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Théâtre -Primaire de la gauche : « bal tragique à Solférino »

Théâtre -Primaire de la gauche : « bal tragique à Solférino »

Claude Patriat, professeur émérite de Science politique à l’université de Bourgogne, imagine un dialogue imaginaire entre les prétendants à la primaire de la gauche.

 

 

Les sept prétendants à la primaire de la gauche (de haut en bas, de gauche à droite) : Jean-Luc Bennahmias, Benoît Hamon, Arnaud Montebourg, Vincent Peillon, Sylvia Pinel, François de Rugy et Manuel Valls. (Reuters)

 

Manolo

(Seul à la tribune, s’adressant à une salle bondée d’une bonne cinquantaine de militants)

 

J’avais tort, avouons, les frondeurs ont raison :

J’ai là dans le panneau donné comme un oison.

Pressé par l’Élysée, et Myriam empêtrée,

Je me suis bonnement lancé tête baissée

Vers une procédure à mon sens désuète :

Du quarante-neuf trois j’ai tiré la gâchette.

Il n’y faut plus penser, j’en ai la conviction.

On doit en supprimer la forte tentation,

L’effacer désormais de la Constitution…

Hier du ministère encore avais les rênes,

Et dans l’adversité gardais visage amène.

À peine mon menton, si fermement pointé,

Rappelait à chacun ma grande autorité.

Me voici devant vous dans le simple appareil

D’un pauvre militant sans or et sans vermeil.

Un seul poste vous manque et tout est transformé.

Voyez, chers camarades, à quel point j’ai changé :

Bien loin de diviser, j’appelle à l’unisson

Pour retrouver ensemble, à la belle saison,

La France réunie autour du grand projet

Que depuis des années je mûris en secret…

 

(Longs applaudissements et cris : « Manolo Président ! »)

 

Manolo

(Apaisant la salle de sa main gauche)

 

Patience, mes amis, car à deux pas d’ici

Se prépare à entrer sans grand catimini

Un clan d’usurpateurs rêvant de me noyer

Dans l’eau de leur moulin à promesses éventées.

 

(Hou ! hou ! crie la salle)

 

J’ai su sans barguigner avaler les couleuvres

Venues d’un chef d’État dont j’étais le hors d’œuvre.

Avec le bel éclat de mon autorité

Les baigneuses aie-je fait vite se rhabiller.

Et quand il a fallu, pour le bien de nous tous,

Amener Président à nous déclarer pouce,

Qui fut à la manœuvre à part moi, Manolo ?

 

(Tohu-bohu quand entrent dans la salle six candidats escortés par une foule de militants enfiévrés)

 

Monsieur de Brandebourg

(Criant du fond de la salle)

 

Silence ! Manolo, tu en dis déjà trop !

Ne nous rends pas complice en si odieux forfait !

L’heure est à rassembler et à tirer un trait

Sur le triste bilan dont tu es le portrait !

Comment peux-tu prétendre avec autant d’audace

Infliger à la Gauche telle sinistre farce

Où tu joues un pompier éteignant l’incendie

Dont tu as de toi-même allumé les bougies !

 

(Sourds grondements de la foule qui montre à Manolo la porte ouverte)

 

Les six candidats ensemble

(Psalmodiant)

 

Unité ! Unité ! Dans le rassemblement

Autour de nos valeurs et de notre parti !

Lui seul peut impulser sans de lourds compromis

Ce message social qu’attendent les Français,

Et qu’avant d’oublier, François leur promettait.

 

Manolo

(Goguenard)

 

Belle unanimité, que je crois partager !

Moi non plus, soyez sûr, je ne peux tolérer

Que par la division nous soyons écartés

D’une compétition qui en serait biaisée.

Mais à trop désirer de me voir déserter

Vous semblez oublier de vous départager.

Il vous faudra choisir celui d’entre vous six

Qui pourra sur le trône imposer son coccyx !

 

Brandebourg

(S’avançant à la tribune)

 

Mais l’affaire est tranchée, et notre réunion

N’a pour unique but qu’en forcer l’opinion.

Je suis celui qui suis. J’incarne changement,

Sachant tant m’adapter au murmure du temps.

À bataille d’Évry, nous préférons Ivry,

Ou mon panache blanc apparaîtra fleuri,

Comme l’a si bien dit notre bon roi Henry.

 

(Applaudissements d’une part de l’auditoire)

 

Hamonius

(S’emparant du micro)

 

Sans enlever de poids aux mérites insignes

De notre camarade, nous n’avons pas sa ligne.

On peut fort désirer cuvée du changement,

Encor faut-il avoir le poids des arguments ;

Vrai made in socialism, j’offre la garantie

D’un respect des valeurs de notre cher parti.

