Mercosur: les enjeux

Mercosur: les enjeux

 

L’accord UE-Mercosur cristallise les tensions entre ambitions économiques et exigences écologiques. S’il a le potentiel de renforcer la position stratégique de l’Europe, il risque également de fragiliser son « soft power », fondé sur la puissance normative, la durabilité et la capacité à protéger ses secteurs stratégiques ainsi que ses standards environnementaux. Par Véronique Chabourine, Analyse « soft power » dans  » la Tribune ».

Le 26 novembre, l’Assemblée nationale a marqué son opposition au traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, avec un vote consultatif nettement défavorable (484 voix contre 70). Ce scrutin, bien que non contraignant pour le gouvernement, marque un signal politique fort, aligné sur les préoccupations d’autres États membres comme la Pologne et l’Italie. Signé en 2019, cet accord reflète les tensions entre commerce et environnement.

Avec ses 260 millions de consommateurs, le Mercosur (regroupant le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay) représente une zone géographique cruciale pour l’Union européenne. L’accord vise à éliminer progressivement les droits de douane sur une large gamme de produits, à ouvrir l’accès aux marchés publics et à simplifier les conditions d’exportation pour les entreprises européennes. En 2023, l’UE réalise 22% de ses importations depuis la Chine et 18% de ses exportations vers les États-Unis. En comparaison, les échanges avec le Mercosur représentent environ 40 milliards d’euros par an, soit 1% du commerce total de l’Union européenne. La suppression prévue de 4 milliards d’euros de droits de douane pourrait renforcer ces flux commerciaux. Pour la France, qui exporte chaque année environ 3 milliards d’euros vers le Mercosur, cet accord constitue une opportunité économique significative.

L’une des critiques majeures adressées à cet accord porte sur ses effets attendus sur l’agriculture. Les éleveurs français craignent une concurrence déloyale de la part des produits sud-américains, notamment la viande bovine et le sucre, souvent produits selon des normes environnementales et sanitaires moins strictes qu’en Europe. Malgré des importations contingentées, elles pourraient accroître la pression sur un secteur déjà fragilisé par des crises et une concurrence intra-européenne. L’accord prévoit, par exemple, l’introduction d’un quota de 99.000 tonnes de viande bovine à droits de douane réduits, ce qui pourrait entraîner une augmentation des importations agricoles européennes depuis le Mercosur de 20 à 30%.

Au-delà des considérations commerciales, l’accord Mercosur pose de sérieux enjeux environnementaux. La déforestation en Amazonie, accélérée par l’expansion agricole, compromet les écosystèmes mondiaux et les engagements climatiques de l’UE. Bien que le traité interdise l’importation de produits non conformes aux normes européennes, il reste vague sur les mécanismes de contrôle et de vérification à la frontière. La mise en œuvre de « clauses miroirs » exigeant des pays exportateurs qu’ils respectent des normes européennes se heurte à la réalité des écarts de production entre l’UE et le Mercosur. La directive européenne contre la déforestation importée, prévue pour 2025, pourrait partiellement atténuer ces risques. Si l’accord UE-Mercosur venait à être ratifié, les importations agricoles européennes depuis le Mercosur pourraient augmenter notamment sur la viande bovine. Selon la Fondation pour la Nature et l’Homme, les exportations pourraient accélérer la déforestation de 5% par an pendant six ans.

Dans un contexte de tensions commerciales et de retour du protectionnisme, le Mercosur constitue également un outil stratégique pour l’UE. Face à la montée de la Chine en Amérique latine et au retour de Donald Trump marqué par un protectionnisme accru, cet accord représente un enjeu stratégique pour l’Europe. Toutefois, cette ambition devra être équilibrée par une responsabilité environnementale accrue et une attention particulière aux intérêts des secteurs économiques les plus exposés.

Renforcer le « soft power » européen sans compromettre ses valeurs

Le traité du Mercosur soulève des interrogations fondamentales quant à la capacité de l’Union européenne à concilier croissance économique, autonomie stratégique et respect de ses valeurs. Aujourd’hui, l’Union européenne dispose d’atouts uniques : elle est la troisième économie mondiale avec un poids de 17,4% du PIB mondial, derrière les États-Unis et la Chine, et elle s’impose comme une puissance normative. Dans le classement 2024 du « soft power », l’UE confirme sa position de leader sur le pilier Sustainable Future, qui évalue les contributions des États à un avenir durable. Cinq pays européens figurent dans les dix premiers avec respectivement l’Allemagne (2e), la Suède (4e), les Pays-Bas (6e), la Finlande (8e) et le Danemark (10e). Le Pacte vert avec son objectif à 2030 est un levier majeur d’influence. Il exporte des normes ambitieuses et positionne l’Europe comme une référence pour les politiques climatiques mondiales. L’UE n’a pas seulement construit une influence normative sur la scène mondiale, mais a aussi aligné ses objectifs de durabilité avec sa puissance économique. Bien que moins dominante sur le pilier Business and Trade, l’Europe conserve une influence notable avec l’Allemagne (4e), la France (7e) et la Suède (9) dans le top 10. En 2023, avec 17,4% du PIB mondial et un marché unique de 447 millions de consommateurs, l’Europe reste un acteur clé du commerce international.

Selon les projections, le traité du Mercosur apporterait un gain de 0,1% à 0,3% du PIB européen par an. Ces chiffres soulignent l’importance de voir cet accord comme un outil stratégique plutôt qu’un moteur de croissance économique. Conformément au cadre défini par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2017, cet accord pourrait être qualifié d’accord mixte.  Cela signifie qu’il couvre à la fois des compétences exclusives de l’UE (volet commercial) et des compétences partagées avec les États membres (normes environnementales, sociales et protection des investissements). Si cette nature mixte est confirmée, l’accord devra être ratifié par les 27, et la France pourrait exercer son droit de véto si l’accord ne correspond toujours pas à ses exigences clés — respect des engagements climatiques de l’Accord de Paris, clauses miroirs et protection de l’agriculture française — si la Commission européenne venait à scinder l’accord en deux volets dont un purement commercial, pour contourner un éventuel véto, la France et d’autres pays opposés devront envisager des stratégies de contestation, notamment par une mobilisation politique, des alliances et potentiellement des recours juridiques.

Le Mercosur est un test clé pour l’Union européenne, qui doit concilier ambitions économiques et « soft power ».

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