Politique-Macron, façon Louis XVI

Politique-Macron, façon Louis XVI 

 

 Marc Lambron, de l’Académie française, livre à La Tribune Dimanche sa radioscopie politico-psychologico-littéraire de la fièvre qui, depuis 21h05 dimanche et l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron, semble devoir tout emporter sur son passage. Observateur fin et cruel du pouvoir, l’écrivain livre à La Tribune Dimanche sa radioscopie politico-psycho-logico-littéraire de la fièvre qui, depuis l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron, dimanche à 21h05, semble tout emporter sur son passage. D’Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon en passant par les deux Éric, Ciotti et Zemmour, ou les conseillers Bruno Roger-Petit et Clément Léonarduzzi, aucun des protagonistes de la séquence n’échappe aux saillies ô combien délectables, surtout quand tout va mal, de l’académicien Marc Lambron.

 

Comment l’écrivain que vous êtes, toujours prompt à entrer dans la tête des personnages de notre roman national, analyse-t-il les ressorts de la décision d’Emmanuel Macron ? Vous a-t-il surpris ?

MARC LAMBRON - Je déteste ce que Sartre appelait les « groupes en fusion », autrement dit la coalition des hystéries à l’heure de l’hallali, la loi de Lynch. Quand je vois sortir les cordes, je guette la potence. Quand Macron excite des pulsions façon Louis XVI ramené de Versailles, je refroidis la chaudière. Je le crois assez animé par des pulsions anarchisantes, une paradoxale colère de bon élève contre l’establishment. Il s’est employé à casser l’ENA et quelques grands corps d’État, il n’aime guère les corps intermédiaires, pour ne pas parler de la tempête fractale de 2017, qui s’est prolongée en 2022 par les scores effarants de Mmes Pécresse et Hidalgo. C’est Terminator avec pour gourdin la Constitution de 1958. La gauche devrait le célébrer, car il applique à la lettre le slogan de Mao Zedong lançant la Révolution culturelle : « Feu sur le quartier général ». Quelque chose comme une colère contre le père collectif. La chose étant d’autant plus curieuse que cela peut cohabiter chez lui avec une véritable éthique de responsabilité. Mais là, c’est un inspecteur des finances qui se désinspecte. Un homme déconstruit à sa façon, même si Sandrine Rousseau ne le voit pas.

À quelle figure faut-il identifier Emmanuel Macron : Narcisse ou Érostrate, qui veut brûler le temple d’Artémis à Éphèse pour que l’on se souvienne de lui ? Ou bien Néron ?

Néron pourrait le flatter, car l’empereur était regardé dans le monde antique comme un demi-dieu. Ce qui me déconcerte, je dois le dire, c’est qu’il semble régler sa boussole sur des proches qui se nomment Bruno Roger-Petit, qui n’est pas Raymond Aron, ou Clément Léonarduzzi, un spin doctor pour affiches Ripolin. On ne brûle pas Rome sur la lyre de Publicis.

Narcisse peut-il avoir des regrets ?

Jupiter peut-il être Narcisse ? Gide se regardait écrire, peut-on se regarder gouverner ? Il y a eu des esthètes du pouvoir, cela va d’un roi fou comme Louis II de Bavière à la distance ironique avec laquelle Churchill sculptait son personnage. Un soir, l’un de ses collaborateurs le surprend travaillant très tard à son bureau. « Que faites-vous, monsieur le Premier ministre ? » interroge-t-il. « Je prépare quelques mots d’esprits spontanés », répond Churchill. Macron prépare des surprises tactiques spontanées. Quelque chose comme ça. Au demeurant, dans la course au narcissisme, Mélenchon se pose là. N’est-ce pas s’aimer démesurément que de se répliquer simultanément en sept ou huit hologrammes ? Narcisse, au moins, se contentait d’un seul reflet.

Tout cela survient entre deux phases d’héroïsation, la commémoration du 6 juin 1944 et l’exaltation des athlètes pendant les Jeux olympiques

 

À l’occasion des derniers épisodes, est-ce que votre bestiaire s’est enrichi de quelques figures ? Lesquelles ?

