Législatives– »dissolution boomerang pour Macron »

Législatives– »dissolution boomerang pour Macron »

Bernard Sananè, président de l’institut Elabe, analyse dans la Tribune  les ressorts du vote massif en faveur du Rassemblement national au premier tour des élections législatives.

 Quel est selon vous l’élément marquant de ce premier tour de scrutin ?

BERNARD SANANÈS – La poussée RN a été très forte. Elle se lisait déjà dans le résultat des élections européennes du 9 juin. On a vu tout à coup l’homogénéisation du vote Rassemblement national, que ce soit de manière territoriale ou sociologique. La traduction de cette homogénéisation au scrutin majoritaire, c’est le fait que le RN se qualifie dans un peu plus de 440 circonscriptions pour le second tour des législatives. Cette progression est extrêmement forte en voix. Le RN et ses alliés ont obtenu 10,7 millions de suffrages, contre un peu moins de 8 millions aux Européennes et 4,2 millions au premier tour des législatives de 2022.

 

Cette progression en voix montre l’élargissement du parti, qui a réussi petit à petit, non pas à faire exploser, mais en tout cas à fissurer ses plafonds de verre. On le voit dans l’analyse sociologique des votes notamment, une fois de plus, chez les retraités. Chez eux, le match Ensemble-RN se termine quasiment à égalité. On observe aussi une progression chez les cadres. C’est également intéressant de noter que le RN qui s’était construit sur des bastions, se déploie de manière assez homogène sur le territoire.

 

Les motivations du vote RN aux législatives sont-elles les mêmes qu’aux Européennes ?

Le 9 juin, les questions européennes prenaient quand même une part importante dans les motivations du vote. Mais déjà le rejet d’Emmanuel Macron était fort. Il s’est exprimé dimanche encore plus fortement auprès d’électeurs qui ont vu dans ce rendez-vous démocratique qui n’était pas prévu, une occasion de pouvoir affaiblir le président de la République. On a mesuré par ailleurs l’évolution de l’importance de certains thèmes pour les électeurs. L’immigration pointait déjà haut, mais le thème s’est consolidé entre les deux scrutins. A présent, l’immigration et la sécurité sont quasiment au même niveau que le pouvoir d’achat. Trois thèmes qui sont au cœur du discours de Marine Le Pen.

Cette élection signe l’effondrement et le retrait du macronisme

Peut-on déjà comprendre clairement à qui a profité la très forte mobilisation ?

Pour l’instant, il n’y a pas d’indications qui laissent à penser que la mobilisation de dimanche aurait été fortement différenciée. Elle semble avoir profité à tous les camps, avec un léger avantage à la gauche. Les quelques couacs ainsi que les inquiétudes suscitées par le sujet des binationaux n’ont pas détourné de leur vote ceux qui avaient fait le choix du RN.

Le score obtenu par Roger Chudeau (candidat RN qui a suscité la polémique en expliquant que les postes ministériels devaient être occupés par des « Franco-Français », NDLR) le prouve. Il a réuni quasiment 50% des électeurs dans sa circonscription du Loir-et-Cher. Mais cela a pu en mobiliser d’autres se disant qu’il n’était pas possible de ne pas aller voter contre le RN.

Emmanuel Macron a raté son pari de la dissolution…

Rien n’a fonctionné, comme rien ne fonctionne depuis le début du second mandat. Cette élection signe l’effondrement et le retrait du macronisme, même si cet effet est un peu limité par rapport aux élections européennes. Le score d’hier traduit l’incapacité de ce second quinquennat à trouver sa dynamique propre. Cela a commencé au soir du second tour des législatives 2022, avec les tergiversations autour du premier Premier ministre du second quinquennat.

Et ce second quinquennat n’a jamais donné l’impression d’avoir une feuille de route extrêmement claire. Ce que le score de dimanche révèle, c’est l’impossible dynamique de ce second mandat. Et finalement, comme en 1997, Emmanuel Macron affronte une « dissolution boomerang » qui se retourne contre lui. En 2022, 250 députés de la majorité présidentielle et 89 du Rassemblement national avaient été élus. La symbolique serait assez forte si, à l’issue du second tour, on aboutissait à un scénario mathématique inversé avec autour de 250 députés RN et autour d’une centaine de l’ancienne majorité. C’est l’une des hypothèses plausibles. Autre élément à souligner, la promesse d’Emmanuel Macron en 2017, était de casser le duel droite-gauche. Aujourd’hui, on se retrouve avec un duel entre droite radicale et gauche radicale.

Les triangulaires, quand elles deviennent duels, peuvent coûter mathématiquement quelques sièges au RN

Toujours en miroir d’Emmanuel Macron en 2022, le RN pourrait-il être privé d’une majorité absolue ? Que disent vos projections ?

Nos chiffres, comme ceux de mes confrères, disent que l’hypothèse la plus réaliste aujourd’hui, sur la base des premiers désistements intervenus dimanche soir, est que le RN obtienne une majorité relative, solide, mais une majorité relative seulement. Pour obtenir une majorité absolue, il faudrait que le parti de Marine Le Pen bénéficie d’une amplification du vote du premier tour.

