« La tempête virale » : (Slavoj Zizek)
Pour le Slovène, l’enjeu de la « révolution philosophique » qui nous incombe est fondamentalement politique – mais « loin de tout avenir radieux ».
« Dans la tempête virale » (Pandemic !), de Slavoj Zizek, traduit de l’anglais par Frédéric Joly, Actes Sud, « Questions de société », 158 p., 16 €, numérique 12 €.( papier du Monde)
Le Covid-19 n’est pas un ennemi qui veut nous détruire. Un virus n’a pas de plan d’invasion, il ne fait que s’autoreproduire. Déclarer la guerre à cette « sous-strate du vivant », cette « caricature biologique » (pour ne citer que quelques appellations propres à enrichir le lexique du capitaine Haddock), n’a donc aucun sens, sinon celui de nous conforter dans l’idée que nous serions au centre de l’univers, comme si la nature nous envoyait un message, « comme si nous importions profondément », explique Slavoj Zizek au début de Dans la tempête virale.
Au contraire, selon le philosophe slovène, « les épidémies virales viennent rappeler à notre bon souvenir la contingence absolue et l’insignifiance de nos existences ». Il faut partir d’une autre position pour comprendre ce qui nous arrive : celle de vivants qui se découvrent fragiles, pris dans la tempête. Dans le fourmillement des pensées de l’auteur, telle une tempête dans un crâne, entre réaction à un article de journal et remémoration de scènes de films dystopiques, c’est cette attitude qui émerge comme idée centrale. Elle est philosophique au sens d’une « orientation fondamentale dans l’existence ».
Comment, donc, nous orienter ? D’un point de vue éthique, Zizek en appelle à l’avènement d’une forme de frugalité et de modestie. Mais, attention, il ne s’agit pas ici d’une « méditation spiritualiste new age » sur « ce qui est réellement important dans nos existences ». Car l’enjeu de la « révolution philosophique » qui nous incombe est fondamentalement politique. Contrairement à Giorgio Agamben, pour qui la crise sanitaire ne fait que renforcer la surveillance généralisée, Zizek identifie des effets bénéfiques dans le fait de « tourner le dos au libre marché qui ne permet pas de résoudre les crises » et voit apparaître « une nouvelle forme de ce qui était appelé jadis communisme ». Mais « loin de tout avenir radieux », précise-t-il, il s’agit d’un « communisme du désastre » en tant qu’antidote au « capitalisme du désastre » dont parlait l’essayiste Naomi Klein.
Revenu minimum, solidarité inconditionnelle, réaffectation des ressources au bénéfice du bien commun… si les idées sont comme des virus, suggère le philosophe en relisant Tolstoï, « la seule lutte est celle qui oppose les bonnes et les mauvaises contagions ».