Un budget douteux et peu efficace

Un budget douteux et peu efficace 

Le projet de loi de finances pour 2025 présenté par Michel Barnier va-t-il vraiment permettre de réduire la dette publique de 60 milliards d’euros ? Voici pourquoi peut-on en douter. La loi de finances pour 2024 prévoyait un déficit public de 4,4 % du PIB pour 2024. Il sera certainement de plus de 6 % (un écart de 50 Md€). Comme l’indiquait la note 2023-03 du Cepremap, cet écart était anticipable, car la prévision ne reposait pas sur un effort budgétaire décidé, mais sur des évènements conjoncturels favorables fort peu probables. Ils ne se sont (hélas) pas produits. Le nouveau gouvernement doit démontrer sa capacité à inverser la dynamique de la dette publique et à limiter le risque qu’elle ne connaisse, à l’avenir, de nouvelles fortes hausses (deux objectifs du nouveau traité européen). Pour ce faire, le gouvernement propose dans son projet de loi de finance pour 2025, une réduction de 60 Md€ de son déficit en baissant de 30,6 Md€ la consommation publique, de 4 Md€ les transferts d’assurance (retraite et allocations chômage) et de 6,1 Md€ les transferts d’assistance (santé, prime d’activité). Ces réductions de dépenses s’accompagnent d’une augmentation de 19,3 Md€ des prélèvements. En 2025, le gouvernement dépensera 56,4 % du PIB (contre 56,8 % en 2024) et collectera des recettes à hauteur de 51,4 % du PIB (contre 50,7 % en 2024). Même s’il s’agit bien d’un budget visant à réduire la dette publique, l’approche poursuivie est doublement critiquable. Elle ne prévoit aucun engagement de moyen terme, alors que le désendettement se planifie sur plusieurs années, et elle privilégie des instruments affaiblissant la croissance et creusant les inégalités. Une autre politique de stabilisation de la dette publique serait-elle préférable ?

 

par  ,Professeur d’économie, Directeur de l’Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans Université

,Professeur d’économie et chercheur à l’observatoire macro du CEPREMAP, Université Paris Dauphine – PSL

, Professeur d’économie et Directeur Scientifique de l’Observatoire Macro du Cepremap, Paris School of Economics – École d’économie de Paris

, Economiste à l’Observatoire de Macroéconomie, Cepremap

, Doctorante en macroéconomie au CEPREMAP, Chargée d’enseignement, Sciences Po dans « The Conversation » 

Première erreur : ne pas inscrire sa politique dans le temps

La note 2024-03 du Cepremap montre que des règles de consolidation budgétaire, engageant le gouvernement à réduire automatiquement ses dépenses tant que son endettement excède une valeur cible, dominent une succession d’annonces budgétaires annuelles répondant à l’urgence du moment sans vision d’ensemble et sans engagement pour l’avenir. Pour une baisse de 30 Md€/an de la consommation publique sur les quatre prochaines années, une règle annoncée sur un horizon pluriannuel permet de réduire le ratio dette/PIB de quatre points de plus qu’une politique annuelle répétée dans le temps mais qui n’est pas anticipée, c’est-à-dire survenant de façon discrétionnaire chaque année.

Pour un même montant d’économies budgétaires, mais cette fois portant sur les transferts aux ménages, une règle réduit le ratio dette sur PIB d’un point de plus qu’une politique à l’horizon annuel. Le projet de loi du gouvernement Barnier, présenté comme purement ponctuel, ne permet pas aux acteurs économiques d’amortir ces effets sur plusieurs périodes, d’y réagir par des décisions d’épargne ou d’offre de travail par exemple, et donc perdra en efficacité.

De plus, inscrire sa politique dans le temps via une règle permet aussi de réduire le risque de fortes hausses du ratio dette sur PIB. Pour une réduction de 30 Md€/an sur quatre années de la consommation publique, mais en l’absence de règle pluriannuelle, le ratio dette/PIB dépassera 128 % en cas de conjoncture défavorable, c’est-à-dire dans le quart le moins favorable des épisodes conjoncturels déjà observés entre 2000 et 2019. C’est 2 points de plus qu’en présence d’une règle pluriannuelle dans ces mêmes conditions conjoncturelles défavorables. Si ce même effort budgétaire porte sur les transferts aux ménages, cette même conjoncture défavorable n’élèvera le ratio dette sur PIB « qu’à » hauteur de 125 % en l’absence de règle, soit 2,6 points de plus qu’avec une règle.

Ces résultats indiquent que la question de l’horizon de la consolidation budgétaire et de sa programmation annoncée n’est pas une question secondaire mais qu’elle est en soi une condition de son efficacité : un budget annuel dépourvu d’engagements sur la poursuite des efforts restant à faire dans les années à venir est dominé par une stratégie pluriannuelle où les acteurs économiques, ménages et entreprises, peuvent anticiper et lisser dans le temps leurs adaptations.

