Les droits de douane sont responsables de l’inflation ?
Un article deYuka Hayashi et Josh Zumbrun dans leWall Street Journal qui considère que les droits de douane pèsent de façon défavorable sur l’inflation. Certains économistes affirment au contraire que supprimer les taxes douanières sur le métal et le bois de charpente ne changera pas grand-chose aux prix pour les consommateurs
Economistes et législateurs débattent pour savoir si les dépenses de relance et les politiques monétaires accommodantes alimentent l’inflation. Mais pour de nombreuses entreprises, la liste des coupables ne s’arrête pas là : les droits de douane ont eux aussi leur part de responsabilité.
L’administration Trump a imposé des tarifs douaniers sur des produits comme le bois de charpente, l’acier et les semi-conducteurs afin de protéger les entreprises américaines d’un excès de produits importés de Chine ou d’ailleurs.
Ces droits de douane ont longtemps été vus d’un mauvais œil par les entreprises américaines qui importent ces produits et paient ces taxes. Celles-ci font de nouveau pression sur l’administration Biden pour qu’ils soient levés, en avançant qu’ils accentuent l’augmentation des prix et aggravent la pénurie de produits qui accompagnent la reprise post-pandémie.
« Mon principal fournisseur d’acier m’a infligé 15 augmentations de prix depuis septembre » déplore Scott Buehrer, président de B. Walter & Co., fabricant de produits métalliques de Wabash, dans l’Indiana. « Qu’est-ce qui justifie ces tarifs douaniers alors que les prix de l’acier sont au plus haut ? »
Certains économistes affirment que ces droits de douane n’ont eu que très peu d’effets sur les prix et que leur retrait ne va pas beaucoup contribuer à alléger la tension inflationniste.
L’entreprise de M. Buehrer fait partie des plus de 300 fabricants qui ont écrit à M. Biden le 6 mai pour lui demander la suppression immédiate des droits de douane de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium. L’administration Biden a répondu que la politique douanière était en cours d’étude mais qu’une levée immédiate des droits de douane n’était pas au programme.
Les industriels se plaignent que ces taxes rendent leurs entreprises moins compétitives à une époque où les acheteurs américains, confrontés à une demande intérieure bouillonnante, paient certains produits en acier 40 % plus cher que leurs homologues européens.
M. Buehrer explique qu’il a réduit ses effectifs de 10 % pour réduire ses coûts car les prix de l’acier laminé ont quasiment triplé depuis l’automne dernier. Pourtant, de leur côté les syndicats et le secteur de l’acier exhortent M. Biden à laisser les tarifs douaniers en place, indiquant dans une lettre adressée le 19 mai dernier que cette politique avait permis au secteur « de faire repartir des usines à l’arrêt, de réembaucher des ouvriers au chômage et d’investir dans l’avenir. »
« Les droits de douane sont en place depuis 2018 et il n’y a pas eu de pression inflationniste depuis » avance Roy Houseman, directeur législatif du syndicat United Steelworkers. « Les Etats-Unis ont injecté des billions de dollars dans l’économie pour la relancer. Ça, par contre, ça va forcément exercer une pression inflationniste. »
Les industriels se plaignent que ces taxes rendent leurs entreprises moins compétitives à une époque où les acheteurs américains, confrontés à une demande intérieure bouillonnante, paient certains produits en acier 40 % plus cher que leurs homologues européens
Autre secteur aux prises avec la flambée des prix : la construction de logements.
En mai, les contrats à terme sur les bois de charpente ont dépassé 1 600 $ par mille pieds-planche — ce qui est plus de quatre fois le prix normal pour cette période de l’année. Selon la National Association of Home Builders (NAHB), l’augmentation du prix du bois a ajouté 36 000 $ au coût d’une maison individuelle moyenne.
« Il n’y a aucune logique économique à taxer des biens alors que l’offre nationale n’est pas suffisante » s’agace Robert Dietz, économiste en chef de NAHB. « Les appareils pour la maison, les lave-linge, littéralement la matière première qui sert à construire une maison —les vis et les clous — sont soumis à certains droits de douane sur le métal. »
Les constructeurs immobiliers et les législateurs ont demandé à M. Biden d’éliminer les droits de douane imposés en 2017 sur le bois de sciage résineux du Canada, pomme de discorde entre les producteurs de bois de charpente américains et canadiens depuis plusieurs dizaines d’années.
