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Violences : «L’instinct de mort est revenu» (Alain Bauer)

Violences  : «L’instinct de mort est revenu» (Alain Bauer)

Le criminologue Alain Bauer* analyse la recrudescence alarmante de la violence en France, évoquant l’augmentation des tentatives d’homicide et l’émergence d’une nouvelle génération de criminels. Il appelle dans le JDD à une action concertée pour restaurer la sécurité et l’ordre.

Jacques René Mesrine avait intitulé son autobiographie L’instinct de mort parue en 1977 alors qu’il est détenu depuis 1973. Il y racontait sa jeunesse bourgeoise, son service militaire en Algérie, ses premiers parcours criminels, ses meurtres, sa vie en prison. Ennemi public numéro 1, il devient paradoxalement un Robin des Bois pour une partie de l’intelligentsia française des années 70.

Sa légende est née et des générations de lecteurs puis de spectateurs de cinéma ont voulu en faire leur héros au bénéfice de quelques phrases emblématiques noyées dans une liste de vols, d’attaques à main armée, de meurtres et de tentatives d’assassinat. Sans réseaux sociaux, influenceurs ou TikTok, Mérine comme il aimait qu’on prononce son nom, est une Star dont la légende survit. Nous voici un demi-siècle plus tard.

Les grands criminels, les « Beaux voyous », les Parrains et les Juges de paix du crime organisé français ont peu à peu disparu. Depuis la mort et Jean Ge Colonna et l’élimination de Farid Berrahma, en 2006, les guerres de succession et de sécession ont touché tous les secteurs géographiques et tous les métiers criminels. Le trafic de stupéfiants s’est étendu, enraciné, développé. L’expansion des zones de chalandise sur les petites et moyennes agglomérations, la relocalisation des cultures de cannabis à forte concentration de THC, la résurrection d’une « French Connection » spécialisée dans les produits de synthèse, ont provoqué une crise criminelle qui faute d’être totalement inédite, avait été durablement maîtrisée dans les années 80.

 

 

Le SSMSI, service statistique du ministère de l’intérieur qui n’avait plus publié les chiffres des tentatives d’homicide depuis plusieurs années a brutalement confirmé début juillet 2024 dans son bilan annuel sur l’année précédente que ceux-ci avaient connu une hausse de 78 % entre 2016 et 2023. Près de neuf tentatives d’homicide enregistrées sur dix ont été commises en dehors du cadre familial et plus des trois quarts des victimes sont des hommes (77 %). À l’inverse, les femmes représentent 65 % des victimes dans le cadre familial, et même 73 % dans le cadre conjugal.

Les jeunes âgés de 15 à 29 ans sont les plus exposés aux tentatives d’homicide, les hommes cinq fois plus que les femmes dans cette tranche d’âge. Les personnes mises en cause présentent le même profil que les victimes : des hommes (90 %), âgés de 18 à 29 ans (47 %).

 

Depuis le plancher historique de 2012, homicides et tentatives, dont une grande partie est motivée par le trafic et ses conséquences en matière de concurrence, de détournement de marchandises ou de dettes impayées, connaissent une impressionnante progression et un plus haut historique en 2023. On a même dû inventer un terme pour préciser la situation, le « Narcomicide » qui rejoint le « féminicide » au rang des néologismes qui illustrent une réalité trop longtemps minimisée ou occultée par les institutions politiques.

Les grands criminels, les « Beaux voyous », les Parrains et les Juges de paix du crime organisé français ont peu à peu disparu

 

Plus saisissant encore, le nombre d’agressions, coups et blessures volontaires, embuscades, montées par des mineurs, en groupes, n’ayant plus aucune maîtrise de leur violence pulsionnelle. Vengeurs des leurs (sœurs en général), rédempteurs de comportements sexuels dont ils n’arrivent toujours pas à admettre la simple existence, agents divins autoproclamés, se réclamant de toutes les causes ayant échauffé leurs humeurs après le dernier sermon TikTok, leur passage à l’acte est puissant et accéléré, violent et pas toujours impulsif.

