Le Hamas a rejoint Al Qaïda dans l’horreur
En mettant en scène l’horreur de ses actes, l’organisation palestinienne utilise désormais la même grammaire visuelle que celle issue du 11-Septembre, explique l’écrivain et universitaire Eric Marty dans une tribune au « Monde », qui estime que les termes de « crimes de guerre » sont « insuffisants » pour caractériser l’attaque contre Israël.
Depuis le 11 septembre 2001, quelque chose retient l’attention dans ce qu’on pourrait appeler la praxis jihadiste, et qui, de ce fait, est devenu une constante : il s’agit du souci d’exhiber par des images les actes de destruction, mortification, humiliation, torture de manière à en faire un spectacle. Cela fut mis en évidence avec l’effondrement des Twin Towers en mondiovision sur fond de ciel hollywoodien, c’est-à-dire l’effondrement de ce qui pouvait, à juste titre, symboliser la puissance du mécréant et sa soudaine impuissance.
C’était, si l’on peut dire, le paradigme inaugural, signé Al-Qaida, de ce qui allait devenir une pratique politique extrêmement singulière : la réponse dialectique de l’islam politique à la société du spectacle occidentale. Nous n’avons pas fini d’en mesurer la puissance d’ironie, encore accentuée par le fait que ce spectacle était une pure image, très peu verbalisée, se passant aisément des discours traditionnels de justification ou d’explicitation.
Depuis le 11-Septembre, ce paradigme a été décliné avec un esprit de système tout à fait flagrant. Il y a bien sûr eu l’organisation Etat islamique [EI] et son sens particulièrement pervers de la mise en images de ses exactions : vidéos de décapitations, de l’assassinat par le feu d’ennemis vivants dans une cage de fer ou du lynchage sanglant de prisonniers. Peu à peu, une grammaire visuelle de la mise à mort s’est ainsi construite.
Le Hamas, jusque-là, en était resté à une action politique encore en partie modelée sur celle des mouvements de libération nationaux : une pratique dans laquelle le discours, l’argumentation, la rationalisation doctrinale des actes dominent pleinement la politique du mouvement, manifestant le souci ordinaire d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre. Mais avec l’agression barbare du 7 octobre, le Hamas a rejoint le paradigme inauguré par Al-Qaida, affermi et consolidé par l’EI. Nous avons tous été submergés par des vidéos postées soit directement par des miliciens du Hamas, soit par des témoins de leurs exactions parmi la population de Gaza : femmes brutalisées, femmes dénudées et mortes, otages apeurés, rapts d’enfants, vidéos d’attaques…
Le message du Hamas est aussi clair que l’étaient ceux d’Al-Qaida et de l’EI : ces images actent une rupture sans retour de toute communication humaine. Ce sont des messages sans discours, ou qui donnent une place infime aux mots : ils rendent forclose et caduque toute éventuelle réponse, qui d’ailleurs ne saurait être qu’une sidération hébétée.