Crise viande : « Un modèle d’élevage est complètement absurde »
L’avais d’un expert-boucher, Yves-Marie Le Bourdonnec, qui dénonce le modèle économique responsable de la crise des prix et de la qualité. (Interview JDD)
Est-ce que la crise des éleveurs vous surprend?
Non, ça ne m’étonne pas du tout, je le prédis depuis des années. Le problème de l’élevage français, c’est un problème historique qui a plus de cent ans, qui provient de l’époque où nous avons choisi nos races à viande. Contrairement aux Anglais, nous avons choisi nos races par rapport à leur volume musculaire. Et on ne les a jamais choisis pour les bonnes raisons. Pour faire un bon steak ou un bon rôti, il faut que la viande soit tendre et goûteuse. Techniquement cela veut dire qu’il faut une viande pauvre en collagène avec un bon équilibre de gras. Aujourd’hui, un élevage idéal c’est une vache autochtone. Typiquement une normande en Normandie, une bretonne pie noir en Bretagne, une montbéliarde dans l’Est de la France… Une vache qui a l’habitude de vivre dans ce paysage, de se nourrir de ce paysage et qui n’a pas besoin de se nourrir ailleurs. Or on fait complètement l’inverse.
Pour vous il faudrait complètement changer de modèle?
Il faut considérer qu’on est au 21e siècle et qu’il faut se nourrir en fonction de ce qu’on est capable de produire. On a de la chance, en France, d’être dans un jardin d’Eden. On est capable de tout produire. Un bovin idéal aujourd’hui, ce serait un animal habitué à son terroir, capable de se nourrir avec ce qu’il a autour de lui. Aujourd’hui, pour l’alimentation, nos animaux sont beaucoup trop dépendants de l’agriculture céréalière pour pouvoir faire du gras. Cette équation n’est pas bonne pour les éleveurs français. Quand l’agriculteur amène sa vache à l’abattoir, le prix qu’on lui donne est généralement le prix qu’il a investi en nourriture. Alors que s’il avait eu un animal qui se nourrissait en prairie, avec de l’herbe et non en grains qu’il achète, il gagnerait sa vie.
Que pensez-vous des prix à l’heure actuelle sur la viande?
Le prix de la viande aujourd’hui est complètement absurde. Il y a 30 ans, j’achetais mes bovins 23 francs le kilo. On est trente ans plus tard et on entend dire que le prix pour une vache limousine c’est 3,60 euros le kilo… c’est-à-dire 23 francs. On ne peut plus continuer à brader la viande. Brader la viande c’est brader tout un modèle, c’est brader le paysage, notre agriculture, notre histoire. Il faut repenser complètement notre modèle.
Donc l’annonce d’augmenter les prix, prôné par le gouvernement, est une bonne nouvelle?
Déjà il faudrait remettre l’éleveur dans un modèle économique normal. Aujourd’hui, entre 70 et 80% de ses revenus sont des subventions de la PAC (Politique agricole commune). Pourquoi? Parce que notre modèle d’élevage est complètement absurde, il n’a aucune logique économique. Alors pour compenser, on donne des subventions. Ça fait 30 ans que les éleveurs sont sous perfusion de subventions. Ça ne peut plus tenir, il faut réfléchir à ce qui existait dans notre terroir il y a une centaine d’années, avant qu’on se lance dans le tout-charolais. Il faut remettre nos animaux dans leur territoire.
Vous considérez que l’agriculture intensive est vouée à sa perte?
C’est terminé! Si on doit conserver le modèle actuel, à savoir, vendre de la vache limousine à 3,60 euros le kilo, c’est impossible! Ça devrait valoir 10 euros le kilo! Si on devait payer l’éleveur en fonction du travail, du prix que ça lui a coûté, ça devrait valoir 10 euros le kilo. Maintenant, si on veut des prix plus raisonnable, dans un modèle plus écologique, il faut faire revenir au modèle d’avant, avec nos animaux dans nos prairies.
Quel regard portez-vous sur le rôle de la grande distribution dans la crise actuelle?
Depuis la crise de la vache folle, les grandes surfaces ne savent pas appréhender les races bovines françaises. Il n’y a que les artisans bouchers qui savent le faire aujourd’hui. La grande distribution a contribué à mettre l’animal dans un modèle économique absurde. Aujourd’hui, la logique c’est de produire sans réfléchir… dans un contexte où les éleveurs sont prisonniers du modèle subventionné. Ce n’est pas mon rôle de blâmer l’un ou l’autre. Mais je dois dire que c’est absurde et qu’il faut bâtir un autre modèle.
A long terme, quel est avenir pour l’élevage bovin?
Aujourd’hui, le client paye un produit qui est à 80% subventionné. Demain, ces aides seront beaucoup moins importantes. La viande coûtera forcément plus cher et c’est tant mieux! Ça permettra de mieux réguler le marché. Et d’aller vers un modèle où on consommera moins de viande… mais une viande plus écologique et plus respectueuse de l’animal.