Seconde erreur : un mauvais choix d’instrument

Au-delà de l’horizon de la consolidation, la note 2024-03 du Cepremap montre également que si l’instrument utilisé pour réduire la dette est le montant des transferts aux ménages (retraites, allocation chômage, santé, minima sociaux, etc.), alors le ratio dette sur PIB baissera plus fortement que si l’instrument est la consommation publique. Entre 2024 et 2027, la baisse du ratio dette sur PIB sera de – 4,9 points avec une baisse des transferts contre – 3,5 points avec une baisse de la consommation publique.

Pour réduire la dette, il est donc préférable de baisser les transferts aux ménages plutôt que la consommation publique. En effet, les réductions de consommation publique compriment à court terme la demande, ce qui ralentit la croissance et donc augmente le risque d’accroissement de la dette. A contrario, suite à une réduction des transferts, les ménages peuvent réduire leur épargne et donc amortir l’effet récessif de cette contraction des transferts. De plus, certains ménages peuvent travailler davantage pour compenser les pertes de revenus liés à la diminution des transferts. Ainsi, cette politique de consolidation budgétaire basée sur une réduction des transferts viendrait compenser partiellement certains déséquilibres français : une grande partie du faible revenu par habitant en France vient d’un trop faible taux d’emploi (le taux d’emploi est de 69 % en France contre 77,4 % en Allemagne), il serait encouragé, et le taux d’épargne n’a jamais été aussi élevé (17,1 % soit 1,7 point de plus que la moyenne de la zone euro), il serait réduit.

Enfin, si la consolidation budgétaire s’opère via une baisse de la consommation publique, il y aura plus d’une chance sur quatre que le ratio dette sur PIB dépasse 125 % en 2027, comme en l’absence d’effort budgétaire. Ce résultat souligne donc que la maîtrise de la dette est fortement incertaine si l’effort budgétaire porte sur la consommation publique. En revanche, si la consolidation budgétaire passe par une baisse des transferts aux ménages, le risque de fortes hausses de la dette publique en cas de mauvaise conjoncture est limité.

Alors qu’il ne faudrait pas trop les baisser, les dépenses de consommation publique représentent pourtant plus de 50 % de l’ajustement budgétaire prévu par le gouvernement Barnier. À l’inverse, dans ce projet, les réductions de transferts ne contribuent qu’à hauteur de 16,8 % de l’ajustement budgétaire, alors qu’elles devraient en être la composante majoritaire.

Contenir les inégalités pour éviter une instabilité politique

Les réductions uniformes des transferts aux ménages accroissent les inégalités car les plus modestes auront des difficultés à compenser leur baisse de revenu du fait de leur faible épargne et d’opportunités réduites d’emploi. Contenir les inégalités permet d’éviter une instabilité politique qui retirerait toute crédibilité à un programme de réduction de la dette publique qui nécessite des années d’efforts. La note 2024-01 du Cepremap montre que lorsque les transferts baissent, une réallocation en faveur des transferts d’assistance (RSA, minimum vieillesse, santé, etc.) et au détriment des transferts d’assurance (retraite, indemnités chômage) doit s’opérer.

La hausse des transferts d’assistance protège les ménages défavorisés en compensant les baisses de transferts d’assurance, alors que les transferts d’assurance perdus sont compensés par une hausse de l’offre de travail des plus aisés. En outre, les ménages défavorisés, ayant une épargne faible, voire nulle, consacreront ces hausses de revenus à consommer, donc à soutenir l’activité. Cette politique de réallocation des transferts en faveur des transferts d’assistance a donc également la vertu de soutenir la croissance et de contenir les inégalités, tout en réduisant les risques de fortes hausses du ratio dette sur PIB.

Alors qu’il faudrait fortement les baisser, les transferts d’assurance ne contribuent qu’à hauteur de 6,6 % de l’ajustement proposé par le gouvernement Barnier, avec en particulier le modeste report de 6 mois de l’indexation des retraites ne permettant d’économiser que 3,6 Md€ sur une année, soit seulement 6 % de l’ajustement budgétaire total. Rappelons à ce stade que 8 % des retraités vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14 % pour le reste de la population et 20 % pour les moins de 20 ans et que le taux d’épargne des retraités est bien plus élevé que celui du reste de la population (25 % pour les plus de 70 ans, 11 % pour 40-49 ans). Au contraire, les transferts d’assistance qu’il faudrait augmenter pour accroître l’acceptabilité sociale de la consolidation budgétaire sont eux réduits par le gouvernement Barnier et représentent même 10,2 % de l’ajustement budgétaire.

Ne s’engageant pas dans le temps long nécessaire à la baisse de la dette, et utilisant des instruments budgétaires qui n’assurent ni la plus grande efficacité, ni l’acceptabilité de cette politique et donc la stabilité politique nécessaire à sa crédibilité, le projet de budget du gouvernement Barnier ne prend pas le meilleur chemin pour réduire la dette et limiter le risque d’une forte hausse de l’endettement public dans les années à venir.

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