Politique: Eloge technocratique du 49.3 !!!
– la tribune de Jean-Eric Schoettl et Pierre Steinmetz
Par Jean-Eric Schoettl et Pierre Steinmetz
Jean-Eric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. Pierre Steinmetz est membre honoraire du Conseil constitutionnel
Un curieux éloge du 49-3 sans doute pertinent sur le strict plan juridique mais politiquement obsolète car il fait l’impasse sur la crise démocratique générale qui affecte le pays. Exemples, les manifestations actuelles qui resteront sans doute historiques ou l’écroulement régulier de la participation aux échéances électorales. Un article typique de l’approche techno-juridique qui rejoint les autres approches techno économique, techno-sociale voir techno-environnementale. Pas un mot évidemment par exemple sur ceux dont la pension ne dépasse pas 800 € et qui doivent payer un loyer au black de 600 €! NDLR
( tribune dans l’Opinion)
Malgré les atteintes qu’elle a subies au fil des révisions, la logique politique de la Constitution de 1958, telle que modifiée en 1962, demeure robustement simple : sous l’autorité du Président de la République, le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ; le Parlement lui en donne les moyens en votant les lois et le budget ; le Parlement contrôle le gouvernement et, le cas échéant, le renverse .
Cette logique repose sur le principe que le pays doit être gouverné et que les institutions ont pour finalité de le permettre. Elle se trouve tout entière condensée dans l’article 49, alinéa 3, de la Constitution : lorsque le Premier ministre estime qu’un texte est indispensable à la conduite de sa politique et que, sans lui, l’action gouvernementale serait empêchée, il demande à l’Assemblée nationale de se prononcer directement sur son maintien en fonction. Le vote de la motion de censure par la majorité des membres composant l’Assemblée nationale provoque le changement de gouvernement.
Si la motion de censure n’est pas adoptée, le gouvernement reste en place car il est démontré qu’une majorité des députés ne souhaite pas son renversement. Dès lors, la condition nécessaire de ce maintien en fonction (l’adoption du texte) doit être regardée comme implicitement, mais nécessairement, agréée par l’Assemblée nationale. Autrement dit le texte est réputé adopté par celle-ci.
Cohérence. Cette logique est rigoureuse. Elle est parfaitement compréhensible. Elle est démocratique car elle place chacun devant ses responsabilités et donne le dernier mot à la représentation nationale. Elle conduit le gouvernement à assumer pleinement les risques de sa charge. Elle concourt à une bonne gouvernance en permettant au Premier ministre de maîtriser les délais (il peut déclencher la procédure à tout moment) et de préserver la cohérence du projet (en ne retenant que les amendements qu’il juge acceptables).
Le gouvernement actuel a cherché, dès son entrée en fonction, à construire des majorités d’opinion, variables selon les sujets, à partir d’une majorité relative. On ne peut lui reprocher d’avoir manqué d’esprit d’ouverture, ni de volonté de rassembler. L’utilisation du 49.3, ne contredit pas cette ambition initiale. Il peut au contraire la servir en incitant au succès de la négociation et en remédiant à son échec.
La réforme des retraites fournissait a priori un cadre idéal pour conjuguer le potentiel de l’article 49.3 et la recherche de compromis : un texte essentiel, une majorité incertaine, des possibilités de convergence, la clarté du choix ouvert entre l’adoption de la réforme et le déclenchement d’un processus qui, après le renversement du gouvernement, pouvait conduire à la dissolution.
«En proclamant vouloir éviter le 49.3 à tout prix, le gouvernement accréditait l’idée que le 49.3 était un coup de force antidémocratique»
Le 49.3 figure dans la Constitution depuis l’origine. Il a été voulu par les grandes figures de la IVe République (Pierre Pflimlin, Guy Mollet) pour prévenir l’instabilité gouvernementale. Il a été largement utilisé depuis 1958 tant par les gouvernements de droite que par ceux de gauche (33 fois par un Premier ministre de droite, 56 fois par un Premier ministre de gauche). Mais sa signification profonde a été perdue de vue. L’air du temps l’a amputé : depuis la révision constitutionnelle de 2008, il ne peut plus être utilisé que pour les textes financiers et, en dehors de ceux-ci, pour un texte par session.
