«Le chaos qui vient» (J. Aubert)

«Le chaos qui vient» (J. Aubert)

Pour le président d’Oser la France, «Emmanuel Macron a sous-estimé cependant l’instinct de survie et la liquéfaction de l’espace politique qu’il a lui-même engendrée en érigeant le débauchage et l’opportunisme en valeurs cardinales» ( dans l’Opinion)

En précipitant les élections législatives, Emmanuel Macron a ouvert un piège dont François Mitterrand n’aurait pas désavoué le machiavélisme. Le choix d’une campagne courte répond à une énième tentative de permettre au bloc central — cette troisième force qui a existé par le passé sous la IVe République — de mettre en échec LFI et le RN, les deux formations qui ont pris l’ascendant électoral sur les partis dits de gouvernement depuis 2022. Pour cela, il fallait les empêcher d’exercer une attraction sur qui le PS, qui LR, ainsi relégués au rang de satellites. Pour l’artisan du « en même temps », quel pire scénario que la victoire de coalitions autour du clivage droite-gauche ?

Jusqu’ici, pour parvenir à ses fins, Emmanuel Macron avait utilisé la carotte (l’attraction politique qu’exerce le pouvoir sur des individus flexibles idéologiquement) et le bâton, c’est-à-dire l’arme morale de la réprobation. En fonction de ses intérêts du moment (qui se remémore les valeurs communes proclamées par Macron avec Mélenchon entre les deux tours des présidentielles ?), il s’agissait donc de souligner au choix l’antisémitisme latent de LFI ou la dénonciation des passions tristes et du nationalisme pour le RN.
 Néanmoins, au fil des réélections de Macron, les électeurs ont compris que ces cordons sanitaires conduisaient de facto à reconduire la coalition centriste sortante. De plus, la violence du choc des européennes fait que désormais la survie des députés du PS comme de LR est inévitablement corrélée à l’adossement à l’une ou l’autre des trois pôles en présence.
 « Assurance-vie Macron ». En 2022, on se souvient que le choix du Parti socialiste de passer le Rubicon et de s’allier avec LFI avait profondément divisé le PS, le président du parti passant à quelques millimètres de la révocation. Mais il avait permis de remporter un grand nombre de circonscriptions, tandis que LR et Reconquête, partis séparément, avaient fait des contre-performances notables. La gauche a toujours été, derrière ses oripeaux idéologiques, en avance pour être pragmatique. Ils ont inventé le virus des primaires avant de le communiquer à la droite !
 La macronie a donc dégainé ce qu’on pourrait appeler une « assurance-vie Macron », en décidant unilatéralement de ne pas présenter de candidats LREM face aux candidats « de l’arc républicain ». Pour un député PS ou LR sortant, cela change l’équation, car cela offre 12 à 15 points utiles pour se propulser au second tour… à condition de ne pas sortir du périmètre dont on peut comprendre qu’il ne va pas jusqu’à LFI ou le RN.
Sans doute Emmanuel Macron espère-t-il encore réussir un coup de maître en obligeant la recomposition autour du pôle central. Mais des trois coalitions, c’est la sienne qui est la moins portée par les vents électoraux

Emmanuel Macron avait sous-estimé cependant l’instinct de survie et la liquéfaction de l’espace politique qu’il a lui-même engendrée en érigeant le débauchage et l’opportunisme en valeurs cardinales. En quelques jours, les plaques tectoniques ont bougé très rapidement. La surprise est moins venue de la gauche, qui réédite 2022, que de la droite avec l’explosion de Reconquête et de LR sur la douloureuse question de l’accord avec le RN.

 La combinaison de deux instruments de prévention des risques a partiellement marché : Eric Ciotti n’a quasiment pas entraîné de députés LR derrière lui, soit qu’il s’agisse d’une opposition de principe, soit que l’équation électorale se soit simplifiée par le choix de LREM ; LFI et le PS ont, quant à eux, trouvé un accord global, dont on sent, malgré la bénédiction de François Hollande, qu’il gêne Raphaël Glucksmann et que, dans les faits, il ne sera peut-être pas appliqué de manière aussi systématique qu’on pourrait le penser.
La manœuvre a cependant échoué car il y aura bien au final deux coalitions de droite et de gauche, dominées par le parti le plus éloigné du centre et non pas celui le plus proche, comme dans les années 1980-2000. Il faut dire aussi que toutes les armes inventées au lendemain du 21 avril 2002 pour empêcher que le FN, devenu RN, accède au pouvoir ont toutes échoué, qu’il s’agisse du front républicain (en réalité une alliance contre-nature) ou du parti unique modèle UMP censé rassembler tout le monde, de la droite au centre. La vraie manière de faire reculer « les extrêmes » aurait été de résoudre les problèmes de fond.
Reste que l’élection de juin-juillet 2022 est probablement la plus incertaine qu’il soit pour trois raisons : premièrement, la participation sera extrêmement forte, compte tenu de l’enjeu, et va polariser la société française, qui est coupée en trois ; deuxièmement les mesures de contre-coalition d’En Marche limiteront peut-être la casse, ouvrant la voie à un pôle modéré aux contours poreux et gazeux, en jouant sur la peur de l’inconnu, sur le modèle de la dissolution de 1968 ; troisièmement et c’est la plus importante des trois : il n’est pas certain que toutes ces coalitions aient réellement envie de prendre le pouvoir. En effet, la cohabitation est un poison mortel pour le RN, parce que cela peut démolir ses chances pour 2027, ou pour la gauche car leur programme irréaliste explosera au premier choc.

Sans doute Emmanuel Macron espère-t-il encore réussir un coup de maître en obligeant la recomposition autour du pôle central. Mais des trois coalitions, c’est la sienne qui est la moins portée par les vents électoraux : là où Giscard voulait rassembler deux Français sur trois, Macron a une ambition moitié moindre. S’il devait parvenir à ses fins, ce bricolage provoquerait une immense frustration populaire. Quel que soit le résultat, l’année qui vient risque donc d’être marquée par un chaos politique qui, je le crains, aura des répercussions dans la société elle-même.

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