COP16 biodiversité : Agir localement (Jane Goodall, primatologue)
La COP16 sur la biodiversité s’ouvre demain en Colombie. Quelles sont les principales causes de la perte de la biodiversité ?
JANE GOODALL - Le changement climatique pousse certaines espèces à se déplacer pour échapper à la chaleur. Celles qui ne peuvent pas bouger s’adaptent ou meurent. Dans l’océan, mais aussi sur terre, de nombreux animaux ingèrent du plastique. L’agriculture industrielle, avec ses pesticides et ses herbicides, empoisonne les sols. Cela a un effet terrible sur la biodiversité. Pour lutter contre sa perte, il faut donc ralentir le dérèglement climatique dû au réchauffement, commencer à restaurer les forêts, protéger les animaux. Il faut s’attaquer à la pauvreté, puisque c’est pour trouver de quoi survivre que des populations vulnérables détruisent l’environnement autour d’elles. Tout est lié.
Vous défendez résolument une approche holistique pour préserver la planète…
Oui. Résoudre un problème sans s’occuper des autres ne marchera pas. Vous ne pourrez pas protéger la biodiversité sans lutter contre le réchauffement, les pesticides et les herbicides. Se focaliser sur la résolution d’un problème peut en créer un autre s’il n’y a pas de réflexion a priori. Il faut donc penser différemment et aborder ces questions conjointement.
En Afrique, selon les prévisions de scientifiques, les grands singes vont perdre entre 84 et 95 % de leur habitat d’ici à 2050…
Oui, ils vont disparaître si nous ne protégeons pas leur habitat. Une des façons de le faire est d’aider les populations locales à préserver l’environnement. C’est le but du programme Tacare du Jane Goodall Institute, qui permet aux communautés locales de gérer leurs ressources naturelles de façon durable. Le dernier projet, par exemple, porte sur la récolte du miel. Les anciens apiculteurs enseignent aux plus jeunes comment ne pas vider les ruches de tout leur miel pour en laisser suffisamment afin de permettre aux abeilles de se reproduire.
En Occident, l’idée de la supériorité des humains sur les animaux grâce à leur intelligence, pensaient-ils, a longtemps prévalu…
Cette idée était fausse. Dans les années 1960, quand je suis allée à l’université de Cambridge pour mon doctorat en éthologie après mes premières recherches sur les chimpanzés, mon professeur m’a dit que j’avais tout fait de travers. Que je ne devais pas dire que les chimpanzés avaient leur propre personnalité et des émotions, car seuls les humains en étaient dotés. Les chimpanzés ont prouvé que c’était inexact. Nous savons maintenant que de nombreux animaux sont incroyablement intelligents. Pas seulement les singes, les éléphants et les baleines, mais aussi les cochons, les rats et des espèces d’oiseaux. Je connais un perroquet capable de prononcer 1500 mots.
C’est ma mission, j’ai été envoyée sur Terre pour agir et donner de l’espoir.
Comment expliquer la désunion avec la nature qui existe parfois en Occident ?
Les enfants grandissent sans la connaître. Ils passent leur temps sur ces petits gadgets électroniques. Même des enfants de 2 ans ont une tablette devant les yeux. L’une des actions clés de notre programme Roots & Shoots [racines et pousses], présent dans 71 pays, est d’initier les jeunes à la nature. S’il est compliqué d’emmener des élèves en forêt, des animaux peuvent être amenés en classe, des jardins biologiques créés, des lopins de terre transformés pour y planter des petites choses. Il est scientifiquement prouvé que les enfants ont besoin de la nature au cours des premières années de leur vie pour bien se développer psychologiquement.
En 1986, après une conférence à Chicago, vous devenez activiste pour défendre la préservation de la faune sauvage. Être scientifique vous semblait inutile ?
Ce n’est pas tout à fait ça, les études se poursuivaient en Tanzanie au sein du centre de recherche de Gombe Stream. Mais les chimpanzés m’avaient tant donné que je voulais les aider en retour, expliquer pourquoi ils disparaissaient, comment la forêt reculait.
Aujourd’hui, comment faites-vous pour convaincre les plus sceptiques du dérèglement climatique ?
En racontant des histoires, pour toucher les gens au cœur. Par exemple celui de ce PDG d’une grande entreprise internationale qui travaille depuis huit ans maintenant afin de rendre sa société la plus durable et éthique possible. Il a changé quand sa petite fille est rentrée un jour de l’école en lui demandant : « Papa, mes amis disent que tu fais du mal à la planète. Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? Parce que c’est ma planète. » Ce genre d’histoire touche. Pour convaincre, il ne faut pas montrer pas du doigt les gens en disant qu’ils sont mauvais, il faut raconter des histoires. Cela a toujours été ma façon de faire.
Pensez seulement à des problèmes proches de vous.
Vous avez montré une patience infinie dans les forêts pour approcher les singes. Maintenant, il y a urgence. Comment la gérez-vous ?
Je suis née patiente. Petite, j’ai attendu des heures dans le poulailler pour voir comment la poule pondait des œufs ! Les premières années dans la forêt, je ne subissais aucune pression, je pouvais me permettre d’attendre. Aujourd’hui, avec l’horreur qui nous entoure, il faut être patient avec ses valeurs, continuer à y croire. Mais on ne peut pas rester assis et se détendre. Pourquoi est-ce que je voyage trois cents jours par an, à 90 ans ? C’est ma mission, j’ai été envoyée sur Terre pour cela. Les gens m’écoutent. Tant de personnes sont venues me voir pour avouer qu’elles avaient abandonné la lutte, mais que je leur avais redonné de l’espoir. Si vous n’avez pas d’espoir, même un petit, vous abandonnez. Alors ce sera la fin, nous serons tous condamnés.
N’est-il pas difficile de garder cet espoir ?
Les gens perdent espoir parce qu’ils pensent aux problèmes du monde. Je leur dis : « Pensez seulement à des problèmes proches de vous. Qu’est-ce vous tient à cœur ? Le recyclage des déchets ? La construction d’un nouveau supermarché pas nécessaire ? La cruauté envers les animaux ? Rassemblez-vous avec des amis, décidez de ce que vous pouvez faire, retroussez vos manches et agissez. » Ils comprendront qu’agir localement peut faire la différence, et ensuite ils prendront conscience que d’autres personnes dans le monde se comportent comme eux. Alors ils pourront penser de manière globale.
Dans les années 1960, vous disiez que les montagnes et les forêts étaient votre maison. Où est votre maison aujourd’hui ?
Dans les avions ! Plus sérieusement, je vis avec ma sœur dans notre maison de famille dans le sud de l’Angleterre. Il y a les arbres auxquels je grimpais enfant, les livres que je lisais. Deux fois par an, je retourne dans le parc de Gombe, en Tanzanie.
Les collines vous manquent-elles ?
La vie que j’y avais me manque, oui, mais c’est différent maintenant. Il y a des touristes, les chimpanzés que j’ai connus ont tous disparu sauf une. Gremlin a 55 ans. La dernière fois que je suis allée à Gombe, elle est venue chez moi, quatre heures avant mon départ. C’est la troisième fois qu’elle venait. Gremlin ne vient jamais en mon absence. Elle était là, et elle m’a emmenée avec ses deux derniers enfants dans la forêt à côté de la rivière. C’était magnifique.
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