Société-Une reine aimée en Angleterre, un président détesté en France
Qui pour égaler la reine en France ? Le général de Gaulle, à l’origine de la Vᵉ République, – la plus régalienne des Constitutions françaises –, mais cela ne compense pas le déficit d’incarnation du pouvoir ressenti par une partie des Français, explique l’historien Jean Garrigues dans une tribune au « Monde ».
La disparition de la reine Elizabeth II, au terme d’un règne de soixante-dix ans, pose la question cruciale de l’incarnation dans un régime démocratique. Depuis 1952, à travers toutes les vicissitudes personnelles et collectives que « The Queen » a traversées, elle a réussi incontestablement à incarner son pays et son peuple, mieux que n’importe quel chef d’Etat républicain.
Tout au long de son règne, y compris au plus bas de sa popularité, en 1992, l’« annus horribilis », elle a conservé l’adhésion des Britanniques, dont les trois-quarts la vénèrent au moment où elle disparaît. Cette popularité exceptionnelle, en dépit du caractère suranné de l’institution monarchique et des mille et une critiques qu’elle a suscitées, s’explique en partie par la longévité exceptionnelle de son règne (1952-2022), mais pas seulement.
Elle tient à la personnalité même d’Elizabeth, qui a su exercer son rôle de reine avec hauteur mais aussi discrétion, bienveillance et humour, qualités particulièrement prisées des Britanniques. Elle relève aussi d’un récit historique, magistralement scénarisé par l’entourage royal, qui a su mettre en scène les péripéties du règne, les moments de gloire ou d’infortune, sans que l’image de la reine en soit jamais durablement écornée.
Mais, plus fondamentalement, ce qui fait la popularité d’Elizabeth, c’est sa relation intime avec l’histoire de son peuple, depuis ce jour de 1940 où, âgée de 14 ans à peine, elle s’est adressée aux jeunes Anglais à la radio pour les soutenir dans l’épreuve de la guerre, en concluant : « Nous savons, chacun de nous, que tout se terminera bien. » Dès ce moment, les Britanniques ont compris qu’elle serait à leurs côtés à travers vents et marées, guerres et crises, comme une figure maternelle et protectrice, insubmersible incarnation de leur résilience patriotique.
Et tandis que se succédaient les premiers ministres au 10 Downing Street, de Winston Churchill à Liz Truss, elle est restée ainsi, sur les hauteurs de la fonction monarchique, imperméable aux aléas de la vie politique, respectant strictement son devoir de réserve, dénuée du pouvoir de gouverner, mais débarrassée de la charge critique qui accompagne ce pouvoir, figure d’incarnation immaculée, installée dans les sommets de l’histoire.
C’est exactement le contraire de ce qui est arrivé dans une autre démocratie de référence, la nôtre. Lorsque, en 2012, un sondage demanda aux Français qui incarnaient le mieux la France à leurs yeux, ce sont des figures du passé qui leur vinrent à l’esprit, en premier lieu le général de Gaulle, loin devant Napoléon, puis Louis XIV, tandis que Nicolas Sarkozy, le président de la République alors en fonctions, n’apparaissait même pas dans la liste, pas plus que ses prédécesseurs.