L’attractivité de la France menacée ?
Cette année encore, l’Opinion est partenaire des Etats de la France, rendez-vous annuel des entreprises étrangères consacré à l’attractivité de la France dont la 19e édition se tient jeudi 28 novembre au Cobseil économique, social et environnemtal (CESE).
« Un investissement est un pari sur l’avenir ». C’est ce que volontiers rappelle Philippe Waechter, directeur de la recherche économique, chez Ostrum Asset Management. Or, explique ce dernier, « la France est entrée dans une période d’instabilité politique. Les entreprises mettent le pied sur le ballon et attendent de voir quelles seront les décisions réglementaires, fiscales et politiques à venir. Il est aujourd’hui très difficile de dire quel chemin prendra la France à horizon cinq ans ». Pour l’heure, les décisions d’investissement sont donc remises à plus tard. L’enquête réalisée auprès de 200 dirigeants d’entreprises étrangères installées dans 25 pays révèle que la moitié d’entre eux ont réduit leurs projets dans l’Hexagone. Pour 84 % d’entre eux, les décisions ont été reportées, au mieux, à 2025. Pour expliquer cette réduction de la voilure, les investisseurs évoquent plusieurs motifs immédiats. En premier lieu, en plein marasme budgétaire et alors que la France est au bord du chaos politique, les incertitudes législatives et règlementaires (59 % de taux d’inquiétude) et la difficulté́ de bâtir des business plans pérennes. Le ralentissement des reformes apparait en seconde position, cité par 47 % des répondants (simplification administrative, retraites, réindustrialisation, etc.) avec la remise en question de choix de politiques publiques dans des secteurs clés (40 %). Puis viennent des préoccupations sur la situation budgétaire et économique du pays et le coût du travail (entre 20 et 30 %).
Fondamentaux. « A l’heure actuelle, les entreprises que nous interrogeons ne savent pas quelle sera leur fiscalité pour les mois et années qui viennent. Certaines ne savent pas non plus si leur activité sera encore éligible au crédit impôt recherche (CIR), par exemple. Toutes ces incertitudes rendent difficile l’élaboration de leurs plans d’investissement », souligne Marc Lhermitte, associé chez EY. Pour Philippe Juvin, député LR de la troisième circonscription des Hauts de Seine, « l’attractivité d’un pays repose sur quatre piliers : les normes, la fiscalité, la stabilité politique et l’énergie. Auparavant, même si la France connaissait des difficultés financières, nous bénéficions de l’idée selon laquelle la France était solide tant du point de vue institutionnel qu’administratif. Depuis six mois, ce n’est plus le cas ».
« Nous sommes clairement dans un moment préoccupant pour les entreprises », poursuit Marc Lhermitte qui temporise néanmoins : « la France n’est pas totalement rayée de la carte. Elle reste un pays qui compte pour toutes les entreprises que nous interrogeons. Les intentions d’implantation pourraient simplement être décalées dans le temps ». Mais « qui peut dire si en 2025, nous serons sortis de l’incertitude ? », s’interroge Philippe Waechter. En 2024, la France reste néanmoins dans le top 3 établi par EY des pays européens jugés les plus attractifs, totalisant avec l’Allemagne et le Royaume-Uni 50 % des investissements étrangers. L’Hexagone conserve de nombreux atouts, parmi lesquels sa situation géographique, mais également la fiabilité de ses infrastructures de transport, télécom et énergie. « La France reste un marché plus facile à pénétrer que le marché allemand », insiste Marc Lhermitte. A cela s’ajoute des fondamentaux business. « La France détient des compétences distinctives, notamment dans des secteurs tels que l’aéronautique ou la pharma. L’écosystème d’innovation avec ses clusters et ses regroupements universitaires sont régulièrement cités dans les enquêtes internationales », souligne Marc Lhermitte.
Concurrence. Pour autant, des zones d’ombres subsistent. « La France perd du terrain, et pas seulement au classement PISA. En vingt ans, le pays a reculé en termes d’exportation mondiale. Il en est de même pour l’énergie qui était peu chère et qui ne l’est désormais plus. Les fondamentaux sont ébranlés. Nous payons aujourd’hui les choix du passé et le risque de décrochage est réel », met en garde Philippe Juvin. Même constat sur le volet environnemental : selon le baromètre EY, seuls 12 % des dirigeants interrogés estiment que l’approche politique en matière de changement climatique et de durabilité est un atout différenciant de l’attractivité de la France. « Sur la stratégie bas carbone, nous sommes loin des changements systémiques annoncés et nécessaires », abonde Philippe Waechter.
Lorsque les entreprises étrangères font des choix de localisation, elles mettent la France en arbitrage avec d’autres pays. « Les coûts, les facteurs opérationnels et les facteurs de risque sont mis en balance avec d’autres pays », constate Marc Lhermitte. Selon l’étude EY, le Royaume-Uni, dont l’attractivité avait été plombée par le Brexit, est aujourd’hui en passe de rivaliser à nouveau avec la France. « 42 % des dirigeants nous disent que, depuis six mois, l’attractivité du Royaume-Uni s’est améliorée. C’est aujourd’hui le principal concurrent de la France en Europe pour les investissements dans la tech ou les sièges sociaux », souligne Marc Lhermitte. Pour Philippe Waechter, « le Royaume-Uni reste cependant un choix par défaut. Si on choisit la France, c’est aussi parce qu’elle fait partie de l’Union européenne », assure-t-il. Dans un contexte où la réaction de l’Europe est très attendue afin de résister au protectionnisme américain de l’administration Trump II et aux ambitions chinoises, 64 % des dirigeants sondés portent un regard vigilant, certes, mais aussi encourageant sur le potentiel du Vieux Continent. « C’est à mon sens une opportunité unique de faire ensemble. La récente élection de Trump entretient la menace d’attractivité massive des Etats-Unis, au point que cela peut être un facteur de réveil et de mobilisation en Europe », conclut, optimiste, Marc Lhermitte.
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