Les partis-personnels sont des partis qui ont émergé et se sont construits autour de la personnalité de leurs fondateurs respectifs, comme ceux de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron. Ludovic Grave, doctorant en sciences politiques à l’Université de Lille, a étudié La France insoumise et Renaissance et revient dans un entretien sur leurs limites dans le champ politique et électoral, à la lumière des tensions et fractures profondes observées depuis l’annonce de la dissolution le 9 juin dernier
Comment expliquez-vous la prégnance de ces structures ? Comment cela s’inscrit-il dans la culture politique française ?
Sous la Ve République, il y a toujours eu des partis politiques dont la personnalité du fondateur avait une prégnance importante, voire décisive. On peut se rappeler du Rassemblement du peuple français (RPF) dont Charles de Gaulle était la figure centrale sous la IVe République. D’autres « petits » partis – petits car peu présents dans le champ politique et électoral – ont également une structure dont la figure du leader-fondateur est centrale.
On peut citer l’exemple de l’UPR de François Asselineau, Solidarité & Progrès de Jacques Cheminade, ou Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, etc. Plus récemment, nous avons vu émerger Reconquête d’Éric Zemmour et Horizons d’Édouard Philippe, qui prennent la forme de partis personnels centrés autour de leur fondateur. On ne peut donc pas réellement dire qu’il soit exceptionnel de voir un parti graviter autour de son leader-fondateur dans le paysage politique. Cette tendance s’inscrit d’ailleurs dans une évolution plus large de la vie politique française, où la personnalisation du pouvoir et la médiatisation des figures politiques jouent un rôle croissant.
En quoi néanmoins LFI et Renaissance (ex-LREM) se distinguent-ils ?
Je dirais leur forme organisationnelle très proche. Il s’agit de partis relativement squelettiques en termes de structuration, se présentant comme des « mouvements » fortement inclusifs et souples, conjuguant horizontalité participative et verticalité décisionnelle.
Ils cherchent ainsi à se démarquer des partis traditionnels établis dans le champ politique. L’adhésion à LREM se faisait initialement via le site Internet, avant sa refondation (pour reprendre le terme de Florence Haegel concernant l’UMP) en un parti plus traditionnel, Renaissance. En ce qui concerne LFI, ce mode d’adhésion gratuit est toujours d’actualité.
Ces deux partis sont centrés autour d’une plate-forme numérique qui constitue le dispositif central de structuration du parti, « conçue non seulement comme un mode renouvelé d’agrégation et de mobilisation des soutiens ».
C’est en cela que cette structuration partisane se démarque largement de ce que l’on retrouve dans d’autres partis politiques français comme LR ou le PS.
Peut-on parler d’un parti-personnel dans la mesure où le projet politique se confond avec celle/celui qui le porte ?
On peut effectivement parler de parti personnel dans le cas de LREM et LFI. Un parti personnel se caractérise par le contrôle total de son leader-fondateur sur le parti, fusionnant ses ambitions personnelles avec le programme politique du parti.
Ce phénomène n’est pas totalement nouveau, mais il a pris de l’ampleur ces dernières décennies dans les démocraties occidentales. Dans le cas de LFI et LREM, ces partis ont été créés dans le but spécifique de soutenir leurs candidats-fondateurs respectifs à l’élection présidentielle, sans forcément d’organisation avec une base idéologique ou politique distincte et diversifiée.
De ce point de vue, ils présentent des similitudes avec le Front national devenu Rassemblement national, qui a longtemps fonctionné comme une « entreprise familiale ».
Cette notion découle d’une étude du parti Forza Italia (FI) par deux politistes américains Glenn Kefford et Duncan McDonnell. La FI de Silvio Berlusconi est souvent citée comme l’idéal-typique du parti personnel, où une combinaison de ressources charismatiques et patrimoniales détenu par son leader-fondateur remplace la structure collective traditionnelle et légale rationnelle du parti.
Berlusconi a utilisé sa fortune financière et son empire médiatique pour établir et maintenir le contrôle sur son parti, fusionnant ainsi sa marque personnelle avec l’identité du parti.