Au lieu de supprimer les frais de douane, le 21 mai dernier le département du Commerce a annoncé une décision préliminaire de doubler cette taxe en la hissant à 18 %, en se basant sur la conclusion que le bois canadien était fortement subventionné. Les droits de douane resteront au niveau actuel de 9 % jusqu’à ce qu’une décision finale puisse être prise d’ici novembre sur la proposition d’augmentation, a affirmé un représentant du département du Commerce.
Afin d’alléger les tarifs douaniers de l’époque Trump sur un plus vaste éventail d’importations chinoises, en avril, un groupe bipartisan de 40 sénateurs américains a demandé à l’administration Biden de relancer une procédure visant à exempter les importateurs de taxes sur plus de 2 000 produits allant des oreillers aux équipements automobiles. Cette procédure d’exemption, introduite par l’administration Trump, a expiré en décembre et n’a pas été renouvelée.
Lorsque les droits de douane ont été mis en place par l’administration Trump, certains économistes ont averti qu’ils pourraient aiguillonner l’inflation. Il semble qu’ils soient d’accord pour dire que finalement, l’impact a été contenu.
« Comme les tarifs douaniers n’ont pas eu un gros impact sur les prix de vente au départ, je ne crois pas que leur retrait conduira à une pression conséquente à la baisse non plus » explique Andrew Hunter, économiste pour le cabinet de conseil en de recherches économiques Capital Economics.
L’impact modéré s’explique en partie parce que les droits de douane n’affectent que les importations, qui ne constituent généralement qu’une fraction relativement réduite du marché intérieur. Pour l’acier, les importations représentent à peu près un tiers de la demande totale aux Etats-Unis. Et la part des importations taxées est encore plus réduite étant donné que les plus gros exportateurs vers les Etats-Unis — le Canada, le Brésil et le Mexique — en sont exemptés.
Lorsque les droits de douane ont été mis en place par l’administration Trump, certains économistes ont averti qu’ils pourraient aiguillonner l’inflation. Il semble qu’ils soient d’accord pour dire que finalement, l’impact a été contenu
Les prix des biens importés soumis aux droits de douane ont en effet augmenté au départ. Mais de nombreux importateurs ont absorbé une grande partie de cette augmentation plutôt que de la répercuter totalement sur les consommateurs. Parallèlement, les prix de nombreux produits qui n’étaient pas soumis à ces taxes douanières ont baissé, ce qui a contribué à garder le taux d’inflation globale à un niveau plutôt bas.
Pour David Weinstein, économiste à Columbia University, les droits de douane peuvent en réalité faire baisser les prix à long terme.
M. Weinstein et ses collègues ont étudié les variations des attentes inflationnistes des marchés financiers en se basant sur les rendements des marchés obligataires au moment de l’annonce de 11 nouveaux tarifs douaniers par les Etats-Unis et la Chine entre 2018 et 2019.
A leur grande surprise, ils affirment avoir découvert que ces initiatives faisaient baisser les anticipations inflationnistes et que le marché s’attendait à ce que les prix soient environ 1 point de pourcentage inférieur à cinq ans, et 1,3 point plus bas à 10 ans. Les cours des actions ont également baissé.
« Ce que les marchés prédisent, et que nos données suggèrent, c’est que la guerre commerciale aura un impact négatif sur la productivité » dit-il, en faisant référence au coup porté par les tarifs douaniers au fonctionnement des entreprises. « Quand vous freinez la productivité, vous pouvez vous attendre à des impacts conséquents par la suite sur le succès de votre économie, et sur les prix aussi. »
Le Bureau du représentant au commerce des Etats-Unis, qui se livre actuellement à une étude des politiques américaines en matière de taxes douanières, est en train d’analyser l’éventuel impact d’un allègement des tarifs douaniers, entre autres facteurs, sur la pénurie de bois de charpente et d’autres produits, a expliqué Cecilia Rouse, présidente du Conseil économique de la Maison Blanche lors d’un briefing organisé le 18 mai.
Elle a cependant ajouté que la politique commerciale « dépassait largement » le cadre des fluctuations du marché sur le court terme et qu’elle devait s’inscrire dans le contexte plus vaste de la politique globale de Washington.
Traduit à partir de la version originale en anglais par Bérengère Viennot