Trump, l’organisateur du chaos

Trump, l’organisateur du chaos

.Donald Trump met en lumière les effets du statut de réserve du dollar sur la compétitivité industrielle américaine, suggérant que ce privilège, bien que bénéfique à court terme, nuit à la base industrielle et à l’économie à long terme. Ses propos soulignent un déséquilibre croissant entre Wall Street et Main Street, et un déclin préoccupant de la puissance industrielle des États-Unis. Par Michel Santi, économiste (*) (dans La Tribune)

Sans le dire explicitement, Donald Trump établit une corrélation entre l’incontestable statut de réserve dont bénéficie le dollar et l’impact de celui-ci sur la compétitivité industrielle de son pays. À vrai dire, les faits lui donnent raison, car les emplois industriels ne représentent plus aujourd’hui que 10% des emplois aux Etats-Unis, contre 40% dans les années 80. Certes, le «privilège exorbitant» conféré par le billet vert est-il invoqué -et souvent déploré – par ses usagers non américains. Certes, l’extraterritorialité financière (et donc légale) qui en découle autorise-t-elle les États-Unis à imposer quasi-universellement leurs lois, règlementations et multiples sanctions par de simples décisions administratives applicables du jour au lendemain.

Cependant, l’équipe de Trump estime que ces atouts considérables émanant du statut de leur dollar s’exercent aux dépens de leur balance commerciale, et nuisent aux classes moyenne et inférieure. Ils émettent le diagnostic suivant: les déficits commerciaux accumulés depuis les années 80 ont créé un monstre. La croissance hyperbolique du secteur financier américain n’ayant pu se réaliser que sur les décombres de leur base industrielle. En un mot : Wall Street et la financiarisation massive ont prospéré au détriment de «Main Street». Ce système financiarisé à outrance qui fait quelque part subir un déséquilibre exorbitant aux forces de production – et donc aux citoyens ordinaires – n’est plus tenable pour l’administration actuelle, persuadée que le dollar est le fil à tirer qui permettra de redresser la barre.

Universellement utilisé, son niveau et son succès ne sont pourtant évidemment plus compatibles avec une économie dont l’importance mondiale ne fait que régresser. La part du Produit Intérieur Brut américain n’est en effet plus que de 26% au niveau mondial, alors qu’elle en représentait 40% dans les années 60 ! C’est donc l’attractivité du dollar – qui reste de très loin la monnaie la plus prisée au monde – qui pose problème aux autorités américaines, ou plutôt la manière dont certaines nations visées recyclent leurs propres dollars. D’où cette problématique et ces accusations de concurrence déloyale dans les relations bilatérales dénoncées par Trump, qui marque un point qui est le suivant.

Les nations qui bénéficient d’excédents commerciaux avec les USA, et qui empêchent en même temps leur propre monnaie de s’apprécier, non seulement conservent les dollars encaissés dans le cadre de leurs échanges, mais aggravent la situation en achetant l’actif le plus liquide au monde, à savoir la dette américaine. Cette thésaurisation de dollars agit en remontant sa valeur par le simple jeu de l’offre et de la demande, nuisant au passage aux exportateurs américains, et créant un contexte où ces pays étrangers n’ont plus besoin de fabriquer localement, car il leur est plus facile et moins cher d’importer des biens produits aux États-Unis avec leurs propres dollars. Pour Trump, le déclin industriel, comme la détérioration de la balance des paiements de son pays, ne sont que la conséquence du comportement déloyal de ses partenaires commerciaux qui, exerçant une pression baissière sur leur propre monnaie, renchérissent le dollar, participent activement à l’aggravation des déficits américains, puis recyclent en fin de compte leurs propres excédents en dollars sur les Bons du Trésor et sur des obligations émises par de grandes entreprises américaines.

Ces déficits US massifs, en fait ces «twin deficits», puisqu’il s’agit là à la fois du commercial, mais également de celui affectant la balance des paiements, font en outre courir aux États-Unis un risque de solvabilité, et remettent en cause sur le long terme le statut du dollar lui-même. La force du dollar exerce même ses nuisances sur le secteur de la défense américaine, car il devient moins cher d’acheter du matériel à l’étranger que de le produire soi-même nationalement ! Voilà où Trump et ses conseillers font un lien avec la sécurité de l’Europe, avec l’OTAN, avec les armements donnés aux pays tiers, car ils considèrent que les États-Unis ne sont plus en mesure d’assumer de telles dépenses alors même que leur base industrielle est sapée et que leurs déficits ne font que se creuser. Affirmant que le système est désormais biaisé en leur défaveur, ils se rendent compte que leur jadis privilège exorbitant s’est transformé en une charge exorbitante.

Voilà où entrent en ligne de considération les droits de douane («Tariffs») censés amoindrir ce fardeau américain, mais d’autres décisions et mesures viendront également à la rescousse, comme une détermination sans faille à affaiblir le dollar, couplée à un choc de compétitivité nationale se déclinant en réduction d’impôts et en dérégulations tous azimuts. De fait, les réactions des européens qui entendent désormais dépenser plus – et par que sur leur réarmement- conviennent parfaitement aux intérêts américains qui se verront dès lors déchargés d’une partir substantielle de ce poids. Ce levier et cette menace des tarifs à l’encontre des partenaires européens auront produit leurs effets si l’Union accomplit enfin ce que les autorités américaines lui réclament depuis de nombreuses années. L’unilatéralité et la brutalité des Américains peuvent certes choquer, mais elles auront au moins produit des résultats tangibles et rapides.

Là est, du reste, toute la philosophie de l’approche Trump qui ne craint pas la volatilité que ces réformes et décisions ne manqueront pas d’engranger. Que les nostalgiques de l’ère où les USA adoptaient une attitude graduelle, par étape, se préparent à des décisions tarifaires agressives qui toucheront des économies majeures, à une politique migratoire incisive, à des licenciements en masse, à des audits impitoyables d’institutions publiques, qui – en se conjuguant – produiront des effets parfois cataclysmiques sur la conjoncture financière. Pour la première fois depuis des décennies, un exécutif américain explique à qui veut l’écouter qu’il ne se soucie pas, et qu’il n’est pas influencé, par les marchés financiers. Alors même que la bourse fut la boussole suprême et personnelle de Trump pendant son premier mandat, lui comme ses conseillers font à présent volte-face, affirmant à de nombreuses reprises que leurs décisions et mesures d’aujourd’hui produiront une souffrance provisoire pour des gains futurs : « Short-term pain for long-term gain. » Cette rhétorique se doit d’être prise au sérieux, car l’administration officielle américaine signale de manière explicite sa volonté de détruire les ordres établis, d’adopter une approche volontairement déstabilisante, de mener une guerre ouverte tant politique qu’économique au système, pour instaurer un ordre radicalement différent.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales, écrivain. Il publie aux Editions Favre « Une jeunesse levantine », Préface de Gilles Kepel. Son fil Twitter.

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