Quel concept de souveraineté
Dans un entretien au « Monde », le philosophe Gérard Mairet définit le concept de « souveraineté », indissociable de l’histoire européenne et développe les étapes de la théorisation de ce principe.
Dans « La Fable du monde. Enquête philosophique sur la liberté de notre temps » (Gallimard, 2005), vous diagnostiquiez « l’achèvement de la souveraineté ». Mais, loin d’avoir déserté le débat public, le mot « souveraineté » semble aujourd’hui omniprésent…
Il est vrai qu’en 2017, dans son discours à la Sorbonne, Emmanuel Macron a théorisé la « souveraineté européenne », et on entend très souvent aujourd’hui, y compris parmi les membres du gouvernement, évoquer une souveraineté nationale qui serait tantôt alimentaire, numérique ou industrielle. Il s’agit au mieux d’un excès de langage. Dans certains cas, il faut y voir une concession rhétorique faite à un certain discours souverainiste qui milite pour le « retour de la souveraineté ». Il s’agirait, selon ce discours, de rapatrier une souveraineté qui aurait été perdue à cause de l’Europe.
Or rien n’a été perdu : pour faire l’Europe, on n’a pas abandonné la souveraineté, mais on a souverainement et librement décidé d’en déléguer l’exercice, dans certains domaines bien définis, à une entité extérieure. Ainsi, avec le Brexit, le Royaume-Uni a récupéré tout l’exercice de sa souveraineté qu’il avait volontairement délégué, politique malheureuse d’ailleurs. L’Europe n’est pas l’effet d’une captation de la souveraineté des Etats, car rien n’est aliéné. C’est pourquoi il est d’une grande confusion philosophique de parler de « souveraineté de l’Europe ». Des Etats souverains ne peuvent être membres d’une entité elle-même souveraine.
Comment définir la souveraineté ?
La souveraineté, telle qu’elle s’est constituée en théorie et en pratique dans l’Europe moderne, est le levier conceptuel de la division territoriale de l’Europe et de la division subséquente des peuples clos à l’intérieur de frontières définies dans et par la guerre. La division du territoire a consisté à construire des peuples nationaux. Il y a donc un particularisme qu’invente la souveraineté : l’idée du juste n’est pas la même d’un pays à un autre. Le rôle de l’Etat historique est de fermer et de garder ses frontières afin de préserver l’ethos de la nation .
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