Vous laissez de côté l’hypothèse d’une alliance avec certains députés LR canal historique ?

D’abord, même si on peut considérer que dans la perspective du second tour, le RN a quasiment fait le plein en termes d’électeurs mobilisés pour lui, il peut bénéficier des reports de voix d’une partie des électeurs qui ont voté pour le candidat LR, même si ce n’était pas des LR ciottistes. Ça, c’est très important. Donc le RN peut avoir des réserves de ce côté-là.

Il faudrait que cette percée soit forte pour que le RN puisse prétendre à la majorité absolue. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Parce que les triangulaires, quand elles deviennent duels, peuvent coûter mathématiquement quelques sièges au RN. Je dis bien mathématiquement, parce qu’il faut rappeler quand même qu’en 2022, le RN l’a emporté dans 82 cas sur 89 dans des duels.

Quelle est votre analyse des résultats des candidats de l’alliance de gauche ?

La gauche n’a pas trouvé de nouvelle dynamique. Le NFP n’a pas mobilisé plus que la Nupes. Les zones de force sont toujours les mêmes : les grandes villes, les banlieues, mais la concentration des votes en faveur de la gauche dans ces zones-là ne lui permet pas en fait d’espérer jouer le match de la majorité, même relative. Les zones de force, ça ne fait pas gagner beaucoup de sièges supplémentaires. Il y a deux exemples frappants : Fabien Roussel qui perd dans le Nord mais surtout les difficultés de François Ruffin, dans la Somme. Hors des grandes villes ou des banlieues, c’est difficile de résister à la vague RN.

Est-ce qu’on va reconstituer des fronts républicains tels qu’on les a connus en 2002 ? Certainement pas.

Peut-on déjà, à l’issue de ce premier tour, voir un nouveau rapport de forces se mettre en place entre les formations qui composent le Nouveau Front populaire ?

C’est encore un peu tôt, mais on peut déjà dire que le rapport de force au sein du Nouveau Front populaire pourrait être un peu moins hégémonique pour la France Insoumise. Mais elle aurait évidemment la part la plus importante de sièges à gauche.

A l’aune de ce nouveau jour de vote, peut-on dire que la tripartition du paysage politique est durablement installée ?

Elle est actée dans le vote d’hier. Mais la question principale qui se posera dimanche prochain est finalement : est-ce que ces trois France sont irréconciliables ou est-ce qu’elles se réconcilient partiellement dans des « fronts », dans un sens ou dans un autre ? Est-ce que ces trois forces, finalement, arrivent à faire barrage à une autre ? Pour moi, c’est l’un des sujets de fond de ce second tour.

Je ne suis pas sûr, d’ailleurs, que l’on ne surestime pas un peu les dynamiques de front républicain. Bien sûr, il peut y avoir des retraits, des désistements. Bien sûr, il va y avoir des électeurs qui choisiront de faire barrage. Maintenant, est-ce qu’on va reconstituer des fronts républicains tels qu’on les a connus en 2002 ? Certainement pas.

Justement, les électeurs entendent des consignes de vote depuis dimanche soir. Cela peut-il fonctionner ?

Nous avions publié la semaine dernière une étude qui montrait que les trois-quarts des électeurs ne suivraient pas les consignes de vote. Mais il faut signaler, pour être précis, qu’à gauche, ce chiffre était de un sur deux. Les consignes sont plus une habitude suivie encore par la gauche. A côté du RN, les deux électorats qui ne suivent pas les consignes de vote, c’est l’électorat de droite qui peut être tenté soit par un vote Ensemble, soit un vote RN. Mais aussi l’électorat du centre.

Le virage qui a été pris dimanche soir par Gabriel Attal peut étonner. Jusqu’à présent, le message était de mettre au même niveau le refus de LFI et le refus du RN. D’autre part, quand on interroge les Français et qu’on leur demande de positionner la politique d’Emmanuel Macron, ils considèrent que cette politique est majoritairement de droite. Donc quand ces électeurs ont entendu ça depuis quelques mois et qu’on va leur demander d’aller voter pour un candidat de gauche… Je ne sais pas dire aujourd’hui dans quelle proportion ce report se fera.

Il y a quelques cas emblématiques, comme par exemple le retrait d’une candidature de gauche pour laisser ses chances à Elisabeth Borne ou le retrait d’une candidature Ensemble en faveur de François Ruffin. Les électeurs vont-ils s’y retrouver ?

On va voir si le vote antisystème réapparaît. Le vote anti-RN va mobiliser une partie de l’électorat, tout comme le vote pour le front républicain. Mais le vote antisystème peut aussi reprendre de la force au regard des soirées électorales et des premières déclarations. Quand en 2022, il y avait eu la surprise des 80 députés RN, on avait réussi à déterminer qu’une partie, certes minoritaire, des électeurs de gauche avait voté RN parce qu’ils voulaient surtout s’opposer à la réforme des retraites.

Ils pensaient que si Emmanuel Macron n’avait pas la majorité absolue, cela stopperait la réforme. Donc, c’est vrai, cette circonscription d’Elisabeth Borne sera un test dimanche. On y mesurera la difficulté ou non pour l’électorat de gauche de se reporter sur le candidat de la majorité sortante.

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