Productivité : l’Europe et la France en panne
Cette situation est préoccupante. L’absence de gains de productivité freine la compétitivité des productions européennes et, bien sûr, françaises ; elle réduit la croissance potentielle des économies concernées. Elle caractérise leur faible dynamisme. Elle explique, au moins pour partie, la divergence des taux de croissance entre les États-Unis et l’Europe.
Ce phénomène touche tous les secteurs d’activité et en particulier l’industrie. Ses causes sont multiples et pas encore totalement élucidées par les économistes qui divergent sur leur pondération. Certaines sont conjoncturelles : en France, la croissance de l’apprentissage ou la réduction du chômage qui se traduit par l’embauche de travailleurs moins « productifs » et moins formés… D’autres causes semblent plus profondes : excès de réglementations, vitesse insuffisante d’adaptation aux évolutions des marchés et des compétences nécessaires, politiques macroéconomiques peu favorables à la croissance au niveau européen, et surtout sans doute, investissements insuffisants notamment dans les nouvelles technologies porteuses de productivité ainsi que dans la recherche et le développement.
Le prix Nobel Paul Krugman est clair « La productivité n’est pas tout, mais à long terme,c’est presque tout ». Cela veut dire que la reprise des gains de productivité est un enjeu majeur pour les économies européennes et, au premier chef , pour la France où la « panne » est, semble-t-il, la plus forte.
Les causes étant multiples, il n’y a pas de remède unique. Mais on sent bien les domaines sur lesquels il faut faire porter l’effort en France : l’éducation (mathématiques, lycées pro, BTS, apprentissage), la formation, notamment pour faire face aux mutations qu’entraine la transition énergétique et écologique, la diffusion des nouvelles technologies avec une attention particulière portée aux PME, l’effort de recherche privé et public qui doit être accru le plus rapidement possible pour atteindre au moins 3% du PIB contre 2,2% actuellement (c’est dire que ce n’est pas le moment de toucher au Crédit d’Impôt Recherche !). La France doit être présente dans la compétition technologique, aussi bien au niveau de la recherche et du développement que dans la mise en œuvre au sein des processus de production. il y a là un enjeu décisif pour la relance de la productivité, mais aussi pour la croissance et la souveraineté
Le rapport Letta n’aborde pas le sujet directement ; il évoque néanmoins le besoin d’investissement des entreprises européennes et les moyens de le financer. Il est probable que le rapport Draghi sur la compétitivité attendu avant cet été traitera plus directement de l’insuffisance de productivité européenne. L’UE doit se mobiliser sur ce qui apparait être une faiblesse majeure par rapport aux États-Unis et aux pays asiatiques ; cela concerne aussi bien les excès de réglementations,les politiques concernant les aides aux entreprises, le soutien à l’innovation et à la recherche que le réglage macroéconomique qui doit être plus favorable à la croissance.
S’agissant de la France, les pouvoirs publics ne sont pas restés inertes : réforme fructueuse de l’apprentissage qui doit maintenant concerner plus fortement les niveaux en deçà du bac, réforme très (trop ?) prudente des lycées professionnels, programme France 2030 sur des champs technologiques majeurs… Mais il faut aller plus loin, amplifier ces efforts, en particulier sur les champs scientifiques et technologiques, leur donner une cohérence et une visibilité renforcées, en faire un véritable enjeu national. A contrario, leur remise en cause ou leur étalement dans le temps pour cause de finances publiques dégradées ne pourrait conduire qu’à aggraver le retard pris par notre pays dans une course où se joue sa compétitivité et sa capacité de croissance.
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(*) Louis Gallois est diplômé de l’Ecole des hautes études commerciales et de l’Ecole nationale d’administration (promotion Charles de Gaulle). Après une carrière dans l’administration publique, il devient successivement PDG de la Snecma (1989), d’Aérospatiale (1992), président de la SNCF (1996), et président exécutif d’EADS N.V. (2007), président du conseil de surveillance de PSA (2014-2021). Il est co-président de La Fabrique de l’industrie depuis sa création en 2011.
Pierre-André de Chalendar est diplômé de l’ESSEC et ancien Inspecteur des Finances. Son aventure industrielle au sein de Saint-Gobain, dont il devient PDG en juin 2010, débute dès 1989. Il est par ailleurs administrateur de BNP Paribas et vice-président d’Entreprises pour l’environnement (EpE), qu’il préside de 2012 à 2015.Il devient co-président de La Fabrique de l’industrie en juillet 2017.
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