UE: pour un même impôt sur les sociétés à 10%
L’Europe doit se réveiller et repenser ses choix économiques pour éviter un décrochage de son PIB et un appauvrissement de sa population. Pour rivaliser avec l’Amérique, l’idée d’une fiscalité plus compétitive, à 10% sur les sociétés, pourrait être une voie à explorer. Par Bruno Alomar, ancien haut fonctionnaire au ministère des finances et à la Commission européenne (*) ( dans la Tribune)
La cause est entendue : l’Amérique de Donald Trump est pro-business, l’Europe ne l’est pas. Après l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden, vécu par les Européens comme un coup de Jarnac contre la réindustrialisation de l’Europe – mezzo voce car l’Europe aime les présidents démocrates même quand ils lui font des misères – Donald Trump ne ménage ni ses paroles ni ses actes pour attirer les entreprises sur le sol américain.
En France et en Europe, beaucoup de grands chefs d’entreprise reconnaissent – et regrettent – qu’entre l’amoncellement des normes européennes et la fiscalité nationale excessive, l’Europe s’affiche comme clairement moins favorable aux affaires que l’Amérique. Dernier avatar : l’annonce de l’investissement par le géant CMA-CGM le 7 mars de 20 milliards d’investissements aux États-Unis et le passage de 10 à 30 pavillons américains.
Il y a pourtant, peu en disconviennent, urgence pour l’Europe à se reprendre. Son décrochage en matière de PIB est avéré. Sa croissance potentielle, de l’ordre de 1 à 1,5% contre 2,5% pour l’Amérique, condamne sa population à s’appauvrir face aux Américains. Son modèle social, qu’elle ne parvient pas à définir tant ses États sont divers, mais dont chacun comprend qu’il est de loin le plus généreux au monde pour ceux qui sont fragiles, et donc le plus cher pour ceux qui le financent, ne résistera pas à son décrochage économique, surtout dans un contexte de nouvelles dépenses (défense, environnement).
Alors, comment, vis-à-vis de l’Amérique, relever le gant ? Rappelons qu’au premier jour de son mandat, Donald Trump a signé deux « Executive Orders » qui remettent en cause toute forme de soutien des États-Unis aux travaux de l’OCDE visant à mettre en œuvre le taux minimal de taxation des bénéfices à 15%. Il a évoqué le fait de baisser drastiquement l’impôt sur les bénéfices, pour le fixer à 15%. Rappelons aussi, ironie de l’histoire, que c’est l’Amérique qui, avec brutalité, avait pourtant imposé à l’OCDE, donc à l’Europe, l’accord signé en octobre 2021 par 140 pays pour réformer la fiscalité sur les sociétés.
Puisque les temps sont à l’audace, osons une idée simple : les Européens peuvent unilatéralement renoncer à l’accord de 2021 et décider de battre l’Amérique sur son propre terrain en fixant l’imposition sur les sociétés à 10% dans tous les États-membres. Tentons d’en tracer les pistes et la signification.
D’abord, une telle mesure est facile à prendre. La fiscalité, beaucoup le regrettent, est pour l’essentiel une compétence nationale. C’est bien la raison pour laquelle les Brexiters, en faisant miroiter en 2016 une baisse drastique de la fiscalité pour faire du Royaume-Uni un « Singapour-sur-Tamise », ont menti éhontément : rien n’interdisait alors, dans l’Union européenne (UE), les différences de fiscalité. Longtemps, l’Irlande a fait de son faible impôt sur les bénéfices un atout, au grand dam de la France. En fait de baisse de l’impôt sur les sociétés, ironie là encore, la droite de Boris Johnson l’a d’ailleurs finalement augmenté. Les États membres de l’UE peuvent, chacun pour ce qui le concerne, simultanément, baisser leur taux d’imposition des bénéfices sur les sociétés à 10%, selon leurs procédures internes.
Ensuite, les Européens montreraient enfin qu’ils ont compris l’état du monde, mu non par les valeurs, mais par les intérêts. L’UE a transcrit par une directive du 14 décembre 2022 l’accord OCDE sur le taux minimum à 15%. Donald Trump fait assaut de brutalité ? Les Européens peuvent dénoncer l’accord et fixant un taux à 10%, montrant qu’ils ont compris le message et que eux aussi aiment les entreprises. Une décision unilatérale des États membres l’UE de ne plus mettre en œuvre la directive du 14 décembre 2022 serait aussi un message à l’égard d’une Commission dont les excès normatifs demandent à être corrigés et qui a besoin de comprendre dans beaucoup de domaines (la défense par exemple) qu’elle n’est qu’un exécutif et que ce sont les États qui décident.
Enfin, une telle baisse concertée permettrait aux Européens d’enfin être sérieux en matière de fiscalité et de marché. Car quel sens peut avoir à long terme un marché intérieur harmonisé à coups de directives pendant des années – avec quels efforts normatifs !- si les États membres se font une concurrence acharnée ici pour attirer les holdings (Pays-Bas, Luxembourg), ici pour attirer les retraités (Grèce, Italie, Portugal) etc. ?
Si cela est si simple, dirait-on, pourquoi ne le fait-on pas ? Pour une raison très simple, qui ne doit rien à la brutalité américaine et qui est la vraie maladie de l’UE : en matière de fiscalité sur les sociétés, les Européens, comme sur beaucoup de sujets, ne sont pas d’accord. Et l’on souhaite bon courage au ministre des finances français à la sensibilité de gauche revendiquée si une telle idée devait prospérer. Le dumping fiscal américain a donc de beaux jours devant lui.
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(1) Bruno Alomar, auteur de La réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018)
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