Boeing, Airbus :Trop de sous-traitance ?

Boeing, Airbus :Trop de sous-traitance ?

-Quinze ans après avoir massivement externalisé la production des avions, Airbus et Boeing vont-ils faire machine arrière face aux problèmes de qualité rencontrés notamment par l’équipementier américain Spirit Aerosystems ? Pour en débattre, le Paris Air Forum a réuni Bruno Bouf, vice-président aerospace & défense de Capgemini, Marjolaine Grange, directrice groupe industrie, achats et performance de Safran, Florent Massou, directeur des opérations d’Airbus Commercial Aircraft et Marie-Louise Philippe, vice-présidente des ventes et du marketing et responsable de la région Europe et Asie centrale d’Embraer.( dans la Tribune)

L’incident a marqué les esprits. En janvier dernier, une porte-bouchon se détache en plein vol sur un Boeing 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines. En avril dernier c’est un capot moteur qui s’est arraché en plein décollage sur un appareil de la Southwest Airlines. Cette succession de problèmes de qualité ont braqué tous les regards vers Spirit Aerosystems, en charge du fuselage du 737 MAX. Boeing a indiqué le 1er mars dernier vouloir racheter l’équipementier américain pour réintégrer ces activités en interne 18 ans après les avoir externalisées.

De quoi mériter un retour en arrière sur les raisons qui ont poussé les deux principaux constructeurs d’avions à massivement faire appel à la sous-traitance pour la fabrication d’avions.

« En 2006, Boeing décide de vendre son activité aérostructures à Spirit pour le fuselage, du 737 à l’époque où le constructeur décide de produire un 787 composite. Chez Airbus à l’époque, nous essayons de faire comme le leader mondial. Nous étions en train de lancer l’A350 et nous avons décidé d’appliquer la même logique sur les fuselages avec la création en 2009 de Stelia en France et Premium Aerotech en Allemagne.

L’objectif était de devenir plus compétitif sur ce marché des aérostructures et éventuellement de vendre ces sociétés à terme. Cela a très bien fonctionné, notamment sur la partie Stelia où grâce à cette initiative, nous avons réussi sur cette partie de la chaîne de valeur, à aller chercher de la compétitivité, à ouvrir des écosystèmes en Tunisie, au Maroc et au Portugal », retrace Florent Massou, directeur des opérations d’Airbus Commercial Aircraft lors du Paris Air Forum organisé ce jeudi à la Maison de la Mutualité.

Mais l’avionneur européen décide de faire le mouvement inverse en 2021 en réintégrant ces activités aérostructure avec la création d’Airbus Atlantic en France et d’Airbus Aéro structures GmbH en Allemagne. « Nous avons pris cette décision, car les aérostructures, c’est la base d’un avion puisque cela représente 40 % de notre activité opérationnelle. Finalement, trois ans après, Boeing fait la même chose », ajoute-t-il.

Aujourd’hui, ce sont 12.000 sous-traitants qui fournissent tous les jours à Airbus plus de  2,2 millions de pièces pour produire entre trois et quatre avions sur l’ensemble de la gamme de produits. Au sujet du Spirit, Airbus pourrait reprendre une part des activités de Spirit AeroSystems, avait confirmé fin avril son patron Guillaume Faury. A ce sujet, Florent Massou indique : « Nous discutons avec Spirit, un partenaire essentiel pour nous, afin de s’assurer de la continuité du succès de l’entreprise. »

Outre-Atlantique, le constructeur brésilien Embraer, troisième fabricant mondial derrière Airbus et Boeing, a emprunté une voie légèrement différente.

« Embraer se repose beaucoup sur des compétences internes. Par exemple, dans nos usines au Brésil, nous maîtrisons de la première coupure du métal jusqu’au design et la fabrication du train d’atterrissage. Pour autant, sur le programme E2, notre dernière gamme d’avions commerciaux, nous avons obtenu la certification par trois autorités avant la date planifiée.

Nous avons aussi créé avec Safran une joint-venture sur la cabine alors que normalement les avionneurs ne se positionnent pas sur cette partie de l’avion », décrit Marie-Louise Philippe, vice-présidente des ventes et du marketing et responsable de la région Europe et Asie centrale d’Embraer.

Pour sa part, Safran gère une colossale supply chain de 6.000 fournisseurs directs de pièces aéronautiques. Marjolaine Grange, directrice groupe industrie, achats et performance du groupe ne perçoit pas de grands bouleversements dans son organisation mais suit de près « les commodités considérées comme stratégiques, autrement dit dont la maîtrise de la partie industrielle des pièces est indispensable pour proposer des produits innovants ».

Avec une attention particulière « sur le titane et l’acier et plus globalement tous les matériaux chauds pour nos moteurs d’avion », note la dirigeante. « Aujourd’hui nous devons faire face à une crise mondiale sur l’acier. Or un avion comporte 250 nuances de l’acier. Pour y remédier, nous allons acheter de grands volumes sur le marché au bon niveau de prix pour l’ensemble de nos fournisseurs », confirme Florent Massou.

Les poids lourds de l’aéronautique pourront aussi s’appuyer sur l’expertise d’Aubert & Duval sur l’acier. « La coopération avec Aubert & Duval fait tout son sens dans la perspective de la préparation du futur des moteurs », considère Marjolaine Grange. L’an dernier, un consortium composé d’Airbus, Safran et Tikehau Capital a finalisé auprès du groupe minier Eramet le rachat du métallurgiste Aubert & Duval, en grandes difficultés financières.

Dernier défi pour la filière, la gestion des flux logistiques. « En externalisant 60 à 80 % de la production, cela nous conduit à aller chercher des fournisseurs partout dans le monde. Nous avons par exemple une usine d’assemblage final en Chine. Et nous devons y accéder par le canal de Suez. Quand le canal a été fermé, nous avons dû faire un détour par l’Afrique avec 3 à 4 semaines de délais supplémentaires. Cela pose la question de la résilience de notre chaîne mondiale de fournisseurs. », relève Florent Massou.

« Cela pose aussi la question de l’évolution du bilan carbone des produits aéronautiques et le poids de la logistique dans ce bilan carbone », souligne Bruno Bouf, vice-président aerospace & défense de Capgemini.

Le dirigeant pointe également face à tous ces défis la nécessaire « mise à niveau des talents et des ressources sur le secteur » : « Quand on regarde aujourd’hui la pyramide de ressources chez les grands donneurs d’ordres, une personne sur cinq a plus de 55 ans , ces personnes ont une véritable expertise et c’est la raison pour laquelle des académies de formation sont créées. » Comme c’est le cas par exemple chez Safran qui a lancé cette année une supply chain academy pour former les bataillons de collaborateurs travaillant avec les fournisseurs.

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