Avec Trump, tous les délires sont permis
À quelques jours du vote pour le 47e présidant des États-Unis, certains milliardaires anticipent une victoire de Trump et font de leur mieux pour avoir ses bonnes grâces. Par Michel Santi, économiste (*). ( dans « La Tribune »)
Lors de sa première candidature à la Présidentielle, en 2016, Trump ne cessait de livrer certains médias importants à la vindicte populaire. Ses cibles privilégiées furent CNN dont il qualifiait les informations de « fake news » et de « garbage » (ordures), ainsi que le Washington Post traité de honte du journalisme (« A disgrace to journalism »). Après la victoire de Trump, le Post s’était érigé comme grand gardien de la démocratie. Le quotidien, fondé en 1877, se montrait tout à la fois déterminé et agressif dans la dénonciation des excès trumpistes, s’attirant les foudres du Président en exercice qui menaça à de nombreuses reprises – et en personne – Jeff Bezos, son propriétaire qui était évidemment à la manœuvre.
« Ils auront des problèmes, si je deviens Président », martelait Trump durant cette campagne à l’attention du Post et de CNN, dont les reportages et les éditorialistes lui étaient hostiles. «Ils auront tant de problèmes», poursuivant que – devenu Président – il bloquerait l’imminent projet de fusion entre Time Warner, propriétaire de CNN, avec AT&T. Trump et ses partisans accusaient CNN de conspirer à des suppressions de votes, et d’appartenir à une «structure de pouvoir» qu’il s’efforcerait de démanteler, car « mon administration n’autorisera pas cette opération de fusion ».
De fait, le Département de la Justice américain poursuit en novembre 2017 AT&T-Time Warner et bloque leur fusion. Quelques mois plus tard, par ailleurs, les pressions exercées par Trump sur les services postaux US aboutissent à une augmentation de leurs tarifs appliqués envers Amazon, pendant que le Président en exercice twittait que les frais de livraison de cette société augmenteraient, provoquant une plongée boursière du titre de l’ordre de 60 milliards de dollars.
Début 2022, et alors que Trump semble s’installer comme seul candidat valide des Républicains à la Maison-Blanche, CNN licencie Jeff Zucker, son rédacteur en chef, et le remplace par Chris Licht, présenté comme «plus neutre» envers le candidat Trump. Le nouvel arrivant fait en effet preuve de tant de mansuétude, et s’attelle à renvoyer plusieurs journalistes critiques de Trump. Tant et si bien qu’il finit par être remercié, suite à une révolte de sa rédaction.
De son côté, Mark Zuckerberg, patron de Meta, pourtant adversaire historique de Donald Trump, ne cache pas (lors d’une interview sur You Tube) son admiration publique pour Trump qui se relève suite à l’attentat raté contre sa personne. « Après avoir été visé au visage, poing en l’air face au drapeau américain, sa réaction est un des gestes les plus courageux que j’ai pu voir dans ma vie » (one of the most badass things I’ve ever seen in my life), balbutie Zuckerberg.
Le Washington Post, pour sa part, était sur le point de soutenir publiquement la candidature de Kamala Harris, suite à une discussion entre les rédacteurs qui avaient même préparé le texte. Pourtant, par la voix de son directeur de la rédaction, Will Lewis, le Post vient tout juste de déclarer qu’il ne se prononcera finalement en faveur d’aucun candidat. Décision prise à l’évidence par Jeff Bezos qui cherche à ménager ses intérêts en cas de victoire de Trump, dont il était pourtant farouchement opposé ces dernières années.
Il y a quelques jours encore, Mariel Garza, éditorialiste très connue d’un autre organe de presse, le Los Angeles Times, démissionne de son poste en guise de protestation, car son directeur éditorial bloque le papier où elle s’apprêtait à soutenir Harris.
Après Elon Musk, après Peter Thiel, entrepreneur et investisseur, cofondateur de PayPal et de Palantir, connu pour son influence dans la Silicon Valley, les méga patrons américains tombent comme un jeu de dominos dans l’escarcelle de Trump. Sous nos yeux, les entrepreneurs les plus brillants de leur génération basculent, voire affichent leur soumission, ne laissant quasiment pas d’autre choix aux leaders de l’économie moins puissants et moins médiatiques qu’eux. Quant à ceux qui ne peuvent se résoudre à soutenir publiquement, par dégoût de lui, le candidat Trump, ils s’abstiennent et restent muets par peur de représailles si et quand il sera élu.
L’historien Timothy Snyder, dans son ouvrage On Tyranny, avait théorisé ce phénomène où les citoyens, anticipant et se conformant à un régime sans même y être contraints, facilitent et renforcent son pouvoir. En effet, c’est lorsque des individus ou des groupes adoptent volontairement – et de manière proactive – des comportements conformes aux attentes (ou aux attentes supposées) de ceux qui détiennent le pouvoir, avant même que des ordres ou que des instructions n’aient été données, que l’on identifie cette obéissance anticipatrice (« Anticipatory obedience »).
Il s’agit là d’un acte de soumission volontaire qui renforce les pouvoirs autoritaires, car la population exerce sur elle-même un autocontrôle et une autocensure, qui réduit ainsi le besoin de coercition. Affligeant pour cette grande démocratie américaine, et aussi accessoirement pour le Washington Post. C’est ce grand quotidien qui avait dévoilé les scandales du « Watergate », des « Pentagon papers ». Lui dont le slogan depuis 165 ans est – ou était – « La démocratie meurt dans les ténèbres » (« Democracy dies in darkness »).
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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales, écrivain. Il vient de publier un ouvrage critique sur la Banque centrale suisse : BNS : une banque centrale ne devrait pas faire ça. Son fil Twitter.
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