Réindustrialisation et compétitivité : c’est pas gagné
Si les « gros » investissements sont au rendez-vous depuis quelques années, il n’y a pas globalement de forte hausse des investissements directs étrangers vers la France. Des projets qui restent par ailleurs peu créateurs d’emplois d’après un papier de BFM.
Un millésime record. 15 milliards d’euros d’annonces d’investissements de la part de grands groupes étrangers, et des patrons de multinationales toujours plus nombreux à se presser à Versailles pour le sommet Choose France. Pour l’exécutif, ces bons chiffres sont le fruit d’une politique pro-business qui n’a pas varié d’un iota depuis 2017.
Emmanuel Macron y voit ainsi « la reconnaissance du travail mené depuis sept ans basé sur la valorisation de nos savoir-faire, le maintien de notre énergie décarbonée, la création d’un cadre normatif favorable et la stabilité fiscale. »
Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire de son côté se félicitait ce matin que « la nation de consommateurs [redevenait] une nation de producteurs. »
Ces chiffres flatteurs suivent de quelques jours le rapport annuel du cabinet EY qui plaçait début mai la France en tête du classement de l’attractivité en Europe et ce pour la cinquième année consécutive. Avec 1194 projets d’implantation ou d’extension de sites, l’Hexagone fait mieux que le Royaume-Uni (985) et l’Allemagne (733).
Dans une Europe prise en étau entre les États-Unis et leurs généreuses subventions et la Chine prête à redécoller, la France semble faire figure d’exception.
Les facteurs d’attractivité sont nombreux. Position géographique centrale en Europe, qualité des infrastructures routières et de transports, formations d’excellence dans les domaines des mathématique et de l’ingénierie, énergie disponible, décarbonée et relativement peu coûteuse grâce au nucléaire… Ce sont les éléments mis en avant par les grands patrons de passage à Versailles.
La politique favorable aux entreprises depuis sept ans y a aussi contribué. Avec la baisse des impôts de production, la réduction du taux d’impôt sur les sociétés ou encore la création de la « flat-tax » sur la fiscalité du capital.
« Des efforts ont été faits, qui ont mis la France sur le devant de la scène, ça vaut donc la peine de les poursuivre, estime Ted Pick, le patron de la banque américaine Morgan Stanley. La France met beaucoup de sérieux et d’attention à être considérée comme un acteur mondial fiable et solide. C’est important. »
Évidemment, pour s’attirer les bonnes grâces des investisseurs internationaux, la France déroule le tapis rouge et n’hésite pas à sortir le chéquier. Pour convaincre par exemple le fabricant de batteries ProLogium d’installer son usine à Dunkerque, une subvention publique de 1,5 milliard d’euros a été proposée au groupe taïwanais. Mais c’est ce que font tous les États désireux d’attirer d’importants investissements. L’Allemagne a ainsi subventionné à hauteur de 10 milliards d’euros la future méga-usine d’Intel de Magdebourg.
Il faut néanmoins relativiser ces bons chiffres de l’attractivité française. D’abord parce que ces investissements restent peu créateurs d’emplois. Les 15 milliards d’euros de Choose France devraient créer en moyenne 179 emplois par projet (10.000 emplois annoncés pour l’ensemble des 56 projets). L’année dernière, les investissements n’étaient « que » de 13 milliards mais les emplois plus nombreux: 285 par projet (8.000 emplois annoncés pour 28 projets).
De son côté, l’étude EY (qui porte sur un autre périmètre) recence 35 emplois créés en moyenne par investissement étranger en France contre 49 en Allemagne, 61 au Royaume-Uni ou encore 299 en Espagne.
Coût du travail qui reste plus élevé que la moyenne européenne, peu de main d’oeuvre disponible, droit du travail plus contraignant… La question de l’emploi reste préoccupante en France.
Mais plus globalement, certains économistes estiment que ces annonces sont un peu l’arbre qui cache la forêt. Derrière ces annonces spectaculaires et bienvenues, l’attractivité de la France ne serait pas sur une pente aussi ascensionnelle que ça.
« L’évolution des IDE (investissements directs à l’étranger) entrants et sortants évolue en dents de scie, indique Sylvain Bersinger, du cabinet Asteres. Dans l’ensemble, il ne semble pas y avoir eu de hausse régulière de flux d’IDE entrants depuis une dizaine d’années. Au vu de la variation des flux d’IDE, il semblerait que l’attractivité du pays ait globalement stagné. »
Ainsi si les investissements étrangers se sont élevés à 34,6 milliards d’euros en 2022 en France, indique l’Insee, le montant du flux était supérieur à 35 milliards en 2018 et avait même frôlé les 40 milliards en 2015.
Concernant l’industrie, s’il y a bien un sursaut dans le pays depuis quelques années avec notamment plus de 100.000 emplois recréés, la production a elle tendance à stagner.
« En mars 2024, le volume de production industrielle était identique à ce qu’il était en janvier 2010, constate Sylvain Bersinger. [...] cela signifie que la productivité moyenne des emplois industriels diminue, ce qui peut être un signe inquiétant quant au niveau de gamme de l’industrie française si la tendance s’avérait durable. »
Si les signaux envoyés par Chose France sont positifs, le chemin vers la réindustrialisation est encore très long.