Seul je peux rassembler sur un projet solide

Ceux que le désespoir a rendus invalides.

Orphelins de l’espoir, ralliez-vous à moi !

À la vieille maison, redonnons son vrai toit !

 

(Applaudissements sur la gauche de l’auditoire)

 

Vicente

(Écartant sèchement Hamonius du micro)

 

Mais quels sont ces serpents qui sifflent dans vos têtes ?

Qui peut croire un instant, à moins d’être assez bête,

Que vous disposerez pour le rassemblement

Des atouts nécessaires à l’urgence des temps !

Le danger a un nom, c’est celui du bilan

Dont ledit Manolo est le porteur vivant.

Unissons nos efforts afin de l’écarter,

Et cela je suis seul à pouvoir l’assurer.

Je ne puis garantir l’originalité

Mais loin d’être faiblesse, j’y trouve qualité.

Il faut savoir tirer de son obscurité

La force d’emprunter aux autres leurs idées.

C’est affaire de rythme, et j’ai su en donner

À notre pauvre École emberlificotée.

De la gauche en lambeaux je ferai calicot.

Cessons donc vainement de contourner le pot !

Vicente candidat, la République est là !

 

(Silence gêné dans la salle)

 

Cambadéliès

(Entrant à pas lents et majestueux dans la salle)

 

Mais voulez-vous vraiment que le parti trépasse,

À tant nous enfermer dans une horrible impasse ?

Chacun dedans son coin veut le rassemblement

Pourvu qu’il n’en subisse aucun désagrément !

Entendons pour finir, les petits candidats

Qui nous feront sortir de ce fort mauvais pas.

 

Les trois petits candidats

(Ensemble)

 

Nous nous tenons bien loin de tout ce falbala.

C’est qu’à dire tout vrai, nous ne sommes pas là

Pour disputer la place aux autres postulants.

On nous a demandé de jouer figurants

Et donner à la scène un peu de majesté :

Il fallait une femme et quelques isolés.

On a su nous convaincre en faisant miroiter

De futurs maroquins, à élection gagnée.

Aussi pour nos partis, bien des investitures,

Afin de la défaite, éviter la froidure

Et d’ainsi protéger nos modestes masures.

 

Cambadéliès

(Tombant effondré sur son siège)

 

Alors tout est perdu, il est déjà si tard,

Avec tous nos rivaux nous piquant de leurs dards.

Plus que de cavalier, la France veut changer

De cheval pour gagner la bataille engagée.

 

(Surgissent par deux portes opposées deux diables rouges avec un grand M sur la poitrine, répandant dans la salle des gaz anesthésiants)

 

Les candidats avant de sombrer dans l’inconscience

Quels grands artistes la France va perdre !

 

 

Épilogue

Une foule d’électeurs de gauche rassemblés dans la nuit

 

Un anonyme

Vous connaissez le drame, ils sont sans candidat !

La primaire a fini dans un grand branlebas !

Nous voilà orphelins, sans espoir de demain.

 

Une voix dans la foule

Avons-nous tant péché, pour être condamné

À l’Extrême pain sec, ou bien au bénitier ?

Pourtant, il y a peu, nous votions changement,

Et nous avions élu un nouveau Mitterrand.

 

Une autre voix

Nous nous sommes trompés, et plutôt que pécheurs

C’est du péché d’autrui qu’on nous porte rigueur.

 

Une autre voix encore

Aucun des postulants, à croire les sondages

N’aurait eu le pouvoir d’échapper au carnage !

Ne pleurons pas en vain. Et scrutons dans la nuit

L’étoile du berger qui a toujours conduit

Le peuple des élus aux portes du salut.

 

Un cri dans la foule

Je sens, je crois, je sais, la voici à ma vue !

Mon cœur de joie bondit au mitan de la nuit.

Voyez ce feu follet qui tout là-haut reluit

Éclairant doucement le toit de cette étable !

 

Des voix qui reprennent

La scène qu’on y voit, on dirait un retable :

Dans cette humble demeure, il y a un enfant

Sur lequel sont penchés des anges consolants.

L’innocence se lit sur son visage frais

Et d’un réformateur, on reconnaît les traits !

 

Tous ensemble

Chantons, chantons enfin, nous l’avons retrouvé !

Le chemin nous attend, qui mène à l’Élysée !

Ensemble rendons-nous, pareils à des rois mages

Afin de toutes voix lui apporter l’hommage !

 

(Pendant que sonnent les douze coups de minuit à l’horloge du village, une foule immense monte le chemin qui gagne la bergerie, en murmurant des cantiques.)

 

(Le rideau bleu, couvert d’étoiles, tombe devant la scène.)




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