Turquie: La fin du système Erdogan ?
L’ampleur de la défaite électorale, particulièrement marquée dans la plus grande ville de Turquie, révèle que Parti de la justice et du développement (AKP) n’a plus grand-chose à proposer au pays, estime Dorothée Schmid, spécialiste des questions méditerranéennes et turques, dans une tribune au « Monde ».
Le paysage politique de la Turquie à l’issue des élections municipales du 31 mars rappelle celui de n’importe quelle démocratie européenne dans les mêmes circonstances. Dans ce pays, où les élections restent disputées, malgré l’inégalité des moyens de campagne et le climat d’intimidation entretenu par le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, les électeurs turcs ont fait la différence entre élection nationale et locale.
Alors qu’ils avaient reconduit en 2023 l’AKP et ses alliés ultranationalistes du Parti d’action nationaliste (MHP) à l’Assemblée et à la présidence, ils ont sanctionné aux municipales un parti en panne de projet. Le Parti républicain du peuple (CHP), parti kémaliste historique, à nouveau chef de file de l’opposition, conserve le trio de tête Ankara, Istanbul et Izmir, gagne Bursa, et rafle des mairies dans des régions conservatrices en Anatolie centrale (Adiyaman) ou sur la mer Noire (Giresun). Le parti Dem (ex-HDP), prokurde, s’impose dans les principales municipalités de l’Est. Les nationalistes dissidents du Bon Parti (Iyi Parti) s’effondrent. Le Yeniden Refah Partisi, nouveau venu islamiste, dépasse le MHP et gagne des villes anatoliennes (Yozgat, Sanliurfa).
Cette déroute confirme l’érosion de l’électorat de l’AKP. Certains, mécontents de la performance économique du gouvernement, se sont abstenus ; et, dans l’ensemble, les électeurs semblent avoir saisi le message du président Recep Tayyip Erdogan, qui a annoncé, voici quelques semaines, son inévitable retrait des affaires. Pourtant, le chef de l’Etat est probablement le plus surpris de tous, tant il pense encore incarner le destin de la Turquie.
Réélu en 2023, alors que beaucoup le donnaient perdant, il avait immédiatement fait connaître sa priorité : la reconquête d’Istanbul, considérée comme l’enjeu principal de ce scrutin municipal. Erdogan avait donc encore une fois – la dernière, disait-il –, mis tout son poids personnel dans la campagne et s’était montré la veille du scrutin en prière à Sainte-Sophie, redevenue mosquée par ses soins, lieu historique de la revanche sur l’Europe chrétienne et symbole permanent de la confrontation identitaire entre islamistes et laïques.
Cette bataille d’Istanbul, la façon dont elle a été menée et son issue, illustrent les ressorts du système Erdogan et détermineront en grande partie son avenir. Certes, « Istanbul n’est pas la Turquie » : mais cette mise en garde, adressée depuis deux décennies aussi bien aux touristes qu’aux hommes d’affaires étrangers hypnotisés par la masse urbaine et la vitalité culturelle de la ville, dit surtout implicitement la volonté de rééquilibrage portée par l’AKP, parti islamo-conservateur identifié aux Anatoliens de l’Est.
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