Depuis une quarantaine de jours, le gouvernement Attal est démissionnaire et les représentants de gauche, sous le label Nouveau Front populaire espéraient imposer le nom de Lucie Castets. Face au refus présidentiel, ils sortent furieux de la réunion, évoquant un « Mac-Macron » à l’Élysée pour dénoncer l’attitude présidentielle. L’allusion des représentants de gauche à l’une des plus importantes mais oubliées crises politiques qu’a connu la France ces deux derniers siècles est évidente. La présidence de Patrice de Mac Mahon (1873-1879) est marquée par la tentative des milieux royalistes et bonapartistes de restaurer un roi sur son trône. Il faut dire qu’ils sont galvanisés par les sentiments monarchistes du nouveau locataire de l’Élysée.
Par Thierry Truel, docteur en histoire contemporaine, Université de Bordeaux dans The Conversation
Considérée comme une « arme absolue » par les républicains à l’époque, la dissolution brandie par Emmanuel Macron le 9 juin avait été pour la première fois utilisée par Mac Mahon sous la IIIe République, puis remisée par ses successeurs jusqu’à Jacques Chirac en passant par de Gaulle et François Mitterrand. Or son usage suscite toujours un doute à ce que le régime verse dans le pouvoir personnel. La crise actuelle n’échappe donc pas à la règle.Des analyses de qualité chaque jour dans vos mails, gratuitement.
Le président de la République obtient un mandat électif de sept ans (élu par les parlementaires) et le droit de dissolution de la Chambre des députés. Cette arme entre les mains d’un seul provoque l’hostilité des républicains radicaux qui refusent le principe alors que ses partisans sont, à droite, satisfaits d’avoir un levier pour contrer les effets néfastes du parlementarisme (coalition et alliances hétéroclites pour composer des majorités gouvernementales).
Les sénatoriales et législatives de 1876 confirment la progression républicaine. Contraint par le résultat des urnes, Mac Mahon appelle la formation d’un cabinet dirigé par un vieux républicain modéré, Jules Simon, ouvrant une nouvelle page d’histoire institutionnelle : celle d’une cohabitation qui ne dit pas son nom pour la première fois dans l’histoire de la République française.
La crise du 16 mai 1877
La politique républicaine déplaît fortement au président qui n’a pas les moyens constitutionnels de s’y opposer (ses actes, selon la constitution de 1875 sont contresignés obligatoirement par un ministre) sauf la dissolution. Mac Mahon attend l’occasion pour réaliser cet acte.
Il la trouve au printemps 1877 lorsque le pape Pie XI demande à tous les catholiques de militer pour l’indépendance du Vatican vis-à-vis de l’unité italienne.
En effet, en France, depuis le Concordat signé par Napoléon 1ᵉʳ en 1801 avec l’Église catholique, le clergé français est très proche de la politique pontificale et ne peut supporter que Pie IX soit « enfermé » au Vatican (Rome doit devenir la nouvelle capitale du nouveau pays italien mais sans la présence du pape). Ils proposent alors que l’armée française intervienne comme elle l’avait fait en 1849.
En France, cette décision ravive l’anticléricalisme de la gauche française. Gambetta, dénonçant la décision des évêques de France de suivre les injonctions pontificales et craignant une guerre avec l’Italie, déclare à la tribune : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ». Jules Simon ne s’oppose pas à cette prise de position provoquant l’ire présidentielle.
Dans une lettre que Mac Mahon lui adresse le 16 mai 1877, le président fait des reproches sur la politique extérieure du gouvernement. Jules Simon démissionne dans la foulée. C’est le début de la crise du Seize-Mai 1877. Les opposants républicains crient au coup d’État organisé par le palais de l’Élysée. La brutalité de la décision présidentielle autant que son caractère inédit expliquent cette levée de boucliers contre Mac Mahon.