 

Une partie de cette génération imagine que sa violence est légitime et justifiée, qu’en tant que « victimes » de la société, la vengeance par élimination de l’adversaire, même s’il n’a rien fait d’ autre qu’exister, est « normale » et souvent, à la surprise des policiers ou magistrats, parfaitement assumée.

 

Chaque jour apporte son lot de « fait divers » qui construisent une réalité quotidienne dont la répétition pourrait faire oublier l’anormalité : sept morts dont des enfants à Nice dans l’incendie volontaire d’un appartement sur fond de trafics, un jeune homme grièvement blessé à coups de sabre à Dugny, un policier attaqué au couteau sur les champs Élysées par l’auteur présumé d’un premier homicide à Courbevoie, un militaire de sentinelle agressé à l’arme blanche par un récidiviste gare de l’Est, un jeune homme tué lors d’un affrontement entre bandes à Créteil, un autre grièvement blessé à Saint Denis, deux autres abattus à Bobigny, des guets apens homophobes qui ne se comptent plus, … tel est le bilan en plein juillet 2024, d’un pays qui devrait se réjouir d’accueillir les Jeux Olympiques.

 

Il n’est pas normal d’avoir peur de ses propres enfants. Pas plus que de se résigner à leur violence, car leurs principales victimes leur ressemblent. Un regard, une cigarette, un commentaire, et le duel revient sous forme de traquenard, sans foi ni loi, sans règles, sans honneur.

 

L’instinct de mort est revenu. Il ruine l’avenir d’enfants et d’adolescents, de familles, de toute une société qui ne peut plus se contenter des postures, des incantations, des lamentations, des imprécations.

 

Ni du spectacle de plus en plus lamentable qu’offre, après une mobilisation historique des électeurs français, l’espace politique. Il est plus que temps que les acteurs du terrain, élus locaux, éducateurs, enseignants, policiers, gendarmes et magistrats se parlent pour fournir au gouvernement une feuille de route qu’il ne semble toujours pas capable d’écrire tout seul.


*Alain Bauer est professeur de criminologie au CNAM et l’auteur de Tu ne Tueras Point, Fayard 2024

Société-Emeutes : rage et perte complète de sens ( Alain Bauer)

Société-Emeutes : rage et perte complète de sens ( Alain Bauer)


Par Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers. Il est l’auteur de Au commencement était la guerre, (Fayard, 2023) et de Au bout de l’enquête, ( First, 2023).
intreview dans l’Opinion

Comment expliquer cette flambée de violences urbaines dans un climat qui semblait, selon les spécialistes, plutôt calme ces derniers mois ?

Un calme relatif dans un univers qui n’est jamais serein. Les micro-événements se succédaient : les refus d’obtempérer, on l’a vu à Nanterre malheureusement, les agressions, les drames familiaux et des règlements de comptes plus fréquents dans une expansion des territoires des trafics. En revanche, les violences dites urbaines restaient contenues. La violence se manifestait davantage dans les mouvements contre les bassines à Sainte-Soline et, évidemment, dans le mouvement social contre la réforme des retraites. Ou avec les Gilets jaunes. Une violence plus générale qui masquait les bouillonnements du quotidien. Personne n’est vraiment surpris par l’intensité de ces émeutes depuis mardi. La diffusion de la rage est extrêmement rapide sur des portions de territoire plus larges qu’à l’habitude.


Quelle est la réponse adaptée ?

D’abord, éviter un deuxième événement tragique. Il vaut toujours mieux une vitrine cassée qu’une vie brisée. Puis il faut tenter de limiter la contagion à l’ensemble du territoire même si, au-delà des cités et des grandes villes, les violences s’étendent à des lieux atypiques. Des tirs de mortiers et des voitures incendiées à Clermont-Ferrand, ville ouvrière, c’est inhabituel. Tout comme l’avait été l’attaque de la préfecture du Puy-en-Velay pendant les Gilets jaunes.

