’une fausse déclaration de patrimoine du ministre Alain Griset chargé des PME.

 

 

En fait ce sont deux  enquêtes ont été ouvertes par les parquets de Lille et de Paris, a indiqué le parquet de Paris. Dans un communiqué, le procureur de la République Rémy Heitz a indiqué que les opérations sur un plan d’épargne en actions (PEA) détenu par Alain Griset faisaient l’objet d’une enquête à Lille à la suite d’un signalement de la cellule anti-blanchiment Tracfin, et à Paris pour «omission de déclaration d’une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts». L’enquête parisienne a été ouverte mardi.

L’argent détenu par le ministre sur son PEA venait de la vente de parts d’une société civile immobilière (SCI) détenues par la Confédération nationale de l’artisanat et des services (CNAMS) Nord, qu’il a présidée de 1991 jusqu’à sa nomination au gouvernement, le 6 juillet 2020.

Outre le défaut de déclaration la question se pose de savoir quel est la légitimité de la présence sur le compte personnel PEA du ministre d’une somme appartenant à son syndicat ! Le ministre répond. «Il a toujours été clair que cette somme et les plus-values du placement appartenaient à la CNAMS et qu’elles seraient libérées pour l’acquisition d’un nouveau bien», explique dans les colonnes du Monde l’entourage du ministre, qui défend un «acte maladroit», sans «volonté d’enrichissement personnel».

«Alain Griset a dit à la Haute autorité qu’il avait l’accord de la CNAMS, pour qu’il puisse faire fructifier cette somme, mais alors on est dans la confusion des patrimoines, ce qui n’est pas conforme à la loi», a relevé auprès de l’AFP le président de la HATVP Didier Migaud. Autorité indépendante créée après le scandale Cahuzac, la Haute autorité contrôle notamment le patrimoine des parlementaires et des ministres, et peut saisir la justice si elle décèle une intention frauduleuse.

 

La question sécuritaire». ( Alain Bauer)

La  question sécuritaire». ( Alain Bauer)

Alain Bauer développe à nouveau la problématique de l’insécurité dans l’Opinion. Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, New York et Shanghai. Il a créé puis présidé (2007-2012) l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales;

 

Tribune

 

En France, depuis guère plus d’un siècle, l’Etat a voulu établir un monopole de la sécurité publique et assumer la responsabilité totale de ce qui est, à peu près partout ailleurs, une compétence partagée entre le local et le central, le public et le privé. De ce fait, il est devenu le comptable politique de la question criminelle, assumant même d’être jugé sur la production de crimes (les fameux chiffres de la délinquance) et assez peu sur son efficacité. Comme si les médecins se sentaient responsables des maladies et peu de l’efficacité de leur traitement !

En 1983, les listes « Marseille Sécurité » bousculaient Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur et maire de la ville, faisant apparaître la question dans le débat électoral. Fin 1983, la maire socialiste de Dreux perdait sa ville face à une alliance RPR-FN, boostée par la question sécuritaire. En 1997, à Villepinte, la gauche devenait réaliste, mais oubliait tout en 2002 face à Jean-Marie Le Pen. Ce processus dit de « jospinisation » (succès économiques et sociaux, rigueur de gestion mais incapacité à comprendre les enjeux sociétaux du vécu des populations) semblait devenu un évènement pour historiens de la science politique. Il semble curieusement possible de le voir se reproduire.

Querelle statistique. Entre amnésie et anomie, les gouvernements ont le plus grand mal à traiter de la gestion de phénomènes, pourtant anciens et bien étudiés. Ainsi, le modèle de l’élection de 1966 en Californie qui vit la victoire écrasante de Ronald Reagan face au gouverneur démocrate Pat Brown, fut construit sur la thématique « Tough on Crime » (Dur avec le crime) et anticipa la révolution conservatrice qui balaiera les Etats-Unis et les bastions démocrates, dont l’emblématique New York remporté en 1994 par Rudolph Giuliani, portée par sa « Tolérance Zéro ».

Aucune de ces lames de fond électorales ne fut surprenante. Elles se construisirent par accumulation de frustrations et de désespoir, portées par des populations souvent modestes, alliées de circonstances aux classes moyennes et supérieures, terrorisées par une violence du quotidien créant un climat d’insécurité auquel les élites politiques ne purent répondre, tentant de se dédouaner par des postures d’évitement selon le traditionnel triptyque « Négation-minoration-éjection » : Ce n’est pas vrai, ce n’est pas grave, ce n’est pas de ma faute…

« L’actuel gouvernement est victime d’une décision stupidement comptable de son immédiat prédécesseur, qui a supprimé à la fois le thermomètre et son outil de compréhension, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales »

Certains en profitent pour expliquer doctement que la situation est pire que… toujours, d’autres que tout va pour le mieux et qu’il ne s’agit que d’un effet médiatique.

Et comme toujours, une tragique querelle statistique vient assombrir l’information du public. De ce point de vue l’actuel gouvernement est victime d’une décision stupidement comptable de son immédiat prédécesseur, qui a supprimé à la fois le thermomètre (l’enquête de victimation qui permet de savoir ce que les citoyens subissent et pas seulement ce qu’ils déclarent et ce qui en reste dans l’enregistrement administratif des plaintes) et son outil de compréhension, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP).

Homicidité. Revenons donc à ce que nous savons : il n’existe pas d’indicateur de la violence. Mais, depuis 1539 et l’édit de Villers-Cotterêts, la France est dotée d’un état civil tenu avec efficacité. Un des indicateurs les plus stables et les plus précis de l’insécurité dans une société est celui des homicides. Historiquement, le nombre de crimes relevant de cet item s’est effondré en cinq siècles passant de 150 pour 100 000 habitants à moins de 2. On comptait un peu plus de 1 100 faits en 1972, plus de 2 400 en 1983, un millier après 1988. Une première baisse significative à partir de 1995, des minima historiques à partir de 2009 (moins de 600 faits) puis une forte reprise depuis 2015 (avec un effet attentats non négligeable en 2014, mais un niveau élevé en 2019).

On dispose même d’un outil encore plus développé, celui de l’homicidité qui permet d’ajouter aux homicides, les tentatives (qui ne sont que des homicides ratés) et les coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort. Dès lors, on atteint en 2019, un niveau historiquement inégalé en un demi-siècle avec 3 562 faits. Qu’on considère ou pas la sensibilité de l’attention aux phénomènes, l’évolution des législations ou l’intérêt porté au sujet, sur ce critère particulier, la dégradation est incontestable et inquiétante.

Hors faits exceptionnels (attentats), le maintien a un niveau très élevé des violences homicides constitue un indicateur fiable. Il conviendrait de s’en saisir avec les moyens de la science et de l’expertise afin de permettre une action intelligible et cohérente des acteurs du processus pénal : Intérieur et Justice. En commençant par rétablir un thermomètre indépendant.

 

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