Le président nomme un gouvernement de combat, appelé « le ministère du Seize-Mai » composé de personnalités politiques conservatrices, les orléanistes (monarchistes modérés), les légitimistes (monarchistes radicaux) et les bonapartistes.
Il confie la tête du gouvernement et le ministère de la Justice (cela se faisait souvent en ces débuts de république) à Albert de Broglie, orléaniste modéré mais profondément attaché au catholicisme.
Les ministères sont distribués en respectant l’équilibre politique entre les différentes composantes. Mais c’est surtout l’action du ministre de l’Intérieur Fourtou qui suscite le plus d’opposition de la part des républicains. Ce ministre, déjà en fonction en 1874 a une réputation d’être brutal et sans concession.
La valse des préfets et des sous-préfets ainsi que des fonctionnaires hostiles (donc républicains) au gouvernement provoque un mur de protestations. Dans un manifeste, les 363 députés républicains s’opposent vivement contre la nomination d’un président du Conseil monarchiste alors que la Chambre est majoritairement républicaine.
Cette dernière devient donc un obstacle à la réalisation du projet gouvernemental et Mac Mahon décide de dissoudre le 14 juin 1877, provoquant de facto de nouvelles élections législatives qui se tiennent les 14 et 28 octobre suivants.
Dès le départ, le président fait savoir qu’il envisage une résistance si les élections ne sont pas favorables à son camp. Gambetta prévient :
« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre. » (Discours de Lille août 1877)
Le ministre Fourtou ordonne aux préfets de suivre étroitement, dans leur département, les républicains : une surveillance étroite des journaux, des cafés, des fermetures de bibliothèques, de loges maçonniques dans lesquels les opposants ont leurs habitudes.
Fourtou réactive la candidature officielle, pratique d’un principe d’un Second Empire déchu. Le postulant reçoit d’une manière tout à fait illégitime le soutien financier et matériel de l’État alors que ce dernier se soit d’être neutre et de garantir le bon déroulement du scrutin.
La campagne dans les départements fait rage et les décisions ministérielles s’accélèrent : des suspensions ou de révocations de fonctionnaires, des arrestations comme celle de Gambetta après son discours de Lille en août, se succèdent.
À l’époque où les sondages n’existent pas, le gouvernement redoute une victoire républicaine qui est confirmée dès la fin octobre : sur 533 sièges, la gauche en remporte 313.
Certes, c’est moins que les 363 sortants mais ce n’est pas une victoire de la droite puisqu’aucun des partis (bonapartistes, monarchistes) n’obtient la majorité.
La Chambre des députés demeure républicaine. Logiquement, le président devrait démissionner mais rien dans la constitution ne le contraint. Dans un premier temps, il demande au gouvernement de Broglie de tenter à nouveau de renverser la vapeur (élections cantonales en novembre 1877) mais cela devient impossible. Les républicains réclamant le pouvoir. Mac Mahon tente, dans un second temps, de nommer un cabinet sous l’autorité d’un monarchiste modéré, le général de Rochebouet mais la Chambre lui refuse sa confiance.
Il faut à la France un gouvernement républicain. À contrecœur, Mac Mahon le 13 décembre nomme Jules Dufaure (centre gauche). Il a pensé un temps à dissoudre (la constitution ne prévoit pas un délai entre deux dissolutions comme celle de la Ve République) mais le Sénat refuse.
Une fois de plus, Mac Mahon aurait pu démissionner mais il décide de résister depuis l’Élysée. Il y parvient jusqu’en janvier 1879, date à laquelle son camp perd la direction de l’assemblée, ravie par Léon Gambetta.
Alors que son mandat allait jusqu’en mai 1880, le 30 janvier 1879, Mac Mahon quitte le pouvoir. Les républicains choisissent un des leurs, modéré, ancien président du Sénat, Jules Grevy. La mémoire de cet épisode reste ancré dans notre culture politique car le droit de dissolution est demeuré le principe point d’achoppement des forces politiques jusqu’à nos jours.
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