De même, le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Beppe Grillo a tiré parti de sa présence dans les médias et de son organisation innovante centrée sur Internet pour centraliser le contrôle, en veillant à ce que les communications et les décisions de toutes les parties soient filtrées via ses canaux personnels. L’essor de tels partis personnels est facilité par la personnalisation de la politique qui en France est de plus en plus prégnante, où les acteurs politiques individuels occupent une place plus centrale dans le champ politique.
Peut-on reprocher à ces partis personnels d’être peu démocratiques ?
En France, aucune loi n’oblige un parti politique à être « démocratique » dans son fonctionnement interne. La Démocratie n’est pas l’addition d’une multitude de petites démocraties. Un parti politique est avant tout une structure qui cherche à conquérir la magistrature suprême, et rien n’interdit qu’il soit dirigé par un leader détenant l’essentiel des pouvoirs décisionnels.
Dans le cas qui nous intéresse, les deux partis en question peuvent être considérés comme peu démocratiques dans leur fonctionnement interne. LFI, dont Jean-Luc Mélenchon affirme la nature « gazeuse », et LREM ont une organisation squelettique aux contours volontairement flous, comme en témoignent leurs statuts.
Cette structure entraîne inévitablement de l’informalité et permet au leader-fondateur et à ses proches de contrôler l’ensemble de l’organisation sans que les corps intermédiaires, traditionnellement présents dans les partis politiques, puissent faire contrepoids. Pour ces deux formations, la démocratie intra-partisane est perçue comme trop risquée, car elle pourrait potentiellement contrecarrer l’objectif principal qui est de soutenir leur leader respectif.
Ces deux partis se sont positionnés comme étant « en rupture » avec les autres (LR, PS, etc.) à des moments proches (avril 2016). Quelles ont été les stratégies de départ ?
Ces deux partis se sont avant tout annoncés en rupture avec les partis traditionnels en mettant en avant leur « forme mouvementiste », s’inspirant pour le cas de LFI de Podemos en Espagne. En réalité, ce sont des partis personnels dominés par un leader charismatique.
Ils sont moins structurés et plus fluides, organisés autour d’une plate-forme numérique, loin des formes partisanes traditionnelles. Les membres de ces partis sont davantage des supporters et que des mandants, du fait que les membres qui adhèrent gratuitement depuis le site n’ont aucun droit sur les décisions stratégiques du parti.
Le coût d’entrée dans le militantisme est ainsi abaissé et l’implication est cyclique, fluctuant en fonction des conjonctures électorales. Pour les deux partis, l’ancrage militant se fait essentiellement dans les grandes villes et leurs périphéries, faisant apparaître une dichotomie rurale/urbaine. On observe également une grande autonomie des militants de terrain.
Le cas de LFI est particulièrement intéressant : c’est encore l’un des rares partis à pratiquer massivement le porte-à-porte, essentiellement dans les quartiers populaires des grandes villes et de leurs périphéries. Ils ont également largement investi les réseaux sociaux, tentant d’attirer spécifiquement les plus jeunes (Twitter/X, TikTok, Twitch, YouTube, Instagram, etc.).
Il est à noter également qu’une caractéristique de ces deux partis est leur manque d’attrait pour les élections locales. Ils préfèrent soutenir des élus d’autres partis déjà bien implantés localement, canalisant ainsi leurs forces et ressources pour des élections plus décisives.
En quoi ces stratégies diffèrent-elles ?
L’une des différences majeures dans l’application des répertoires d’actions électorales est l’esprit dans lequel ils sont appliqués.
Pour En Marche puis LREM c’est le modèle de la start-up qui prévaut, avec un mode de management participatif, faiblement hiérarchisé, mis en avant par l’équipe dirigeante. Le financement de chaque action militante se fait par un « appel à projet » directement auprès du siège à Paris.
En ce qui concerne LFI, le modèle est plus orienté vers le mouvementisme, avec une large autonomie de la base militante par rapport au centre décisionnel. Cette large autonomie se reflète dans les groupes d’action, aux frontières floues et relativement poreuses. Ils n’ont pas de périmètre géographique réellement délimité ; certains groupes peuvent se créer au sein d’universités ou de quartiers, et ils peuvent être créés et rejoints par toute personne qui le souhaite.
