« Les médias contribuent à légitimer le RN « 

« Les médias contribuent à légitimer le RN « 

Post-doctorante au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP/EHESS) et docteure en science politique, Safia Dahani mène des recherches sur la légitimation de l’extrême droite contemporaine, et notamment du Rassemblement national (RN). Elle souligne dans la Tribune la manière dont les chaînes d’information en continu ont permis au parti de Marine Le Pen de faire progresser ses idées.

Alors que le Rassemblement national (RN) l’a largement emporté aux élections européennes, une enquête de la plateforme Tagaday montre que Jordan Bardella a été beaucoup plus exposé dans les médias que les autres candidats. Est-ce nouveau ?

SAFIA DAHANI - Ce que les travaux nous montrent, c’est qu’il y a eu un changement dans la médiatisation de ce parti dans les années 2010, dans le sillage de l’ascension de Marine Le Pen à la tête du Front national, devenu Rassemblement national. Il est intéressant de voir la manière dont les médias vont cadrer son accès à la présidence du FN. Elle est élue en 2011 à la tête du parti. Mais dès 2009-2010, elle commence à être invitée dans les émissions politiques de premier plan, en première partie de soirée, sur le service public. Elle débat de controverses nationales avec les ministres sarkozystes de l’époque. Les sondeurs vont la tester, dès 2010, pour l’élection présidentielle de 2012. Marine Le Pen n’est pas médiatisée de la même manière que l’était son père, Jean-Marie Le Pen. Quand Jean-Marie Le Pen était, par exemple, à son époque invité à « L’Heure de vérité » [sur France 2, Ndlr], le journaliste présentait toute sa biographie et rappelait ses ancrages à l’extrême droite. Il y avait des manifestations devant les sièges des chaînes, des appels au boycott… Avec Marine Le Pen, ce n’est plus toujours le cas, et une dynamique nouvelle s’est installée. Il y a cette idée, dans les médias, que c’est nouveau, que c’est une femme, qu’elle présente bien, et que ce n’est pas son père.

Diriez-vous que débute, à ce moment-là, la stratégie dite de « dédiabolisation » du RN ?

Je n’ai pas l’impression qu’il y a alors une stratégie particulière du parti. Ce sont les journalistes, les sondeurs, les observateurs médiatiques de la vie politique qui voient et présentent Marine Le Pen comme quelque chose d’apparemment nouveau, et vont la cadrer de manière différente. Alors effectivement, Marine Le Pen va prendre ses distances avec l’affaire du « détail de l’histoire » [la manière dont son père avait qualifié les chambres à gaz de la seconde guerre mondiale, Ndlr] par exemple… Mais sa médiatisation change. C’est aussi le début des chaînes d’information en continu, ce qu’on appelle le « troisième marché médiatique ». A l’époque, I-Télé va notamment diffuser les meetings de Marine Le Pen, ses conférences de presse, ce qu’on ne voyait pas avant. Ces chaînes vont donner une forte visibilité au FN dans les années 2010. En 2014-2015, j’ai compté que Florian Philippot, alors premier vice-président du parti, était présent au moins tous les deux jours sur les chaînes d’info en continu.

Cette exposition grandissante du RN est-elle aussi liée à l’essor, depuis quelques années, de médias à la ligne ultraconservatrice comme CNews ou le JDD du milliardaire Vincent Bolloré ? On a d’ailleurs vu CNews doubler BFMTV en termes d’audiences une semaine avant le vote des européennes.

Il y a plusieurs éléments. Le premier, c’est que les nouvelles chaînes d’info en continu ont fait apparaître de nouveaux espaces médiatiques, avec la nécessité de trouver de nouveaux invités. C’est à ce moment-là que des députés ont été très médiatisés, alors que cela était jusqu’alors plutôt réservé aux ministres. Le deuxième élément, ce sont les logiques de concentration économique de certains médias, où l’on a effectivement vu des lignes éditoriales se droitiser [comme ce fut le cas avec CNews, ex-I-Télé, après son rachat par le Vivendi de Vincent Bolloré, Ndlr]. Mais au-delà des médias conservateurs comme Valeurs Actuelles ou Le Figaro, qu’on repère directement comme des espaces où les idées de l’extrême droite vont être nuancées, atténuées, légitimées, d’autres types de médias vont progressivement véhiculer cette vision d’un nouveau FN-RN en invitant régulièrement des membres et dirigeants de ce parti. Ils vont le faire en arguant que c’est la démocratie, mais en évacuant tout ce que la science nous dit de ce parti, qui est d’extrême droite, réactionnaire, antisémite et raciste. Cela s’est déployé dans l’ensemble du champ journalistique, à l’exception de quelques médias libres et indépendants, y compris dans l’audiovisuel public. Il y a par exemple eu un débat sur BFMTV, l’an dernier, où le député RN Jean-Philippe Tanguy a suscité la controverse en évoquant des « Français de papier ». Cette médiatisation dépasse les cas de CNews ou du JDD. Elle favorise la percée des idées de l’extrême droite, les rend légitimes. C’est ainsi qu’en 2022, Valérie Pécresse, alors candidate Les Républicains à la présidentielle, a parlé de « grand remplacement » dans un de ses meetings.

Pendant la campagne des européennes, certains observateurs ont notamment critiqué un face à face, le 23 mai sur France 2, entre le Premier ministre Gabriel Attal et Jordan Bardella. Le lendemain, François-Xavier Bellamy, le candidat LR, a critiqué l’organisation de ce débat, refusant de « commenter » un « match qu’on a écrit à l’avance ». Cette forme de médiatisation a-t-elle contribué à légitimer le RN ?

L’organisation de ce duel est quand même questionnant. Le fait que le Premier ministre accepte ce « one to one » avec Jordan Bardella a accouché d’une sorte de transfert de légitimité. Il y a cette idée que ça vaut la peine, en fait, de débattre avec le président du RN, d’y accorder du temps, et en « prime time ». Cela légitime plus qu’autre chose Jordan Bardella et son parti. Ce débat revêt quelque chose d’historique, d’un peu nouveau.

Y a-t-il des précédents à cet épisode ?

C’était déjà historique qu’un président et/ou candidat à l’élection présidentielle débatte avec l’extrême droite avant le second tour, comme Emmanuel Macron l’a fait en 2017 puis en 2022. Il y a désormais cette idée qu’il faut donner la parole au FN-RN en raison de son poids électoral. Mais lors du dernier scrutin, la donne était différente puisqu’il s’agissait des élections européennes, que Gabriel Attal n’était pas candidat, et qu’il a choisi, parmi les dizaines de listes disponibles, de débattre avec le représentant du premier parti d’extrême droite. C’est en cela qu’il y a un changement, et encore une fois un effet de légitimation.

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