Le dosage est toujours délicat entre l’option d’une imposition de l’ordre absolu « quoi qu’il en coûte » et la gestion optimisée du désordre. Ce débat agite les experts du maintien de l’ordre. En France, on oscille toujours dans cet entre-deux. Y compris dans la parole publique, comme le Président l’a fait en parlant d’abord à Marseille mercredi d’une mort « inexcusable » et « inexplicable » puis, le lendemain, en qualifiant d’« injustifiables » les violences de la nuit. Les deux réactions sont compréhensibles isolément. C’est plus complexe à gérer « en même temps ».

Gérald Darmanin a indiqué jeudi que 40 000 policiers et gendarmes allaient être mobilisés. Après 48 heures où les autorités ont semblé subir les événements, ne vont-elles pas réagir ?
Le dispositif doit être réactif et adapté. Le risque d’une vague d’émeutes version 2005 est tel que l’Etat en a pris la mesure en déployant des forces plus nombreuses sur tout le territoire. Il faut souhaiter que l’effet dissuasif fonctionne pour arrêter la casse des équipements publics. Il faudra bien plus pour établir un ordre juste qui ne soit pas juste de l’ordre.


La comparaison avec les violences urbaines de 2005, nées à Clichy-sous-Bois après la mort des jeunes Zyed et Bouna qui avaient tenté d’échapper à un contrôle de police, est-elle valable ?

Sur le plan des déclencheurs de la crise, pas vraiment. En 2005, un triple mécanisme était à l’œuvre. Il y avait une tension sur le marché des stupéfiants. La posture du ministre de l’Intérieur (Nicolas Sarkozy), ses déclarations sur le Karcher, ont entraîné, dans le « camp » d’en face une volonté de confrontation avec l’Etat avant l’arrivée au pouvoir du futur président. La tragédie de deux jeunes « grillant » dans l’enceinte d’un transformateur électrique à Clichy avaient frappé les esprits, a fortiori parce que les autorités avaient brouillé les informations sur les circonstances. Ce qui n’est heureusement pas le cas aujourd’hui. En revanche, les cibles des deux mouvements se ressemblent : des bâtiments publics, du mobilier urbain, des infrastructures de transport. Un changement de tonalité est toutefois frappant. Sur les vidéos qui circulent, on entend des jeunes joyeux plus que haineux. Ils détruisent, mais en faisant la fête, comme un grand jeu de télé-réalité. Au-delà de la vengeance et du ressentiment, de la confrontation avec cette « autre bande » que serait la police, une transformation de l’approche du bien commun se fait sentir.


Que signifient ces destructions « joyeuses » ?

Incendier des mairies, des écoles, des bus ou des trams, des voitures de voisins, c’est s’attaquer à des services publics qui sont là pour eux, pour leurs parents. Le faire « joyeusement » montre que plus rien n’a de sens, ni d’importance. De ce point de vue, ce nouveau cap éloigne la possibilité d’une compréhension commune de la réalité et surtout de la possibilité durable d’un retour à la paix civile.

Emeutes : rage et perte complète de sens ( Alain Bauer)

Emeutes : rage et perte complète de sens ( Alain Bauer)


Par Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers. Il est l’auteur de Au commencement était la guerre, (Fayard, 2023) et de Au bout de l’enquête, ( First, 2023).
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Comment expliquer cette flambée de violences urbaines dans un climat qui semblait, selon les spécialistes, plutôt calme ces derniers mois ?

Un calme relatif dans un univers qui n’est jamais serein. Les micro-événements se succédaient : les refus d’obtempérer, on l’a vu à Nanterre malheureusement, les agressions, les drames familiaux et des règlements de comptes plus fréquents dans une expansion des territoires des trafics. En revanche, les violences dites urbaines restaient contenues. La violence se manifestait davantage dans les mouvements contre les bassines à Sainte-Soline et, évidemment, dans le mouvement social contre la réforme des retraites. Ou avec les Gilets jaunes. Une violence plus générale qui masquait les bouillonnements du quotidien. Personne n’est vraiment surpris par l’intensité de ces émeutes depuis mardi. La diffusion de la rage est extrêmement rapide sur des portions de territoire plus larges qu’à l’habitude.