En choisissant la procédure de la loi de financement de la Sécurité sociale rectificative, le gouvernement a voulu éviter le 49.3 grâce au plafonnement des délais que prévoit l’article 47-1. Cette finesse aurait pu réussir dans une conjoncture politique moins minée. Mais, dans les circonstances présentes, c’était prendre un double risque. D’une part, compte tenu des états d’âme de certains députés du groupe LR et de la majorité présidentielle elle-même, l’exécutif n’avait aucune garantie d’obtenir une majorité. D’autre part, en proclamant vouloir éviter le 49.3 à tout prix, le gouvernement accréditait l’idée que le 49.3 était un coup de force antidémocratique. Il dramatisait ainsi son usage éventuel au lieu de le banaliser par avance. Jusqu’au dernier moment, il a stigmatisé une procédure à laquelle il a dû recourir.
Le gouvernement peut certes soutenir aujourd’hui, en toute sincérité, qu’il a fait tout le possible, et même au-delà, pour obtenir un accord explicite du Parlement. Mais c’est là confesser qu’il a surestimé ses capacités de manœuvre.
Les erreurs du gouvernement sont évidemment sans commune mesure avec les outrances des insoumis, avec les caprices des députés LR, avec l’enflure des ego, avec les calculs sordides des uns et des autres, avec toute cette pitoyable séquence parlementaire écrite sur la toile de fond d’inadmissibles blocages et troubles à l’ordre public. Il reste que l’erreur commise par l’exécutif sur l’emploi du 49.3 est tout sauf vénielle et ce, pour deux raisons.
D’abord parce que le marchandage auquel contraint le renoncement de principe au 49.3 subordonne toute réforme, au noble motif habituel qu’on « enrichit le projet », aux intérêts, aux ambitions et aux ego des uns et des autres.
«Comme l’illustrent notre propre histoire et maints exemples étrangers, une addition d’oppositions hétérogènes ou antagonistes ne fait pas une majorité de gouvernement. Il est donc sain de les mettre au pied du mur : vous vous entendez pour faire obstacle à notre politique, mais seriez-vous capables de vous entendre pour nous remplacer?»
Au pied du mur. Ensuite parce que, en protestant de sa volonté d’éviter à tout prix éviter le 49.3, le gouvernement nourrit l’opprobre jeté sur une procédure constitutionnelle essentielle au bon fonctionnement de nos institutions et permettant de gouverner en cas de majorité relative, comme de majorité frondeuse. Comme l’illustrent notre propre histoire et maints exemples étrangers, une addition d’oppositions hétérogènes ou antagonistes ne fait pas une majorité de gouvernement. Il est donc sain de les mettre au pied du mur : vous vous entendez pour faire obstacle à notre politique, mais seriez-vous capables de vous entendre pour nous remplacer ? Ce n’est pas par hasard que le 49.3 ait été porté sur les fonts baptismaux par des dirigeants de la IVe République ayant connu ces « délices et poisons du système » que nous retrouvons aujourd’hui. Ce n’est pas par hasard que le 49.3 ait permis d’adopter des mesures aussi importantes que la force de dissuasion nucléaire ou la CSG. Qui en ferait rétrospectivement reproche aux gouvernements alors en fonction ?
L’habileté s’impose en politique, mais trop d’habileté nuit. Elle ne peut dispenser un gouvernement d’avoir recours aux moyens de ses fins, lorsqu’ils sont constitutionnels. Au moment où une révision constitutionnelle est évoquée, il serait sage de ne pas l’oublier….
Jean-Eric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. Pierre Steinmetz est membre honoraire du Conseil constitutionnel.