Afghanistan : Les talibans n’ont pas changé
Fawzia Koofi, ancienne députée afghane, était assignée à résidence à Kaboul depuis la prise de pouvoir des fondamentalistes. Depuis le Qatar, où elle s’est réfugiée, elle répond aux questions du « Monde »(Extrait).
Interview
L’ex-députée Fawzia Koofi a été l’une des rares femmes de la délégation de l’ancien régime de Kaboul qui négociait avec les talibans à Doha, au Qatar, pendant presque deux ans. Après la chute de Kaboul et la prise de contrôle du pays par les talibans, le 15 août, cette Afghane de 45 ans a été assignée à résidence. Le 1er septembre, le Qatar a obtenu sa libération. Aujourd’hui, depuis Doha, elle appelle la communauté internationale à exercer une pression supplémentaire sur les talibans en conditionnant ses aides à Kaboul
Selon vous, quelle forme prendra le prochain gouvernement taliban qu’ils tardent à annoncer ?
C’est très difficile à prédire. Mais une chose est sûre : les talibans cherchent à avoir la légitimité auprès de la communauté internationale. Si cette dernière demande aux talibans le respect de la liberté d’expression, des droits des femmes, l’accès de ces dernières à la scène politique et leur présence dans l’économie du pays, nous pourrions espérer un système moins strict. Mais les aides internationales à l’Afghanistan doivent être conditionnelles, et les pressions exercées sur les talibans continuelles.
Le processus de paix engagé entre les talibans et Kaboul avait-il une chance d’aboutir ? Ou bien a-t-il été une farce ?
Ce processus aurait pu aboutir. C’est bien pour cela que j’ai négocié avec les talibans à Doha pendant plus d’un an et demi. Même avant ces réunions, je faisais partie des premières personnes ayant entamé des pourparlers avec eux à Moscou. Pour moi, il était important de peser sur ce groupe militaire fondamentaliste, sachant que les talibans ne pouvaient pas se battre à l’infini. Mais les Etats-Unis ont signé l’accord de Doha [lors du mandat de l’ancien président américain Donald Trump], sans le gouvernement afghan et sans les femmes. Cela a donné aux talibans un sentiment de puissance. Joe Biden a également confirmé le retrait des troupes américaines [les dernières ont quitté l’Afghanistan le 30 août]. Voilà pourquoi la paix n’a pas eu lieu.
Quel a été le rôle du président Ashraf Ghani, aujourd’hui en fuite ?
Bien qu’il ait été écarté des négociations entre les Etats-Unis et les talibans, il aurait pu mieux gouverner. Il n’a rien fait contre la corruption.
Les talibans ont-ils changé ?
Par rapport à leur premier règne (1996-2001), ils veulent faire croire qu’ils ont changé. Mais ce changement n’existe qu’au niveau de leurs dirigeants politiques. Eux ont voyagé à l’étranger, en Russie, en Turquie, en Chine, au Kazakhstan et au Qatar. En réalité, les combattants et les commandants talibans qui ne connaissent que la guerre et les armes ne peuvent pas accepter les changements de la société afghane.