Trump: agent des russes ?
Dans son livre Notre homme à Washington, le journaliste Régis Genté explique les liens qui unissent Moscou et le milliardaire depuis au moins 40 ans. Entrevue dans le site » la Presse ».
On assiste depuis peu à un rapprochement spectaculaire entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Vous n’êtes sans doute pas surpris…
Pas du tout. Ce qui est surprenant, par contre, c’est la rapidité avec laquelle ça s’est fait et comment ça s’est fait. Trump discute avec Poutine d’égal à égal, voire quasiment en se soumettant, en ne lui posant aucune condition, en ne lui mettant pas de pression [sur le dossier ukrainien]. C’est un énorme cadeau qu’il fait à Poutine. Il le traite comme si la Russie était la deuxième puissance mondiale. Or l’importance économique de la Russie, en réalité, c’est négligeable pour les États-Unis.
Comment expliquer cette « complicité », alors ?
Je pense que la relation entre les deux, en tout cas du point de vue de Poutine, est purement rationnelle. Il utilise celui qui est sur place et qui peut l’aider à servir ses intérêts. Il y a aussi une forme d’idéologie. Une vision du monde semblable quant à la gouvernance interne. Trump veut faire mettre fin à la démocratie américaine telle qu’on la connaît. Il a besoin d’être soutenu par ses pairs sur la scène internationale. Ça pourrait aussi expliquer cette recherche d’une alliance avec Poutine, de même qu’il l’a fait avec Viktor Orbán [premier ministre de Hongrie] ou avec Jair Bolsonaro [ex-président du Brésil].
La relation entre Trump et Moscou ne commence pas avec Poutine. Vous dites dans votre livre que la Russie « cultive » Trump depuis 40 ans. Qu’entendez-vous par là ?
Cultiver, c’est sentir qu’il y a des affinités avec quelqu’un, et donc l’aider dans sa carrière, lui faire rencontrer des gens, faire circuler de l’argent par ses réseaux, des choses comme ça. Je pense que c’est ça, la nature de cette relation. C’est ce que m’ont dit des gens de la communauté du renseignement américaine.
Quel est le point de départ de tout cela ?
De façon purement objective, je dirais 1977, année où Trump épouse sa première femme, Ivana Zelníčková. Elle est d’origine tchèque. Et comme elle veut retourner tous les ans là-bas avec ses enfants, elle est forcément sous l’œil de la StB [services de renseignement tchécoslovaques], qui est une antenne du KGB. Comme l’ont révélé plus tard d’anciens agents de la StB, un dossier sera ouvert du même coup sur Donald Trump.
Pourquoi est-ce que le KGB s’est intéressé à Trump ?
C’était un jeune homme bouillonnant, flamboyant, intéressant, qui avait quand même pas mal d’argent. Ils voyaient un homme puissant qui pouvait servir leurs intérêts. Il y a des gens à Moscou, à un certain moment, qui se disent qu’il a l’envergure, la folie, pour éventuellement risquer de se lancer dans la présidentielle… Ce qui va nous mettre la puce à l’oreille, c’est le voyage de Trump à Moscou en juillet 1987. Ça, c’est fondamental. On sait que c’est un pur voyage monté par le KGB… On va le flatter. Lui faire croire qu’il va peut-être pouvoir construire une Trump Tower à Moscou ou à Leningrad. C’est là qu’on commence à le cultiver…
L’argent sera au cœur de cette relation. Vous écrivez que la Deutsche Bank, liée à la banque d’État russe VTB, lui a prêté des millions. Que la « mafia rouge », connectée au KGB, a investi dans ses projets immobiliers. Selon vous, Trump serait-il devenu aussi puissant sans ces « contributions » ?
Il aurait sans doute trouvé d’autres mafieux, parce que c’est dans son ADN, dans sa manière de fonctionner politique. Il n’a pas de problème avec la mafia. Mais il s’avère que c’est avec les Russes que ça s’est passé, et que ça a des conséquences aujourd’hui sur la géopolitique mondiale.
Un autre grand marqueur de cette relation, c’est la campagne de 2016, dans laquelle la Russie va s’ingérer, en piratant notamment les courriels de Hillary Clinton…
D’un côté, il y a eu le piratage des courriels. Ils n’avaient rien de scandaleux, mais on les a présentés ainsi et en les utilisant à des moments de la campagne qui ont pu affaiblir Clinton. De l’autre côté, il y a eu du trolling. Des centaines de comptes Facebook et autres ont été créés en faisant croire qu’ils avaient été créés par de simples citoyens américains, dans le but d’affaiblir les démocrates en suscitant des polémiques sur fond de problèmes ethniques ou racistes ou religieux et en introduisant des doutes sur la légitimité de l’élection.
Il y a eu un rapport d’enquête sur cette ingérence : le rapport Mueller. Quel a été son impact ?
Le rapport Mueller a presque tout mis sur la table. Énormément d’informations sur le degré d’infiltration et de coopération… Ça a conduit à la condamnation d’un certain nombre de personnages de l’entourage de Trump. D’un autre côté, ça n’a pas permis à la vérité d’éclater, parce que c’est un rapport du département de la Justice. La question n’était pas de savoir si c’était dangereux pour la sécurité américaine, mais si on pouvait condamner Trump en termes juridiques, en disant qu’il avait accepté la collusion avec la Russie. Et la conclusion est non…
Si Trump n’est pas un agent de la Russie, alors comment le décrire ? Comme un « instrument » ?
Si j’utilise les termes du KGB, je dis que c’est un « contact confidentiel ». Mais ça, c’est un peu trop technique. Moi, je dirais que c’est quelqu’un qui offre beaucoup de prise à la Russie. Par son attitude dans la vie, son rapport à l’argent, son rapport à la vérité, sa vision du monde quant aux rapports de force qui doivent régner dans le monde international, par exemple, son peu de goût pour la démocratie. Cela permet à la Russie de l’utiliser tout en allant dans son sens et en montrant qu’à bien des égards, ils sont sur la même longueur d’onde… et puis parfois de le manipuler, pour son propre intérêt…