Budget : Des prévisions très douteuses
Quel regard portez-vous sur la situation budgétaire de la France ?
CAMILLE LANDAIS - La situation budgétaire de la France reste compliquée, mais les messages alarmistes sur le risque de faillite et les pressions des marchés ne sont pas constructifs. Le spread entre la France et l’Allemagne s’est certes dégradé, mais l’Hexagone continue de se financer à des taux très bas. Il n’y a pas de raison immédiate de croire que ces taux vont se remettre à augmenter de manière vertigineuse. Les taux restent plus faibles que la croissance nominale. Il n’y a pas de risque imminent de trajectoire explosive de la dette publique. Les cris d’orfraie ne correspondent pas à la réalité de la situation.
Placée en procédure de déficit excessif, le gouvernement doit présenter sa stratégie budgétaire de moyen terme à la Commission européenne ce mercredi en Conseil des ministres. Comment faire pour rétablir les comptes publics sans casser la croissance ?
L’équation budgétaire n’est pas si compliquée. La France a effectivement un déficit public très élevé. Il n’y a pas de raison objective d’avoir un déficit aussi élevé, car la France n’est pas confrontée à une crise économique. La consolidation budgétaire doit se faire sur le temps long pour ne pas pénaliser à court terme la demande agrégée. Dans le même temps, la France ne doit pas manquer de crédibilité. Elle va être obligée de montrer des gages dans le temps.
La France va devoir montrer qu’elle ne pénalise pas des investissements extrêmement importants sur la transition écologique ou dans l’éducation. En dépit de cette équation budgétaire relativement simple, la situation politique est complexe. Le gouvernement n’a pas de majorité claire capable de s’engager de manière crédible sur le long terme. Dans ce contexte troublé, le rôle des économistes doit être de clarifier le débat.
Le gouvernement a annoncé 60 milliards d’euros d’efforts budgétaires. 40 milliards d’euros de coupes ont été inscrites dans le PLF 2025, mais il reste beaucoup d’économies à documenter. Quels peuvent être les impacts sur la croissance de ce sévère tour de vis budgétaire ?
Il est difficile d’évaluer l’impact de ces restrictions budgétaires sur la croissance. Il s’agit d’être prudent avec les prévisions. Il est très important d’avoir un débat le plus clair possible sur les hypothèses de croissance et de finances publiques. L’idéal serait d’avoir un consensus des experts. Je pense qu’il faut être vigilant sur l’impact de cette contraction sur l’activité et sur les recettes.
L’exécutif a prévu des hausses d’impôts sur les plus riches et les plus grandes entreprises. Le rendement attendu est de 10 milliards d’euros. Est-ce crédible ?
Il y a un vrai problème de crédibilité et de manque de débats contradictoires sur la nature de ces prévisions. C’est très dangereux. La France va se retrouver avec un déficit à 6,1%, contre 4,4% initialement prévu dans le budget 2024. Les prévisions de recettes sont beaucoup trop optimistes. La plupart des prévisions sur la fiscalité sont malheureusement faites à comportement inchangé. Le problème est que beaucoup de ces mesures risquent d’être largement contournées.
Les grandes entreprises ne vont pas avoir de difficultés à faire de l’optimisation sur leurs profits. Ce qui pourrait être une mauvaise nouvelle pour les recettes. En revanche, cela peut être vu comme une bonne nouvelle pour la croissance, car les mesures pourraient finalement moins peser sur les entreprises.
L’économiste Gabriel Zucman a déclaré que l’impôt de 20% sur les plus aisés allait dans la bonne direction, mais qu’il allait rater sa cible, car cet impôt est exprimé en pourcentage du revenu taxable. Comment faire pour améliorer la fiscalité sur le sommet de la distribution ?
Le vrai problème de régressivité en haut de la distribution est lié à la structuration du patrimoine. Les holdings permettent d’échapper à la fiscalité progressive des revenus. La contribution exceptionnelle proposée dans le budget 2025 passe à côté de ce problème. Cette mesure risque de rater sa cible sur les milliardaires. Ils bénéficient de taux d’imposition plus faibles sur l’ensemble de leurs revenus que la plupart des autres ménages.
Ce problème peut être réglé avec une réforme ambitieuse de la fiscalité sur les plus hauts patrimoines. Cette fiscalité doit être assise sur un revenu économique réel ou le stock de patrimoine. Pour la mettre en place, il faut de la volonté politique et travailler pour que le Conseil constitutionnel ne censure pas le dispositif. Les mesures fiscales proposées par Gabriel Zucman vont dans le bon sens.
Le débat budgétaire a permis de relancer le thème de la fiscalité sur l’héritage. Or, le gouvernement n’a pas retenu de mesure emblématique, malgré un consensus des économistes. Comment expliquez-vous une telle réticence chez les politiques ?
Je pense que cette réticence va finir par céder. Les excès sur le pacte Dutreil et les plus-values latentes à la succession sont des anomalies à corriger. Il ne s’agit pas de dispositifs qui concernent les petites successions, mais des niveaux de transmission sur le haut de la distribution. Ces mesures vont faire leur chemin.
Face au réchauffement climatique, êtes-vous favorable à un emprunt commun en Europe, comme le préconise le récent rapport de Mario Draghi pour financer les investissements massifs ?
Le rapport Draghi a remis l’Europe en face de ses responsabilités sur le réchauffement climatique et les moyens qu’elle doit mettre en place pour lutter contre. Cette lutte va nécessiter des investissements massifs. Ils peuvent être faits au niveau des pays mais l’Europe peut être le bon échelon. Tous les pays européens n’ont pas les mêmes marges de manœuvre pour faire ces investissements publics. C’est par exemple le cas de la France actuellement.
Si l’Europe fait un emprunt commun, cela permet à des pays potentiellement plus vulnérables financièrement de faire des investissements rentables à long terme. Si tous les pays se font concurrence pour attirer des investissements, c’est beaucoup moins efficace que de coopérer. Une forte coordination européenne est nécessaire sur les infrastructures (transports, énergie). Une mutualisation pourrait être bénéfique compte tenu des externalités et des complémentarités entre les pays.
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