Quelle est la réponse adaptée ?

D’abord, éviter un deuxième événement tragique. Il vaut toujours mieux une vitrine cassée qu’une vie brisée. Puis il faut tenter de limiter la contagion à l’ensemble du territoire même si, au-delà des cités et des grandes villes, les violences s’étendent à des lieux atypiques. Des tirs de mortiers et des voitures incendiées à Clermont-Ferrand, ville ouvrière, c’est inhabituel. Tout comme l’avait été l’attaque de la préfecture du Puy-en-Velay pendant les Gilets jaunes.

Le dosage est toujours délicat entre l’option d’une imposition de l’ordre absolu « quoi qu’il en coûte » et la gestion optimisée du désordre. Ce débat agite les experts du maintien de l’ordre. En France, on oscille toujours dans cet entre-deux. Y compris dans la parole publique, comme le Président l’a fait en parlant d’abord à Marseille mercredi d’une mort « inexcusable » et « inexplicable » puis, le lendemain, en qualifiant d’« injustifiables » les violences de la nuit. Les deux réactions sont compréhensibles isolément. C’est plus complexe à gérer « en même temps ».

Gérald Darmanin a indiqué jeudi que 40 000 policiers et gendarmes allaient être mobilisés. Après 48 heures où les autorités ont semblé subir les événements, ne vont-elles pas réagir ?
Le dispositif doit être réactif et adapté. Le risque d’une vague d’émeutes version 2005 est tel que l’Etat en a pris la mesure en déployant des forces plus nombreuses sur tout le territoire. Il faut souhaiter que l’effet dissuasif fonctionne pour arrêter la casse des équipements publics. Il faudra bien plus pour établir un ordre juste qui ne soit pas juste de l’ordre.


La comparaison avec les violences urbaines de 2005, nées à Clichy-sous-Bois après la mort des jeunes Zyed et Bouna qui avaient tenté d’échapper à un contrôle de police, est-elle valable ?

Sur le plan des déclencheurs de la crise, pas vraiment. En 2005, un triple mécanisme était à l’œuvre. Il y avait une tension sur le marché des stupéfiants. La posture du ministre de l’Intérieur (Nicolas Sarkozy), ses déclarations sur le Karcher, ont entraîné, dans le « camp » d’en face une volonté de confrontation avec l’Etat avant l’arrivée au pouvoir du futur président. La tragédie de deux jeunes « grillant » dans l’enceinte d’un transformateur électrique à Clichy avaient frappé les esprits, a fortiori parce que les autorités avaient brouillé les informations sur les circonstances. Ce qui n’est heureusement pas le cas aujourd’hui. En revanche, les cibles des deux mouvements se ressemblent : des bâtiments publics, du mobilier urbain, des infrastructures de transport. Un changement de tonalité est toutefois frappant. Sur les vidéos qui circulent, on entend des jeunes joyeux plus que haineux. Ils détruisent, mais en faisant la fête, comme un grand jeu de télé-réalité. Au-delà de la vengeance et du ressentiment, de la confrontation avec cette « autre bande » que serait la police, une transformation de l’approche du bien commun se fait sentir.


Que signifient ces destructions « joyeuses » ?

Incendier des mairies, des écoles, des bus ou des trams, des voitures de voisins, c’est s’attaquer à des services publics qui sont là pour eux, pour leurs parents. Le faire « joyeusement » montre que plus rien n’a de sens, ni d’importance. De ce point de vue, ce nouveau cap éloigne la possibilité d’une compréhension commune de la réalité et surtout de la possibilité durable d’un retour à la paix civile.




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