La dictature du tribunal médiatique
Jade Dousselin, avocate de profession, s’interroge sur le rôle du phénomène « du tribunal médiatique » dans les affaires judiciaires. Vient-il réparer les défaillances de notre système ou est-il simplement un dangereux miroir aux alouettes ? ( dans la Tribune)
Depuis quelques mois maintenant, nous, acteurs du monde judiciaire, nous interrogeons sur ce nouveau phénomène dit « du tribunal médiatique » et sur son rôle dans nos affaires judiciaires. Mais de quoi ce tribunal médiatique est-il le nom ? Vient-il réparer les défaillances de notre système ou est-il simplement un dangereux miroir aux alouettes ? La réalité qui s’impose à nous, c’est que le tribunal médiatique oblige les auxiliaires de justice que nous sommes à l’intégrer dans l’exercice de leur fonction, afin que l’émotion ne prenne pas le pas sur la raison. Aujourd’hui, chaque fait judiciaire, réel ou supposé, est commenté, disséqué, analysé, sur-analysé par la presse et les réseaux sociaux.
Cette course à l’information et à son commentaire tend à déformer la réalité, avec comme conséquence trop fréquente une mise à mal de la vie privée des parties concernées et un piétinement de la présomption d’innocence des mis en cause. Je pense, par exemple, à l’affaire du petit Émile, à celle de M. Palmade ou encore plus récemment à celle de M. Mbappé, quand son implication n’est même pas encore confirmée. Il est des costumes trop bien taillés pour espérer que la justice parvienne un jour à vous en défaire totalement. Comment imaginer, malgré la force d’impartialité dont ils aimeraient faire preuve, que des magistrats, après des mois et des années d’habillage médiatique, puissent encore parvenir à rendre justice sans aucune influence extérieure ?
Et nous, y parviendrions-nous ? Et vous, y parviendriez-vous ? Dans la presse, la hiérarchie des normes et du droit, comme nous l’entendons, s’efface souvent au profit d’un sensationnalisme toujours plus présent et pressant. Dans cet univers de l’immédiateté et de l’émotionnel exacerbés, le rôle de l’avocat est de rééquilibrer la pensée au service de fondamentaux souvent oubliés : le droit pénal juge à charge et à décharge, en fonction des faits et de la personnalité des individus concernés. La justice pénale condamne mais ne venge pas. Avant les victimes, c’est la société qu’elle doit réparer. De là naît une incompréhension : une répression, aussi forte soit-elle, peut-elle répondre à une douleur que l’on ne peut, par définition, pas quantifier ?
La question judiciaire, contrairement au sujet médiatique, répond au fait pénal, c’est-à-dire à une infraction et à son niveau de dangerosité. Pas à l’émotion qui en découle. Nous avons pu constater ces derniers mois à quel point ce gouffre peut parfois sembler infranchissable à beaucoup de citoyens, par exemple dans les affaires de délits routiers où le grand public réclame à cor et à cri des incarcérations préventives automatiques. Or, pour ces délits dits involontaires, la loi pénale impose par principe la liberté et par exception l’incarcération. Naît alors un schisme entre l’émotion populaire légitime et la réponse pénale, qui ne peut être le pendant de cette émotion. La limite à la critique de la place du média dans les affaires arrive lorsque le système judiciaire, qui devait être son rempart, devient lui-même défaillant.
Nous sommes face à deux univers défaillants qui ont le sentiment de pouvoir combler les manquements de l’un et de l’autre, sans imaginer qu’ils pourraient potentiellement les aggraver.
Et que les grands principes qui fondent notre droit – par les manquements dans leur exécution – font des médias des palliatifs. En effet, combien d’affaires auraient échappé à la justice si la presse n’avait pas été là pour briser une certaine omerta et amener dans le débat public des sujets jusqu’alors ignorés. Lorsqu’une personne est mise en cause sur la place publique pour des faits de violences, notamment à caractère sexuel, peut-on seulement brandir la présomption d’innocence comme seule réponse à la condamnation publique lorsque l’on sait les balbutiements allant jusqu’à la déficience de l’institution sur le sujet ? Nous sommes face à deux univers défaillants qui ont le sentiment de pouvoir combler les manquements de l’un et de l’autre, sans imaginer qu’ils pourraient potentiellement les aggraver.
L’émotion dont vous pensiez à un instant T qu’elle serait votre meilleur défenseur peut devenir demain le marchepied à l’injustice que vous redoutiez. Ces empressements mettent à mal nos fondements judiciaires et leur exécution concrète : l’écoute et l’accueil des victimes, la présomption d’innocence, l’impartialité de la décision pénale, la personnalisation de la peine et finalement la lutte contre l’arbitraire. C’est pour cela que le rôle de l’avocat que je suis, dans le débat public, est de créer des ponts entre ces mondes, et que j’ai la conviction que le fait de retrouver une balance médiatique permettra tôt ou tard à la justice de retrouver la sienne. Ne demandez pas à la justice d’être son propre avocat. Exigez de vous ce que vous êtes en droit d’exiger d’elle : le courage de la balance.
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