Politique: RN et LFI, deux sociologies

Politique: RN et LFI, deux sociologies 

Marc Lazar, professeur émérite d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po, analyse dans La Tribune les différences et ressemblances entre les deux partis aux extrêmes de l’échiquier politique français.

Selon les macroniens, deux extrémismes, d’un côté le Rassemblement national et de l’autre la gauche, qu’ils réduisent à l’une de ses composantes, La France insoumise, font courir un grand danger à la France. L’argumentaire suscite d’incessantes controverses. Pour autant, cette situation est-elle inédite dans notre histoire et ce parallèle entre extrémismes est-il fondé ou pas? Sous la IVe République, entre 1947 et 1951, les partis socialiste, démocrate-chrétien et radical ont constitué la Troisième Force pour s’opposer à deux extrémismes, le Parti communiste français (plus d’un électeur sur quatre) et le Rassemblement du peuple français du général de Gaulle. Toutefois, les institutions et le mode de scrutin différaient des nôtres. Le gaullisme, fût-il de guerre froide, ne saurait être assimilé au RN, qui revendique désormais son héritage, alors que la famille politique dont il est originaire était avec le maréchal Pétain et a toujours combattu le fondateur de la Ve République.

Quant à LFI, elle n’est pas assimilable au PCF. Par ailleurs, un sujet actuel de débat qui divise la gauche évoque l’un des dilemmes classiques qu’elle connut au XXe siècle, celui des alliances avec le Parti communiste. Le Front populaire était né en réaction aux événements du 6 février 1934 lorsque des ligues d’extrême droite tentèrent de marcher sur le Palais-Bourbon, ce qui avait été interprété comme une tentative de coup d’État fasciste. Il rassemblait le Parti radical, la SFIO (nom du Parti socialiste) et le PCF, qui jusqu’ici s’écharpaient. Celui-ci, minoritaire dans la coalition mais en pleine progression, profondément stalinien, avait, en accord avec Moscou, modéré sa stratégie politique nationale et cessé ses attaques contre les socialistes. Victorieux en mai 1936, le Front populaire ne résista pas à l’épreuve du pouvoir et aux désaccords sur la politique étrangère, notamment concernant la guerre civile espagnole.

En outre, les procès truqués de Moscou, voulus par Staline contre les dirigeants du parti, approuvés par le PCF, étaient dénoncés par la droite et l’extrême droite, de manière prudente par les socialistes désireux de sauver le Front populaire et clairement par quelques personnalités de gauche. L’union se rompit en 1938. Plus tard, le Parti socialiste refondé en 1971 par François Mitterrand rompit avec l’anticommunisme de la SFIO de Guy Mollet et forma l’union de la gauche avec le PCF. Il critiqua avec plus ou moins de vigueur les régimes communistes. Mais il valorisa la participation du PCF à la Résistance à partir de 1941, son engagement dans les luttes anticoloniales et ses combats en faveur de l’amélioration de la condition ouvrière, minorant souvent son alignement sur l’URSS. À gauche, l’antifascisme fait consensus, en revanche l’anticommunisme l’avait fait voler en éclats.

La nation pour le Rassemblement national est fermée sur elle-même alors qu’elle est ouverte chez LFI

De nos jours, LFI provoque un trouble assez semblable dans le reste de la gauche, qu’expriment publiquement Raphaël Glucksmann et nombre de socialistes. Lesquels pointent leurs désaccords avec le mouvement de Jean-Luc Mélenchon tout en s’alliant avec lui afin de barrer la route au RN Or, pour le bloc central, les LR et beaucoup d’électeurs, ces deux formations sont strictement équivalentes. Elles ont, en effet, des points communs. Soumises toutes deux à un dirigeant tout-puissant, elles critiquent l’Union européenne, sont réticentes à soutenir l’effort de guerre des Ukrainiens, se méfient des États-Unis et adoptent un style populiste antiélites.

Toutefois, si elles emploient les mêmes mots, elles leur donnent un sens opposé. Ainsi, la nation pour le RN est fermée sur elle-même alors qu’elle est ouverte chez LFI. Le peuple du RN se fonde sur une dimension ethnocentrée: il entend supprimer le droit du sol et instaurer la « préférence nationale », nouvelle formulation du vieux slogan de l’extrême droite « la France aux Français ». Malgré son opération de « dédiabolisation » qui a amené Marine Le Pen à ne pas reprendre l’antisémitisme de son père, l’héritage historique – xénophobe, raciste, provichyste, néofasciste, autoritaire – du Front national est loin d’avoir complètement disparu. Le peuple pour LFI est quant à lui bigarré, faisant une large place aux minorités, aux communautés, à la diversité culturelle, ce qui a conduit certains de ses responsables à tenir des propos antisémites, en rupture avec la tradition républicaine, universaliste et laïque de la gauche.

La sociologie des deux partis diffère profondément. Le RN dispose de solides bastions chez les ouvriers et les employés, dans les territoires ruraux, les petites et moyennes villes, mais il devient désormais un parti attrape-tout. LFI est présente dans les catégories sociales moyennes, les grandes métropoles et leurs banlieues, auprès des Français de confession musulmane et chez des électeurs disposant d’un niveau d’instruction supérieur à la moyenne de celui des votants. Enfin, le RN est seul, ne disposant que de rares alliés de droite dure, incarnée par Éric Ciotti et Marion Maréchal; LFI fait partie d’une coalition qu’elle ne domine plus exactement comme ce fut le cas de la Nupes en 2022 et qui inclut des partis et des personnalités démocrates. Rejeter les extrêmes des deux bords simplifie la compétition politique en soulignant les convergences entre le RN et LFI mais en occultant leurs différences.

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