Achats de dettes par la BCE: « hypocrisie nécessaire ? »
La Banque centrale européenne a acheté près des trois-quarts des dettes émises par les gouvernements pendant la pandémie, observe Eric Albert, correspondant au « Monde » à Londres. Mais officiellement, il ne s’agit pas de financement monétaire.
L’auteur convient quand même que l’hypothèse d’une crise financière n’est pas à exclure avec la remontée de l’inflation qui se produira un jour ou l’autre. Un sujet qu’on pousse actuellement sous le tapis avec la poussière ! (NDLR)
Chronique.
La Banque centrale européenne (BCE) a été, une fois de plus, la clé de voûte de l’économie depuis le début de la pandémie. En annonçant un programme d’achat de dettes à hauteur de presque 1 500 milliards d’euros, l’institution de Francfort a agi de façon déterminée et nécessaire. A sa prochaine réunion le 10 décembre, elle devrait encore élargir cette enveloppe, sans doute de 500 milliards d’euros supplémentaires.
Cette intervention a calmé la tempête sur les marchés financiers au printemps, puis a permis aux Etats de s’endetter à bas coût. Aujourd’hui, et c’est sidérant quand on pense aux sommes gigantesques émises par les gouvernements, la France se finance à un taux d’intérêt à dix ans de − 0,3 %, l’Allemagne à − 0,6 %, l’Espagne et le Portugal sont juste au-dessus de 0 %, et l’Italie à 0,6 %.
Soyons clair, c’est une excellente chose. Sinon, jamais il n’aurait été possible de financer le chômage partiel et les nombreuses mesures d’urgence. Un chiffre résume le rôle essentiel de la BCE : elle a acheté près des trois quarts des dettes émises par les Etats de la zone euro depuis le début de la crise. C’est la définition même de l’expression « faire tourner la planche à billets ». Les pays européens – c’est vrai aussi au Japon, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis – sont financés par leur banque centrale. Les économistes appellent ça du « financement monétaire ».
Mais, attention, jamais la BCE ne reconnaîtra s’adonner à un tel exercice, car le financement monétaire est interdit par les traités européens. L’article 123 du traité de Lisbonne est explicite : « L’acquisition directe (…) par la Banque centrale européenne (…) des instruments de [la] dette [des Etats] est également interdite. »
Pour faire semblant de suivre les règles, la BCE utilise deux stratagèmes. D’abord, elle n’achète pas les obligations directement auprès des Etats, mais uniquement sur le marché secondaire, auprès des investisseurs privés. Dans un jugement très important, la Cour de justice de l’Union européenne avait estimé en 2018 que cette action était légale.
Par ailleurs, pour expliquer son intervention, la BCE se retranche derrière son mandat officiel, qui est de conserver l’inflation juste en dessous de 2 %. Celle-ci est aujourd’hui négative. Christine Lagarde explique donc que les achats de dette sont destinés à faire remonter l’inflation.
Tout cela relève d’une jolie hypocrisie, nécessaire pour pouvoir agir. Celle-ci peut, dans les conditions actuelles, continuer longtemps. Mais si l’inflation revenait ? « On serait mal », résume Eric Dor, directeur des études économiques à l’école de commerce Ieseg. Il serait difficile pour la BCE de continuer à acheter des dettes par milliards.
style=’box-sizing: inherit;font-size:1.6rem’ v:shapes= »_x0000_i1025″>