Bestiaire n’est pas aimable, ces gens-là sont sortis de leurs cages. J’ai autrefois signé un roman sur le régime de Vichy, 1941. Je répugne en général aux comparaisons dramatisées, mais là je dois dire que le spectacle du moment n’est pas le contraire de Bordeaux en juin 1940, par la panique et la veulerie. Ce qui est curieux, c’est que tout cela survient entre deux phases d’héroïsation, la commémoration du 6 juin 1944 et l’exaltation prévisible des athlètes pendant les Jeux olympiques. Mon préféré est Éric Ciotti, que certains dans son département surnomment « Mussolino ». S’enfermer dans son bureau en cachant la clé, c’est de l’opéra-bouffe, de l’adultère politique avec placard, mon royaume pour une cabale. Mais voir des brandisseurs de drapeaux palestiniens à la Chambre agréés par l’ancien parti de Robert Badinter, c’est le retour de Xavier Vallat plutôt que la résurrection de Georges Mandel. Le Front populaire est devenu le Front populiste.

À la place de qui n’aimeriez-vous pas être ?

À la place d’Éric Zemmour. Voilà un publiciste qui prône depuis vingt-cinq ans l’union des droites, et se voit désossé par les siens au moment où elle semble se réaliser. La façon dont la jeune Marion Maréchal regagne le charnier natal, entraînant avec elle trois autres élus sous la bannière Reconquête, dépossède ce harpagon lyrique de sa cassette. Peu de médisants politiques auront été aussi cruellement châtiés, mais Zemmour paie ses philippiques contre Marine Le Pen, vers laquelle la nièce crocheteuse rapplique avec son butin. Le droit du sang le laisse au sol. Il lui reste peut-être à solliciter quelques féticheurs de Barbès-Rochechouart, qui savent planter des épingles dans la poupée des adversaires à envoûter.

Au final, qui a le plus mauvais rôle dans toute cette affaire ?

De façon générale, tous ceux qui pensent qu’ils vont être sauvés alors que leur vote va probablement les spolier. Le providentialisme politique peut tourner à l’auto-cocuage. Mais le propre des cocus est d’être les derniers informés. Une psychanalyse nationale conclurait probablement à un ballet des mirages, ce que l’on appelle en diagnostic clinique une « dissonance cognitive ». La raison recule. Baudelaire disait haïr la France parce que tout le monde y ressemble à Voltaire. Il y a longtemps que cela a cessé d’être, mais là on rôtit à la broche l’ermite de Ferney. Le père de Candide est tronçonné pour le barbecue national. L’esprit critique, l’ironie lucide sont à la peine.

Appliquons au chaos politique actuel la fameuse phrase de Marx sur l’Histoire qui se répète au moins deux fois: « La première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce. » Quelle a été la tragédie de cette farce ?

C’est une vaste question. Vous pourriez remonter à l’« étrange défaite » de 1940, telle qu’analysée par Marc Bloch. Il démonte très bien comment les inerties d’état-major ont correspondu à un peuple fatigué d’être sur les dents. Vous pourriez vous interroger sur le blues français. Notre pays reste la première destination touristique mondiale, et c’est aussi l’un de ceux où la consommation d’antidépresseurs est la plus forte. Pourquoi le pays de Cocagne aux yeux du reste du monde est-il habité par des déprimés ? Une raison serait la passion équarrisseuse de l’égalité. « Il est impossible qu’un Anglais ouvre la bouche sans qu’un autre Anglais le méprise », disait Oscar Wilde. Cela correspondait à une société de castes où l’accent est discriminant. Eh bien, chaque fois qu’un Français bénéficie d’avantages non partagés, fût-ce au prix de son travail, un autre Français le jalouse. Ce serait donc une vieille tragédie patrimoniale dont chaque époque invente des variantes. Elles sont parfois farcesques, parfois meurtrières. Cela va d’un enfant noyé dans la Vologne à Mélenchon avide de scalps.

Si Balzac écrivait sur cette séquence, quel titre donnerait-il à son roman ?

Balzac avait une vision panoptique de la société, qui lui permettait de traiter la vie parisienne autant que les scènes de la vie de province. C’est vrai des grands romanciers français du XIXe siècle, Hugo comme Zola. Un titre de Balzac comme La Peau de chagrin, même si cela se rapporte à un récit de veine occultiste, pourrait convenir à l’état de nos finances publiques. Ce qui se passe dans les états-majors des partis aurait sans doute excité la verve du duc de Saint-Simon, peintre impitoyable des intrigues de cour. Un méchant pourrait rapprocher Macron de ce croquis de Philippe d’Orléans : « Le Régent l’était de tout, sauf de lui-même ». Mais ce grand roué du XVIIIe siècle préférait les dissolus aux dissolutions. Maintenant, si vous voulez méditer un magnifique portrait de traître, archétype humain à la hausse ces temps-ci, lisez Chateaubriand sur Talleyrand, c’est admirable.

De vive voix, Grasset. 512 pages, 26 euros.

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