Le siège parisien n’accorde aucun financement ou quelques centaines d’euros si le groupe d’action dépasse un certain seuil. Dans le cas contraire, c’est aux militants d’acheter le matériel militant depuis le site interne.
Malgré la différence dans le modèle appliqué des répertoires d’action électorales, ils restent tout de même dans un esprit d’une large autonomie des actions militantes locales. C’est avant tout la débrouillardise des militants locaux qui a cours à leurs débuts. Cela est devenu moins le cas en 2022 pour LFI, qui a commencé une « restructuration » du parti, le projet portant sur l’achat de locaux facilitant l’ancrage local des militants.
Pour LREM, devenu Renaissance, la transition est plus claire : un budget est clairement alloué à chaque groupe local de militants pour mener les actions militantes de leur choix sans faire appel au siège.
Pourquoi aujourd’hui, leurs leaders respectifs semblent être confrontés à un effet boomerang en incarnant chacun différemment un « repoussoir » pour l’électorat voire les militants ou même les élus de leurs propres formations ?
Il semblerait que cet effet de « boomerang » ne soit pas le même pour les deux leaders.
Emmanuel Macron, arrivé au pouvoir, a très rapidement délaissé son parti. Sa politique du « et de gauche, et de droite » a rapidement montré ses limites. Son second mandat, perçu – peut-être à juste titre – comme brutal, a conduit à un rejet par une très large frange de son électorat, mais également de ses alliés politiques comme Édouard Philippe, qui a peu à peu pris ses distances avec le président.
En ce qui concerne Jean-Luc Mélenchon, c’est davantage sa stratégie de conflictualité permanente, qualifiée par lui même de « bruit et fureur », qui pose problème.
La gestion interne contestée de son mouvement, son soutien à Adrien Quatennens après sa condamnation à quatre mois de prison avec sursis pour violences conjugales, ou encore ses prises de position controversées sur les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, ont conduit une partie de son électorat et certains militants à le percevoir comme un élément perturbateur plutôt qu’un facteur d’union.
De plus, il semblerait que l’apparente nouveauté de ces partis-mouvements ait peut-être fait son temps dans le paysage politique français. On peut constater que le PS, un parti traditionnel, a réalisé un très bon score aux dernières élections européennes de 2024, talonnant la liste du camp présidentiel avec 13,8 % des voix mais également aux législatives de 2024 avec 62 députés face à 72 députés LFI.
Vous évoquiez un déficit de leadership. Aujourd’hui, ces partis tiennent-ils sans leurs leaders ?
C’est là la grande question de savoir si la durée de vie de ces deux partis est indexée sur celle de leurs leaders-fondateurs. La réponse ne peut venir que d’eux-mêmes. Dans l’histoire politique française, on a l’exemple du Rassemblement du peuple français de De Gaulle, qu’il crée en 1947 et met en sommeil en septembre 1955 après des échecs électoraux et des tensions internes.
En sera-t-il de même pour eux ? Rien n’est moins sûr. Il est compliqué d’imaginer un avenir pour le parti présidentiel depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, même si son leader a beaucoup de ressources. En ce qui concerne LFI, l’avenir semble moins ombrageux. La réussite du Nouveau Front populaire a permis de consolider le parti de Jean-Luc Mélenchon comme le premier groupe de gauche à l’Assemblée nationale avec 71 députés LFI contre 75 durant la dernière législature. Néanmoins, il est talonné de près par le PS.
Cependant, les tensions internes qui se sont conclues par la non-réinvestiture de cinq députés – Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danielle Simonnet, Frédéric Mathieu et Hendrik Davi – et le départ avec fracas de François Ruffin et de Clémentine Autain conduisent LFI à resserrer les rangs autour de son leader, ne laissant que peu de candidats à sa succession. Jean-Luc Mélenchon a tellement imprimé son style dans son parti qu’il est difficile d’imaginer quel candidat pourra en reprendre la relève.
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