L’arsenalisation ou l’extension du contenu de la guerre
Le concept, déjà largement employé par les experts et les chercheurs, commence à être repris par les politiques, en particulier dans le monde anglo-saxon.
Par Marc Semo dans Le Monde
Histoire d’une notion. A l’heure des conflits hybrides, tout peut se transformer en arme : l’économie comme l’énergie, l’information, la lutte contre le réchauffement climatique, les flux migratoires, les ressources en eau douce, l’alimentation, la monnaie ou le droit. La notion d’« arsenalisation », un néologisme traduit de l’anglais weaponization, décrit cette nouvelle réalité. « La guerre n’est plus seulement un affrontement militaire et la mondialisation créée des interdépendances qui sont autant de vulnérabilités », explique Olivier Schmitt, professeur à l’université du Danemark du Sud et spécialiste des questions stratégiques, auteur notamment de Préparer la guerre (PUF, 448 pages, 24 euros).
Le mot, déjà largement employé par les experts et les chercheurs, commence à être repris par les politiques, en particulier dans le monde anglo-saxon. L’arsenalisation caractérise un entre-deux brumeux où la distinction entre guerre et paix se fait toujours plus floue. Tous les leviers disponibles peuvent être utilisés pour affaiblir, voire éliminer, l’adversaire, y compris en détournant des objets civils.
« La guerre est permanente parce qu’elle est engagée dans un processus de “déspécification”, c’est-à-dire de réduction progressive de ce qui la distingue de la paix. Elle n’est plus cantonnée à certaines activités, accomplies par certaines personnes, à certains endroits, et à certains moments », résume Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, ancien directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire et ambassadeur au Vanuatu, dans son livre Le Réveil stratégique. Essai sur la guerre permanente (Seuil, 240 pages, 22 euros). En principe, la guerre est le lieu d’une distinction claire entre ceux qui la font, les combattants, et ceux qui la subissent, les civils. En pratique désormais, et de manière croissante, cette distinction est brouillée.
La notion d’arsenalisation est apparue il y a vingt ans à propos de l’espace extra-atmosphérique, c’est-à-dire au-delà d’une altitude de 100 kilomètres, devenu un enjeu stratégique majeur. C’est le nouveau point haut absolu du champ de bataille. Le traité de 1967, négocié sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, appelle à une utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique et y interdit l’usage d’armes de destruction massive, mais il ne prohibe pas son emploi à des fins militaires. L’absence de seuil caractérisant ce qu’est un acte hostile dans l’espace, la nature duale de certains satellites d’observation ou de télécommunications, l’intrication des activités civiles, commerciales et militaires en font une zone grise. D’où son arsenalisation croissante. Pour les mêmes raisons, on parle aussi d’arsenalisation des espaces maritimes et de la haute mer.
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