Covid Afrique: absence de transparence ?
Une tribune de Nicolas Pulik, Inserm; Ahidjo Ayouba, Institut de recherche pour le développement (IRD); Eric Delaporte, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Eric D’Ortenzio, Inserm (*) qui constatent le manque total de transparence vis-à-vis de la crise Covid en Afrique.(la Tribune, extrait)
tribune
Avec quelques 6,3 millions de contaminations et 160 000 décès enregistrés, le nombre de cas officiellement rapportés par le Centre africain pour le Contrôle et la Prévention des Maladies semble indiquer que le SARS-CoV-2 se propage peu en Afrique : ramenée à l’échelle du continent, la prévalence de l’infection par ce coronavirus serait en effet inférieure à 1 %.
Toutefois, l’histoire racontée par les premiers résultats des études de séroprévalence, qui permettent d’estimer la proportion de personnes entrées en contact avec le virus en détectant les anticorps présents dans leur organisme, est très différente. Les prélèvements et analyses effectués auprès de diverses populations (donneurs de sang, soignants, population générale, etc.) indiquent en effet une prévalence d’infection par le SARS-CoV-2 élevée, en moyenne aux alentours de 20 %, et pouvant aller jusqu’à 60 % selon les endroits.
La diffusion du SARS-CoV-2 en Afrique pourrait donc être beaucoup plus forte qu’annoncé. Comment s’explique cette apparente contradiction entre nombre de cas confirmés et résultats des études de sérologie ? Quelle est la dynamique réelle de l’épidémie en Afrique ?
Quand un virus pénètre dans notre organisme, notre système immunitaire détecte ses protéines (aussi appelées antigènes) et produit des anticorps. Ces derniers vont ensuite se fixer sur les protéines virales afin d’éliminer le virus. Chez le coronavirus SARS-CoV-2, ces antigènes sont au nombre de quatre : la protéine de nucléocapside (N), la protéine de spicule (S), la protéine de membrane (M) et la protéine d’enveloppe (E).
Présente en de nombreux exemplaires à la surface du coronavirus SARS-CoV-2, la protéine Spike (en rouge sur ce modèle imprimé en 3D du coronavirus) est l’un des antigènes détectés par le système immunitaire lors de l’infection. Elle permet au virus de pénétrer dans les cellules humaines. NIH
Les tests sérologiques fonctionnent sur le même principe. Un échantillon du sang du patient que l’on souhaite tester est mis en contact avec un réactif contenant des antigènes du virus à détecter. Si le patient a été précédemment infecté par ledit virus, son organisme aura fabriqué des anticorps dirigés contre lui, dont un certain nombre demeurent présents dans son sang. Ces anticorps sanguins se fixeront aux antigènes contenus dans le réactif, rendant le test positif. Un résultat négatif indique que la personne n’a jamais contracté le virus et qu’elle ne dispose donc pas d’anticorps.
Cependant, dans la réalité, il arrive que les résultats ne soient pas aussi clairs. Il existe en effet diverses méthodes d’analyses. Basées sur des techniques différentes, leur fiabilité peut varier. Par ailleurs, les méthodologies ou les interprétations peuvent également différer d’un centre de test à l’autre. Pour ces raisons, le paradoxe entre le nombre de cas reportés et les études de séroprévalence appelle à une évaluation minutieuse et une interprétation prudente des résultats.
Le premier facteur, primordial, à prendre en compte pour interpréter les résultats d’un test de diagnostic sérologique concerne ses propriétés intrinsèques, dont sa sensibilité et sa spécificité. Ces deux indicateurs déterminent, entre autres, la qualité du test.
La sensibilité désigne la capacité à détecter les anticorps dirigés contre le virus concerné. Elle traduit la probabilité d’avoir un test positif chez les malades. La spécificité mesure quant à elle la capacité du test à ne pas classifier comme « malade » une personne saine.
Idéalement, sensibilité et spécificité doivent être les plus élevées possibles pour que le test soit jugé efficace. Mais ces valeurs ne sont pas figées dans le marbre, et l’efficacité d’un test sérologique peut varier en fonction du contexte. Un test très performant dans certaines conditions (par exemple dans un environnement géographique donné) peut s’avérer médiocre dans un autre.
C’est notamment un problème lorsque les tests ont été développés dans un contexte différent de celui où ils sont utilisés, car ils peuvent alors donner des résultats incorrects par rapport à la réalité. A minima, un test sérologique utilisé en Afrique doit avoir été préalablement validé sur des échantillons de personnes vivant en Afrique. Or, certains tests sérologiques utilisés en Afrique n’ont pas été validés sur des prélèvements sanguins de personnes vivant sur le continent.
Si la vaccination progresse sur le continent africain, elle reste très faible. En effet, sur plus de 3,7 milliards de doses administrées dans le monde, seules 61 millions ont été injectées en Afrique et environ 1,5 % de la population africaine est entièrement vaccinée. Dans le même temps, près de 75 % des doses se sont retrouvées monopolisées par dix pays industrialisés. Outre les problèmes d’approvisionnement internationaux, plusieurs autres raisons expliquent ce faible taux de vaccination, comme l’hésitation vaccinale, les stratégies nationales de vaccination ou les mises à disposition locales.
Ces différents facteurs expliquent pourquoi les études de séroprévalence indiquent une incidence de l’infection par le SARS-CoV-2 variant de 2,1 % à 60 % sur le continent.
Trois explications sont généralement avancées pour expliquer la dynamique épidémique sur le continent africain.
La première est la démographie. Sur le continent africain, 60 % de la population à moins de 25 ans, les plus de 65 ans ne représentant que 3,5 % de la population.
Or, on sait que l’âge est un facteur déterminant de la gravité de la Covid-19 et du risque de mortalité. Cette situation pourrait expliquer pourquoi la population africaine n’a pas été frappée par une surmortalité aussi forte que celle qui a touché l’Europe de l’Ouest, où 20 % de la population est âgée de plus de 65 ans. La relative jeunesse des populations pourrait non seulement avoir limité le nombre de cas graves, mais elle pourrait aussi s’être traduite par un grand nombre de cas asymptomatiques, lequel pourrait expliquer en partie le faible nombre de cas rapportés officiellement.
La seconde explication du paradoxe apparent entre cas rapportés et résultats de séroprévalence pourrait résulter des faibles capacités de détection des cas sur le continent africain, qui ne permettent pas un dépistage systématique.
Enfin, troisième explication, on ne peut exclure l’existence d’une immunité croisée induite par d’autres coronavirus, voire d’autres pathogènes, circulant sur le continent. Celle-ci, en conférant aux personnes une immunité contre le SARS-CoV-2 un peu à la manière de celle conférée par la vaccination, pourrait limiter le nombre de cas graves. Certaines études actuellement en cours en Afrique subsaharienne permettront de répondre à cette question : des tests sérologiques intégrant les marqueurs d’autres coronavirus ont été développés pour identifier de telles réactions d’immunité croisée si elles existent.
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(*) Par Nicolas Pulik, Assistant de recherche – Sciences humaines et sociales, Inserm ; Ahidjo Ayouba, Directeur de Recherches, virologue, Institut de recherche pour le développement (IRD) ; Eric Delaporte, Professeur de maladies infectieuses, Inserm, université de Montpellier, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Eric D’Ortenzio, Médecin, Epidémiologiste, Responsable du département Statégie & Partenariats, ANRS I Maladies infectieuses émergentes, Inserm.
Nicolas Pulik, Ahidjo Ayouba, Eric Delaporte et Eric D’Ortenzie (*)