Régionales 2021 : Un abstentionnisme de désillusion
Le spécialiste d’histoire politique Jean Garrigues affirme, dans une tribune au « Monde », que l’abstention record aux régionales montre non pas que l’envie de politique est morte, mais que celle-ci ne trouve plus son expression dans les formes traditionnelles de la démocratie représentative.
Tribune.
Quatre faits marquants se dégagent, a priori, des résultats des élections régionales. Le premier, c’est évidemment l’abstention massive, et exceptionnelle, qui a éloigné les deux tiers des électeurs inscrits des bureaux de vote. Le deuxième, c’est bien sûr l’échec patent du parti de la majorité présidentielle, La République en marche, largement distancé lors du second tour, oscillant entre 9 % et 15 % selon les régions, quand il n’a pas été écarté dès le premier tour. Le troisième, c’est la déception du Rassemblement national, incapable de conquérir la région PACA et en recul dans la plupart des autres régions. Enfin, quatrième enseignement majeur, la victoire des anciennes coalitions, d’un côté l’union de la droite et du centre, de l’autre l’union de la gauche, qui conservent respectivement six et cinq régions qui leur étaient acquises en métropole.
Faut-il en conclure que la page du « macronisme » est tournée, que le duel Macron-Le Pen est définitivement enterré pour la présidentielle et que les partis qui ont gouverné la France depuis 1958 sont de retour ? Ce serait aller trop vite en besogne.
En ce qui concerne l’abstention, les causes conjoncturelles ne sauraient dissimuler les facteurs structurels, inhérents à la crise du fonctionnement démocratique. On peut évidemment invoquer les effets de la pandémie de Covid-19 pour expliquer la démobilisation des électeurs, après une campagne avortée, hors-sol, polluée par des thématiques sécuritaires et identitaires très éloignées des enjeux des élections régionales et départementales. On peut d’ailleurs se référer à l’incompréhension de ces enjeux, liés à la méconnaissance collective de ces territoires à la fois trop éloignés des citoyens et dont les réelles attributions leur sont inconnues.
C’est en partie ce qui explique le tropisme abstentionniste de ce type d’élection depuis plusieurs décennies, tropisme accentué par la surprésidentialisation de notre agenda électoral. Toutes les élections intermédiaires pâtissent du surinvestissement politique de l’élection présidentielle, qui vampirise la vie politique depuis 1965. Encore faut-il constater que la lèpre abstentionniste a gagné le rendez-vous majeur de notre monarchie républicaine, dépassant un quart des inscrits lors du second tour de 2017. Et il n’est pas exclu de voir le mal s’étendre lors de la présidentielle de 2022, si la dynamique de déprise électorale se poursuit.
Et c’est, bien sûr, ce qui nous renvoie aux causes structurelles de l’abstention, qui sont elles-mêmes complexes à interpréter. Un récent sondage indiquait que 27 % des abstentionnistes entendaient exprimer un mécontentement par rapport au monde politique dans son ensemble. Se pose donc la question de l’adéquation des partis protestataires, notamment le Rassemblement national et La France insoumise, au mécontentement exprimé par les abstentionnistes. Ce qui voudrait dire que la situation d’aujourd’hui est bien pire que celle des années 1960, lorsque le mécontentement populaire pouvait être canalisé par le Parti communiste. Le rejet de la vie politique ne pourrait alors s’exprimer que dans la rue, sous la forme d’émotions collectives du type « gilets jaunes » ou d’agressions récurrentes à l’encontre des acteurs publics.