Paradoxalement plus les membres du gouvernement sont diplômés en économie et en école de commerce et plus ils semblent démontrer leur incompétence en matière de gestion. La preuve sans doute que le diplôme n’est pas un brevet de capacité politique et que les sciences molles se heurtent facilement aux réalités. Témoin ce budget de 2025 complètement incohérent.
par Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande École dans the Conversation
Jamais un gouvernement n’avait compté en son sein autant d’économistes et de diplômés d’écoles de commerce. Sur les 39 ministres et secrétaires d’État du gouvernement Barnier, 16 appartiennent à la première catégorie et 14 à la seconde. C’est Luc Rouban, chercheur au CEVIPOF (le Centre de Recherche de Sciences Po) qui a mis en lumière ce phénomène en comparant la composition du nouveau gouvernement (41 % d’économistes, 36 % de diplômés d’école de commerce) aux gouvernements Fillon (23 % d’économistes, 6 % de diplômés d’écoles de commerce) et Philippe (respectivement 21 % et 13 %).
Si l’on analyse tous les gouvernements, du second gouvernement Philippe en remontant jusqu’au gouvernement Jospin, ce contraste est encore plus marqué. Sur cette période, les parcours prédominants des ministres étaient droit et sciences politiques (32 %), Sciences Po Paris (30 %) et l’ENA (19 %). Les sciences économiques et de gestion représentaient seulement 10 % des profils et les écoles de commerce 9 %. Avec 41 % d’économistes et 36 % de diplômés d’écoles de commerce, le gouvernement Barnier se distingue donc par une augmentation notable de ces profils. Comment expliquer et interpréter une telle évolution ?
Dès le début de son aventure politique et surtout présidentielle, Emmanuel Macron va apparaître comme un « politicien manager » et afficher un positionnement pro-entreprise qui va se concrétiser par la mise en avant des start-up ou la mise en place d’une fiscalité favorisant l’investissement financier.
En plus d’une hyper-présidentialisation pouvant donner l’image d’un « grand patron » régnant sur son entreprise, ses mandats vont être marqués par des pratiques inspirées du monde des affaires : organisation de séminaires de team-building, recours aux cabinets de conseils privés, mise de côté des personnes n’atteignant pas leurs objectifs.
La présence accrue de diplômés d’études économiques et d’écoles de commerce dans le gouvernement semble s’inscrire naturellement dans cette philosophie macroniste assimilant la gestion de l’État à celle d’une entreprise. Mais alors, pourquoi cette évolution n’est pas intervenue plus tôt, alors qu’Emmanuel Macron est au pouvoir depuis 2017 ?
Malgré une image de serviteur de l’État et de représentant de la haute fonction publique, Michel Barnier possède un profil plus managérial que ne le laisse entendre sa réputation. Il est ainsi diplômé de l’ESCP Business School (Paris), l’une des trois plus prestigieuses écoles de commerce française. Au regard de sa formation et des recherches portant sur ce sujet, il a pu être naturellement enclin à choisir des profils proches du sien lors de la constitution de son équipe gouvernementale.
La présence de ces profils fait aussi écho à son étiquette politique de membre des Républicains et du poids important de la droite au sein de ce nouveau gouvernement. En moyenne, la proportion de diplômés d’écoles de commerce est 3 fois plus importante au sein des gouvernements de droite que dans ceux de gauche (12 % à droite et 4,2 % à gauche pour l’ensemble des gouvernements de 2000 à 2020).
Mais au delà de l’influence du macronisme ou du profil de Michel Barnier, l’équilibre « sociologique » du nouveau gouvernement s’inscrit aussi dans une tendance historique plus profonde, et dans le contexte économique actuel.
Depuis les années 1980 et l’émergence du New Public Management (“nouvelle gestion publique”), de nombreuses réformes inspirées de la culture managériale du secteur privé ont été appliquées aux organisations publiques, y compris en France. Leur but ? Améliorer l’efficacité des structures en charge de missions d’intérêt général, comme les hôpitaux ou les écoles, en leur assignant des objectifs de performance. En dépit de limites et de résultats parfois mitigés, cette stratégie est allée de pair avec un contrôle accru des équilibres financiers et des performances économiques des services publics. L’augmentation de profils issus de formations en lien avec l’économie et la gestion symbolise l’avènement progressif de cette approche.
Dans le cas du gouvernement de Michel Barnier, qui préconise lui-même le renforcement d’une culture de l’évaluation dans l’administration, cette présence est probablement accentuée par l’urgence des problèmes de budget et de déficit auxquels la France fait face actuellement.
Au-delà de ces éléments, la composition du gouvernement Barnier traduit aussi une évolution de la perception des formations publiques et privées en France.
Si on prend le cas des écoles de commerce, leur présence dans les classements internationaux, comme celui du Financial Times, a augmenté la visibilité des plus prestigieuses d’entre elles. Dans le même temps, l’image de Sciences Po Paris était ternie par des problèmes de gouvernance et des tensions internes alors que les critiques dont faisait l’objet l’ENA aboutissaient, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, à son remplacement par un institut dédié au service public.
Les exemples d’Arnaud Montebourg et de Marlène Schiappa, étudiants en école de commerce après leurs fonctions ministérielles, ainsi que le choix de ministres, notamment de l’Education nationale comme Pap Ndiaye ou Amélie Oudéa-Castera, d’inscrire leurs enfants dans le privé, ont aussi renforcé cette impression.
De ce point de vue, la sociologie du gouvernement Barnier reflète la valorisation par le personnel politique actuel des filières « d’excellence » privées au détriment des formations publiques et de l’université.
Cette évolution signe-t-elle “la disparition d’une certaine culture de l’État” comme le redoute le politiste Luc Rouban ? Selon lui, l’augmentation des profils de type économiste et école de commerce montre que l’État et l’action politique se « privatisent ». L’action étatique perd de sa spécificité vis-à-vis de l’action privée dans la mesure où services publics et entreprises privées tendent à être gérés de la même façon. Il y voit un changement culturel et craint que la puissance publique se concentre désormais sur ses missions régaliennes et laisse de côté sa mission sociale. Si la question reste posée, ce glissement interroge en tous cas l’évolution des rapports entre services publics et secteur privé en France.
D’un côté, les difficultés financières et le manque de moyens alloués à la puissance publique poussent à la prise d’initiatives individuelles et ouvrent la porte à l’intervention d’acteurs « privés » dans le cadre de missions autrefois prises en charge par l’État.
De l’autre, les entreprises sont de plus en plus sollicitées pour jouer un rôle dans le bon fonctionnement de la société, comme en témoigne l’essor des concepts de parties prenantes, de responsabilité sociétale des entreprises ou d’entreprises à mission.
Au regard de l’intensité des défis sociaux et environnementaux actuels, le rapprochement et la coopération public/privé semblent donc nécessaires. Mais ceux-ci souffrent souvent d’une mauvaise connaissance et d’une compréhension limitée du secteur public par certains acteurs du secteur privé et de certaines personnes du secteur publics vis-à-vis du secteur privé. Les à-priori et les biais idéologiques associés à chacune des deux sphères constituent souvent des freins à leur coopération. Cette question demeurera stratégique bien au-delà des mandats d’Emmanuel Macron, de Michel Barnier et de la composition des prochains gouvernements.
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