La France et ses millionnaires
La France a perdu des millionnaires, tandis que les États-Unis en ont gagné. Cette hémorragie de richesse coïncide avec un CAC 40 en berne et une Europe à la traîne sur l’innovation, la productivité et l’investissement. Les géants américains, dopés par la tech et des politiques audacieuses comme l’Inflation Reduction Act, creusent l’écart. Par Michel Santi, économiste (*) </strong>dans La Tribune
Le « World Wealth Report » 2025 de Capgemini annonce que la France est en deuil de ses millionnaires ! Notre pays en compte effectivement 21 000 de moins en 2024, tandis que les États-Unis en affichent 562 000 supplémentaires sur la même période.
Que se passe-t-il sur cette terre appelée « France » dont la place boursière fut, l’an dernier, la seule au monde à dévisse (-2,5 % pour la CAC 40), tandis que même une Allemagne en mauvaise posture s’en sortait avec un Dax à +18 ? Nous n’avons hélas pas de « 7 Magnifiques » (Nvidia, Apple, Microsoft, Amazon, Alphabet, Meta, Tesla) comme aux États-Unis, mais pouvons tout de même nous targuer d’avoir des joyaux faisant notre fierté : nos Kering, nos L’Oréal, nos LVMH… dont la capitalisation s’est effondrée de respectivement 40 %, 24 et 13 % en 2024.
La hausse de 6 % sur 2024 de notre indice Stoxx Europe 600 fait si pâle figure face aux indices US (Nasdaq et S&P 500), envolés tous deux de plus de 30 %.
Notre continent est terrifié, tétanisé, par son aversion au risque, ceinturé par ses réglementations fragmentées. L’Europe est désormais subjuguée, reléguée.
Les fortunes migrent vers les États-Unis — et s’y créent — car l’Europe a fini d’être un territoire de l’innovation. Et pour cause, puisque c’est 60 milliards qui y sont consacrés au capital-risque contre… 200 aux États-Unis ! C’est 3,5 % du PIB américain qui sont dépensés en faveur de la R&D (soit 990 milliards de dollars) en rapport aux 440 milliards de dollars, ou 2,3 % du PIB, chez nous.
Ils caracolent en tête, les États-Unis, avec une productivité du travail 1,55 fois supérieure à la nôtre (productivité/heure travaillée 85 dollars contre 55 dollars en Europe), induisant mécaniquement une création de richesse plus rapide.
Nos banques centrales respectives elles-mêmes reflètent la peur panique que nous avons d’intervenir dans l’économie et en faveur des entreprises et des consommateurs. Un seul chiffre, tout s’éclaire, car c’est 8 500 milliards de dollars qui ont été injectés par la Réserve Fédérale entre 2007 et aujourd’hui, contre 4 700 milliards euros par notre BCE Frankfurtienne.
Bien sûr, le coup de grâce pour nous, aura été L’«Inflation Reduction Act (IRA)» de Biden planifiant 783 milliards de dollars d’investissements sur 10 ans dans l’énergie propre, dans la santé et dans l’agriculture, dont une part significative fut dépensée en 2024. Avec un impact de 1% de PIB en plus sur 2024, et 1,5 million d’emplois supplémentaires (souvent bien rémunérés) d’ici 2030.
Alors, nous pouvons à l’évidence nous congratuler en Europe pour notre hétérogénéité fiscale (27 régimes) qui pousse nos grandes fortunes à déplacer leurs capitaux. Nous pouvons aussi, en France, nous vanter de notre fiscalité de 45 % sur les hauts revenus, la plus rédhibitoire de l’Union. Une PME française doit consacrer en moyenne 140 heures par an à la conformité fiscale, contre 80 heures aux États-Unis, selon la Banque mondiale.
Chômage moyen de 5.9 % contre 4.1, croissance moyenne de 0.9% contre 2.6, PIB à 40 000 euros/habitant contre 80 000… Même le Mississippi, État américain le plus pauvre, dépasse en PIB la plupart des grandes économies européennes (sauf l’Allemagne).
Quo vadis Europe ?
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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales, écrivain. Il publie aux Editions Favre « Une jeunesse levantine », Préface de Gilles Kepel. Son fil Twitter.