Nous allons rarement chez le médecin avant d’avoir mal. Les pays eux-mêmes attendent souvent d’avoir mal pour s’infliger le traitement de cheval leur permettant de recouvrer la santé financière. Ce fut le cas de la Grèce, soumise à un régime draconien après avoir été violemment attaquée par les marchés. Du Portugal aussi, qui fut contraint de réduire les pensions de retraite et salaires des fonctionnaires pour enrayer la défiance des investisseurs.
par Lucie Robequain dans la« La Tribune ».
La France est loin de se trouver dans la même situation. L’avertissement de l’agence Fitch vendredi soir, qui a passé de « stable » à « négative » la perspective de la note française, n’aura a priori aucune conséquence immédiate : sa dette reste très convoitée sur les marchés et se monnaie même moins cher qu’avant l’été. Ce n’est évidemment pas sa vertu budgétaire qui justifie de telles conditions, mais la baisse générale des taux. Selon toute vraisemblance, la Banque centrale européenne procédera à une nouvelle baisse cette semaine, réduisant d’autant la pression sur nos élus et le gouvernement. Faut-il s’en réjouir ? À court terme oui, car la charge de la dette restera sous contrôle l’an prochain.
À long terme, certainement pas : cette bienveillance des marchés agit comme un anesthésiant et nous empêche de réduire le train de vie de l’État autant qu’il le faudrait. Oui, il y a urgence à réduire nos dépenses. Non, les marchés ne soutiendront pas éternellement Paris dans son laxisme budgétaire. Fitch accorde d’ailleurs peu de crédit aux promesses de Michel Barnier : elle craint « des pressions additionnelles pour accroître les dépenses » - un euphémisme ! – et table sur encore 5,4 % de déficit l’an prochain.
Les bonnes économies prennent du temps, et je n’ai pas de temps.
Les 60 milliards d’efforts annoncés pour 2025 sont « sans précédent », nous dit pourtant le gouvernement. Ils le seraient s’ils étaient documentés par Bercy. Or, qu’apprend-on ? Qu’il compte sur la bonne volonté des députés pour trouver 5 milliards d’économies lors du débat budgétaire. Et sur celle des élus locaux pour réduire leurs dépenses, eux aussi, de 5 milliards. Illusion totale, dans un cas comme dans l’autre ! Les parlementaires sont déjà vent debout contre les rares économies proposées, dont le gel provisoire des pensions de retraite – confirmant ainsi que, à droite comme à gauche, l’association des retraités à l’effort collectif reste taboue. Irresponsable et coupable…
Bercy y a bien conscience de la fragilité de l’exercice. « Les bonnes économies prennent du temps, et je n’ai pas de temps », confiait récemment l’un des grands architectes du budget. Un aveu d’échec comme on en entend peu. C’est en nous comparant qu’on mesure l’ampleur de la dérive. La France se finance désormais à des conditions identiques voire moins bonnes que les « PIGS », ces pays du sud de l’Europe (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) pour lesquels nous avions tant de condescendance dans les années 2010. Ce déclassement français est indolore aujourd’hui, car tous les pays empruntent peu cher. Mais à la prochaine crise, les marchés n’auront aucune pitié pour la France.
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