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«Les chaînes d’info en continu : la caricature de l’information» (Gérald Bronner, sociologue)

«Les chaînes d’info en continu :  la caricature de l’information» (Gérald Bronner, sociologue)

 

Le sociologue Gérald Bronner dénonce dans l’OPINION  la médiocrité des chaines d’information continue qui notamment  transforme en expert n’importe quel intervenant et se caractérise par une recherche du sensationnalisme et des informations approximatives.

 

Lorsque LCI et franceinfo sont passées sur la TNT gratuite, certains y voyaient un point positif pour le pluralisme de l’information. Au vu des derniers mois, doit-on toujours partager ce sentiment ?

Il n’est pas déraisonnable de dire que la concurrence sur le marché de l’information est une sorte de garantie minimum pour la véracité de celle-ci. Songez à une situation où il y aurait un monopole de sa diffusion, souvenez-vous de la Pravda, qui veut dire « la vérité » mais qui portait bien mal son nom. Dans tout système totalitaire, où il n’existe pas de concurrence de traitement de l’information, sa fiabilité peut être questionnée. A l’époque, il pouvait donc y avoir un espoir raisonnable, mais pas tant parce que les médias sont plus vertueux lorsqu’ils sont en situation de concurrence mais plutôt parce que chacun est contrôlé par les autres. Si vous faites une erreur, vous serez dénoncé par vos concurrents, cela induit du sérieux. Cependant, cette concurrence est un élément favorable jusqu’à un certain niveau de pression concurrentielle. Sur le marché de l’information, lorsque celle-ci devient trop forte, elle réduit, par exemple, le temps de vérification. Prendre le risque qu’un de vos concurrents parle de quelque chose sans que vous en parliez vous-même, c’est prendre le risque de perdre des parts de marché, c’est-à-dire des parts d’attention et donc du capital économique. La tentation devient ainsi très forte de réduire le temps de qualification de l’information d’autant plus que les télévisions sont désormais en concurrence directe avec les réseaux sociaux.

Observez-vous une « twitterisation » des chaînes d’information en continu ?

Je ne sais pas si Twitter est le bon modèle car il a des caractéristiques qu’on ne retrouve pas dans les chaînes d’information continue mais celles-ci ont deux caractéristiques. La première, c’est l’immédiateté, c’est là que se situe leur plus-value, dans leur capacité à informer en temps réel. La seconde, c’est la vacuité. Elles se répètent beaucoup et font du moindre évènement un objet d’actualité. Elles filment une piste en attendant l’arrivée d’un avion, puis son atterrissage, puis la porte qui s’ouvre, etc. Nous avons tous assisté à ces scènes et nous savons tous que ces chaînes d’information en continu ne doivent pas être regardées en continu. Le problème, ce n’est pas seulement la rapidité de diffusion de l’information mais également comment celle-ci est éditorialisée car, comme les réseaux sociaux, elles vont mettre en avant des éléments d’actualité qui frappent l’imagination et retiennent l’attention pour des raisons concurrentielles. Tous les objets cognitifs qui retiendront notre attention facilement auront une place éditoriale très largement supérieure à leur représentativité. C’est le cas par exemple concernant les violences dans les manifestations. Oui, bien sûr, ces faits doivent être traités mais faut-il en faire un exposé qui prend 50 % du temps d’antenne ? Une poubelle en feu, c’est dommage, mais cela mérite-t-il qu’on y revienne toutes les deux minutes pendant des heures ? Cela change le barycentre du traitement de l’information et donc la représentation que nous en avons. Or nous comptons sur les médias pour avoir une organisation raisonnable du monde.

 

Pensez-vous qu’un traitement « raisonnable » de l’information soit possible sur ces chaînes ?

C’est extrêmement difficile parce que comment savoir sur le moment ce qui va vraiment être important ​? Cela me rappelle les réflexions de Raymond Aron sur la question de l’histoire du temps présent alors que souvent, c’est lorsque l’histoire se déploiera que se fera l’élément historique. Le putsch de la brasserie de Munich est devenu un événement historique parce qu’Hitler a pris le pouvoir en Allemagne sinon, cela n’aurait été qu’un fait que l’histoire n’aurait pas retenu. Il est donc très difficile au temps présent de savoir ce qui est digne d’être traité mais le problème c’est que les journalistes n’ont pas tellement le choix. Les chaînes d’information en continu ne sont d’ailleurs pas les seules responsables. Nous avons vu surgir dans plusieurs journaux le traitement des faits divers alors qu’ils ont longtemps été réservés à la presse régionale. Or un fait divers n’a pas grande signification pour comprendre le monde, qu’un individu en assassine sauvagement d’autres ne nous éclaire en rien sur les questions géopolitiques. Pourtant c’est ce genre d’histoire que nous avons envie d’entendre, moi aussi elles m’intriguent et je suis tenté de lire ce genre d’articles. La presse et les médias en général, de plus en plus menacés économiquement, vont avoir tendance à faire une offre d’information fondée sur la demande potentielle. En fait les chaînes d’information continue ne sont rien d’autre que la caricature de ce qui est en train d’arriver sur le marché de l’information en général, c’est-à-dire la mise à l’indexation de l’offre d’information sur la demande d’information. Et donc sur le fonctionnement ordinaire de notre cerveau. Or il me semble que c’est une mission des médias d’informer mais également d’essayer d’édifier les esprits, pas seulement de flatter les pentes les moins honorables.

Est-ce que les chaînes d’info, par leur modèle même de fonctionnement, accentuent la défiance de la population vis-à-vis des médias ​?

Si elles y participent, il ne faut pas les prendre comme des boucs émissaires. Elles sont un miroir grossissant de ce qui se produirait de toute façon mais parce qu’elles sont des chaînes d’information en continu, elles vont avoir tendance quantitativement à diffuser plus de fausses informations que d’autres médias. Néanmoins, elles mériteraient, je crois, d’être chapeautées éditorialement de façon beaucoup plus ferme qu’elles ne le sont, d’avoir davantage de cohérence dans la diffusion de l’information. Tout un chacun est présenté comme un expert au prétexte qu’il faut remplir les cases, c’est peut-être ça le plus grave, n’importe qui se fait passer pour un spécialiste.

 




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