Transport et travail
Travailler dans une ville différente de celle de sa résidence est une pratique de plus en plus courante en France. Un atlas qui vient de paraître se penche sur la géographie de ces flux très majoritairement automobiles, et la façon dont une partie d’entre eux pourrait être remplacée par des transports collectifs.
par Anne Aguiléra
Chercheuse en socio-économie des mobilités, Université Gustave Eiffel
Benoit Conti
Chargé de recherche en Aménagement de l’espace et urbanisme, Université Gustave Eiffel
Florent Le Nechet
Maître de Conférences en aménagement de l’espace et urbanisme , Université Gustave Eiffel
Sylvestre Duroudier
Maitre de Conférences en Géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans The Conversation
En France, la voiture est utilisée pour 75 % des trajets domicile-travail. Ces déplacements sont aussi responsables du quart des émissions de gaz à effet de serre émis par les voitures des particuliers.
Si la plupart des gens travaillent dans leur ville de résidence, 3 millions de personnes (soit 10 % des actifs) ont leur emploi dans une autre ville. C’est 50 % de plus qu’il y a vingt ans. Les raisons en sont multiples : augmentation des prix immobiliers, transformations du marché de l’emploi, modification des modes de vie et de l’organisation du travail, etc.
Selon l’Insee, ces trajets font en moyenne 35 km (aller simple), soit le triple de la distance domicile-travail moyenne. Ils sont réalisés dans plus de 90 % des cas en voiture, et représentent désormais un tiers des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des trajets domicile-travail. Ils sont pourtant peu intégrés aux réflexions sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre des mobilités du quotidien.
Dans le cadre d’un partenariat avec l’opérateur de mobilités Transdev, nous avons réalisé l’Atlas des déplacements domicile-travail interurbains en France continentale. Basé sur les données du recensement de 2018, il permet de visualiser et caractériser ces flux aux échelles nationale et régionale, et de réfléchir aux conditions de leur report vers les transports collectifs.
L’Atlas s’intéresse aux villes comptant entre 50 000 et 700 000 habitants, qui sont l’origine ou la destination de 80 % de ces déplacements. La carte ci-dessous, qui en est extraite, permet de visualiser les liaisons les plus importantes, c’est-à-dire comptabilisant au moins 500 actifs (dans un sens).
Les déplacements depuis et vers l’aire d’attraction de Paris concernent environ 100 000 personnes, soit une part minoritaire des flux interurbains étudiés dans l’Atlas. Ces échanges sont par ailleurs atypiques de par le mode de transport utilisé.
La performance des liaisons ferroviaires, les distances élevées et les difficultés de circulation et de stationnement dans l’agglomération parisienne favorisent bien plus qu’ailleurs un recours aux transports collectifs. Les déplacements entre Paris et Reims sont emblématiques de cette situation : la moitié des actifs concernés vont au travail en transports collectifs, contre 10 % pour l’ensemble des interurbains.
Partout ailleurs, les déplacements domicile-travail interurbains dessinent des systèmes variés, parmi lesquels quelques figures typiques se dégagent :
des étoiles autour de grandes villes (comme Rennes, qui échange beaucoup avec Vitré, Fougères et Saint-Malo) ou de villes de moindre taille (par exemple autour de Bourges) ;
des systèmes multipolaires, par exemple autour de Nantes qui échange beaucoup avec Angers, Cholet, La Roche-sur-Yon et où les flux sont également importants entre ces villes (le différenciant en cela d’un système en étoile) ;
des corridors (comme Nancy-Metz-Thionville ou Perpignan-Avignon) ;
ou encore des échanges intenses entre deux villes de tailles proches (par exemple Pau et Tarbes, ou encore Belfort et Mulhouse).
À une échelle plus fine, , les flux les plus importants relient une commune périurbaine à une commune-centre (au sens de la commune principale d’une aire d’attraction), ou bien deux communes périurbaines.
Selon les liaisons, le volume des échanges et la part des transports collectifs sont très variables, comme le montre la carte de la région Occitanie. Les flux sont assez épars et dominés par la voiture entre les communes périurbaines de Montpellier et la commune-centre de Nîmes. À Béziers, une certaine dispersion des flux est également observée. Dans d’autres cas, les actifs interurbains sont plutôt concentrés sur des liaisons entre deux communes-centres, par exemple entre les communes de Castres et Mazamet, ou encore celles de Carcassonne et Limoux.
Le poids des transports collectifs dans les déplacements varie beaucoup selon les cas de figure : il est en particulier plus élevé pour les liaisons avec Montpellier depuis Béziers, Agde et Nîmes ou bien, plus au sud pour Narbonne-Carcassonne et Narbonne-Perpignan.
Certaines lignes de transports publics sont déjà relativement bien utilisées par les actifs qui travaillent hors de leur ville de résidence : c’est plus souvent le cas quand l’emploi est situé dans une ville de plus de 700 000 habitants, quand la personne habite dans une commune-centre et travaille aussi dans une commune-centre, quand les communes de résidence et de travail sont situées à moins de 10 km d’une gare, ou encore lorsque le temps de trajet par la route dépasse 45 minutes. Mais les marges de progression restent très importantes.
Diminuer l’usage de la voiture individuelle sur une partie des trajets domicile-travail entre les villes est complexe, mais pas hors de portée. Selon les cas, il semble plus pertinent de réfléchir au renforcement de l’usage de lignes de transport public existantes ou bien à la création de nouvelles lignes voire de services de covoiturage.
L’amélioration de l’offre de transports collectifs actuelle (trains ou cars) suppose également une réflexion sur les modalités d’adaptation des horaires (heures de pointe du matin et du soir), des fréquences (notamment le soir, pour tenir compte des contraintes familiales) et des tarifs (par exemple pour cibler les télétravailleurs) afin de mieux les adapter aux besoins des actifs.
Cette politique de renforcement de l’offre fait surtout sens pour les trajets caractérisés par des volumes d’actifs importants et pour lesquels les transports collectifs font déjà l’objet d’un usage significatif, par exemple entre Rouen et Yvetot. Des politiques favorisant le rabattement vers les transports collectifs doivent également être envisagées, notamment dans les communes périurbaines : pistes cyclables, local à vélo sécurisé, parking-relais avec stationnement gratuit ou à faible coût pour les usagers des transports collectifs.
La création de nouvelles offres doit quant à elle se concentrer sur les liaisons les importantes en volume d’actifs, et envisager, selon les cas, de nouvelles infrastructures ferrées ou la mise en place d’offres routières du type cars express, comme celle qui existe par exemple entre La Rochelle et Niort.
Sur des liaisons concernant un peu moins d’actifs et des distances intermédiaires (10 à 30 km, typiquement), organiser des services de covoiturage fait partie des options pertinentes.
La question n’est pas seulement technique, elle est aussi politique, car les trajets interurbains transcendent les périmètres de autorités organisatrices de mobilité (AOM). Enfin, l’enjeu d’une meilleure gestion des mobilités interurbaines n’est pas seulement environnemental. Il est aussi social compte tenu des difficultés d’accès à l’emploi et au logement pour certaines catégories de population, et des budgets mobilité élevés pour ces navetteurs eu égard aux distances parcourues.
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